Cass. 31 août 2016, Darjaj Youssef

Louvain-La-Neuve

Le pourvoi en cassation dirigé contre une mesure de détention administrative d’un étranger : un formalisme approprié ?

En vertu du Code d’instruction criminelle (CIC), le pourvoi en cassation dirigé contre une mesure administrative de privation de liberté d’un étranger nécessite la signature d’un avocat titulaire d’une attestation spécifique, y compris pour le dépôt du mémoire.

Loi du 15 décembre 1980 - Code d’instruction criminelle, art. 425 - Contrôle de la légalité de la détention administrative – Pourvoi en cassation – Avocat agréé.

A.  Arrêt

Le pourvoi en question était dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, du 3 août 2016. Le demandeur, un ressortissant marocain en séjour irrégulier, avait été privé de liberté en vue de son éloignement. Alors qu’il exposait divers griefs à l’encontre de cette décision dans un mémoire déposé et signé par son avocat, la Cour de Cassation a déclaré ce mémoire irrecevable au motif que ce dernier n’était pas titulaire de l’attestation visée à l’article 425, § 1er, al. 2 du Code d’instruction criminelle. Cet article, tel que modifié par la loi du 14 février 2014, prévoit en effet que « L'avocat doit être titulaire d'une attestation de formation en procédure en cassation visée par le livre II, titre III » et qu’il revient au Roi de fixer les critères auxquels la formation doit répondre. De même, cette exigence s’applique à la déclaration de pourvoi introduite par l’étranger. En l’espèce, le pourvoi fut également déclaré irrecevable.

De prime abord, l’application du Code d’instruction criminelle à une mesure de détention administrative prise à l’encontre d’un étranger peut sembler surprenante. En réalité, le régime procédural applicable à la privation de liberté en droit des étrangers repose sur une imbrication de règles juridiques pour le moins complexe. Ainsi les recours devant les juridictions d’instruction (la chambre du conseil, et en appel, la chambre des mises en accusation) ne sont pas explicitement régis par la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (ci-après « loi relative aux étrangers »). S’agissant des aspects procéduraux, l’article 72 renvoie « aux dispositions légales relatives à la détention préventive ». 

Or en droit belge, la détention préventive est règlementée par la loi du 20 juillet 1990, soit une norme juridique adoptée dix ans après l’entrée en vigueur de la loi relative aux étrangers. Au nom du principe de légalité, la Cour de Cassation a donc déclaré que la loi relative aux étrangers se référait « nécessairement à la loi relative à la détention préventive en vigueur lors de la promulgation de la loi du 15 décembre 1980 précitée, à savoir celle du 20 avril 1874 ».

Mais ni cette loi, ni celle du 15 décembre 1980, ne mentionnent les procédures applicables au pourvoi en cassation. Dès lors, si l’étranger (ou le ministère public) décide de se pourvoir en cassation contre une mesure privative de liberté ou contre l’achèvement de celle-ci, ce pourvoi ne peut être formé que selon les règles du Code d’instruction criminelle[1].

En pratique, la combinaison de ces différentes dispositions aboutit à un régime légal complexe, à faible sécurité juridique et nettement moins favorable au détenu placé en rétention administrative, si l’on compare avec la détention préventive qui reste soumise au régime unique de la loi de 1990 (I). Plus particulièrement en droit des étrangers, il est également permis de douter de la conformité de telles exigences procédurales, avec le droit fondamental à bénéficier d’un recours effectif, tel que garantit par l’article 47 EUCFR et l’article 13 CEDH, y compris devant la Cour de Cassation.

B. Éclairage

I. L’exigence d’attestation de formation spécifique à la Cassation: quelques nuances

Le 15 juin 2016, la Cour de Cassation s’était déjà prononcée sur la recevabilité d’un pourvoi dirigé contre une décision de la chambre des mises en accusation de maintenir le requérant en détention administrative[2]. La Cour avait déclaré le pourvoi irrecevable en raison du non-respect des formalités spécifiques prévues à l’article 425 CIC.

Dans son mémoire du 10 juin 2016, le requérant avait toutefois spécifiquement contesté l’application de cette disposition. Il invoquait l’insertion de cet article dans le CIC comme une mesure essentiellement destinée à réformer la procédure pénale, invitant la Cour à interpréter cette exigence de façon nuancée.

Il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi du 14 février 2014[3] que l’analogie opérée par la Cour de Cassation entre matière répressive et droit des étrangers n’est pas exempte de toute critique. Comme indiqué dans l’exposé des motifs, « l’intervention requise d’un avocat qui a suivi une formation spécialisée en technique de cassation » résulte du constat qu’un nombre significatif d’affaires est rejeté chaque année par la Cour de Cassation en matière répressive et qu’il faut éviter de considérer le pourvoi « trop à la légère ». Selon la ministre de la justice de l’époque, « l’intervention obligatoire d’un avocat pour signer tant la déclaration de pourvoi que le mémoire en cassation (se justifie) par le souci d’éviter l’engorgement de la Cour, laquelle n’a pas été instituée pour servir de troisième degré de juridiction »[4].

Or en droit des étrangers, comme le souligne le Président de section à la Cour de Cassation, certaines mesures ont déjà été adoptées en ce sens : le Conseil du contentieux des étrangers a ainsi été créé pour alléger la charge du Conseil d’Etat au vu de l’augmentation du nombre de recours introduits, susceptibles de remettre en cause l'effectivité de son contrôle. Par ailleurs, s’il est vrai que le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État doit être signé par un avocat, le Président de section considère que cette seule exigence pourrait valablement suffire à limiter les dépôts de pourvois devant la Cour de Cassation sans qu’il ne soit « absolument indispensable de faire appel à un avocat spécialisé en cassation ».

Il semble donc qu’une exigence d’attestation généralisée, imposée aux avocats, sans tenir compte des particularités procédurales de chaque type de contentieux (ex. en droit des étrangers, contrairement au droit pénal, le pourvoi en cassation n’est pas suspensif et « alimente » donc moins l’arriéré judiciaire) est difficilement justifiable. Par ailleurs, l’application même du CIC et de ses exigences à la détention administrative accentue de facto la différence de régime entre cette mesure et la détention préventive, au détriment de l’étranger en séjour irrégulier privé de liberté. En effet, à cette exigence procédurale prévue à l’article 425 CIC, s’ajoute l’absence d’obligation explicite pour la Cour de Cassation de se prononcer endéans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi. Tel n’est pas le cas en matière de détention préventive, où l’article 31 de la loi du 20 juillet 1990 dispose qu’en cas de non-respect de ces délais, l’inculpé est immédiatement remis en liberté.[5]

Comme l’a suggéré le requérant dans son mémoire, il aurait peut-être été judicieux pour la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle à ce sujet, afin de savoir si un tel régime procédural est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

II. Une atteinte au droit à un recours effectif ?

Du point de vue des droits fondamentaux, la question de la conformité d’un tel formalisme avec le droit de l’UE, notamment des articles 47 EUCFR et 15 de la Directive « retour »[6], mérite également d’être posée. Certes, le pourvoi en cassation se différencie des autres voies de recours, par sa nature « extraordinaire » et par l’interdiction qui est faite à la Cour de connaître du fond des affaires.  La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi reconnu que les caractéristiques spécifiques de la procédure devant la Cour de cassation et le fait que cette Cour examine uniquement des questions de droit pouvaient objectivement justifier certaines limitations, comme celle de réserver à des avocats spécialisés le monopole de commenter les conclusions litigieuses dans des conditions satisfaisantes[7].Cela étant, ces spécificités procédurales n’affranchissent pas l’Etat de son obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent, même auprès de la Cour de Cassation, des garanties fondamentales prévues aux articles 6 et 13 de la CEDH.[8] Or, non seulement l’article 425 CIC ne permet plus au demandeur de se défendre sans avocat mais il impose que ce dernier soit titulaire d’une attestation de formation à la technique de cassation, alors même que ce dernier peut avoir une connaissance moindre du fond de l’affaire et réclamer au requérant des honoraires plus élevés du fait de cette formation. Bien que poursuivant un objectif légitime, l’on peut demander si cette exigence n’est pas excessive dans sa mise en œuvre et si en pratique elle n’entrave pas le droit de l’étranger détenu en vertu des règles administratives à bénéficier d’un recours effectif dans l’ordre juridique interne.

Enfin, la possibilité de faire valoir ses moyens en cassation est d’autant plus importante qu’il s’agit d’une étape ultime et nécessaire à l’épuisement des voies de recours internes, à défaut de quoi la Cour européenne des droits de l'homme ne peut être saisie[9].En outre, les articles 5§4 de la CEDH et l’article 15(2) de la Directive “retour” reconnaissent à tout étranger détenu le droit de faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la légalité de sa privation de liberté. Or, cette appréciation se limite, pour les juridictions d’instruction belges, à un contrôle marginal de légalité, excluant toute question d’opportunité ou de proportionnalité à l’égard de l’action administrative[10]. Etant donné que ni la chambre du conseil, ni la chambre des mises en appel, ne remettent en cause les considérations factuelles et la diligence invoquées par l’administration, à moins d’une erreur manifeste d’appréciation, une ultime supervision de la légalité opérée par la plus haute Cour suprême du pays est donc loin d’être superflue.

G.R.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

Cass. 31 août 2016, DARJAJ Youssef, P.16.0918.F/3

Pour en savoir plus :

Cass., 2e ch., 10 juin 2015, n° P.15.0716.F/2

S. SAROLEA, « Le pourvoi en cassation en matière de privation de liberté d’un étranger soumis à des règles procédurales distinctes de celles relatives à la détention préventive », Newsletter EDEM, août 2016.

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Pour citer cette note : G. Renaudière, « Le pourvoi en cassation dirigé contre une mesure de détention administrative d’un étranger: un formalisme approprié ? », Newsletter EDEM, octobre 2016.

 


[1] Cass., 9 décembre 1992, Pas. 1992, p. 1358 ; Cass. 14 mars 2001, Pas., liv. 3, p. 412 ; Cass. 27 juillet 2010, Pas. 210, liv. 6-8, p. 2141, Cass. 10 septembre 2014, www.cass.be).

[3] Loi relative à la procédure devant la Cour de Cassation en matière pénale. Doc. Parl. Ch. repr. Rapport (DOC 53 3065/003), 23 janvier 2014.

[4]Doc. Parl. Ch. repr. Op.cit., p. 10

[5] Cass., 24 juin 2009, P.09.0914.F, Larcier Cass. N°694; Cass., 9 décembre 1992, Pas. 1992, p. 1358 ; Cass. 14 mars 2001, Pas., liv. 3, p. 412 ; Cass. 27 juillet 2010, Pas. 210, liv. 6-8, p. 2141, Cass. 10 septembre 2014, www.cass.be.

[6] Directive 2008/115/CE fixant les normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

[7] Cour. Eur. D.H., Voisine contre France, 8 février 2000.

[8] Cour Eur. D.H. Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, série A n° 134, p. 12, § 24.

[9] Ce principe implique que les recours prévus dans l’ordre juridique interne soient suffisamment effectifs en fait et en droit. Voy. Cour eur. D.H. (GC) McFarlane c. Irlande, Req. no 31333/06, 10 septembre 2010, §107.

[10] Cass., 2e ch., 10 juin 2015, n° P.15.0716.F/2.

Publié le 07 juin 2017