Vitamines A, B, C, D, E, K, acide folique. Vous connaissez certainement ces différentes vitamines. Mais avez-vous déjà entendu parler de la thiamine, aussi appelée vitamine B1 ? Jérôme Savocco, Sylvain Nootens et leurs collègues du laboratoire du Pr Pierre Morsomme (Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology - LIBST) ont décidé d’étudier l’absorption de cette vitamine par une levure, pour mieux comprendre son assimilation par nos cellules. Leurs conclusions viennent d’être publiées dans la revue scientifique PLOS Biology.
Ces vitamines essentielles à notre survie
Il existe 13 vitamines essentielles chez l’Homme : les vitamines A, B1, B2, B3, B5, B6, B12, la biotine, les vitamines C, D, E, l’acide folique et la vitamine K. Toutes ces molécules organiques indispensables au bon fonctionnement de notre organisme sont classées en deux groupes :
- Les vitamines liposolubles (dont vitamines A, D, E et K) : elles se trouvent dans les aliments contenant de la graisse (matières grasses, oeufs, viande, etc.). Notre corps les assimile dans les tissus adipeux (nos graisses).
- Les vitamines hydrosolubles (dont vitamines B et C) : elles se trouvent dans les légumes, les fruits, les céréales, la levure et les produits laitiers. Elles ne sont pas stockées par notre corps et les excédents alimentaires sont rapidement éliminés, notamment via l’urine.
Toutes ces vitamines se trouvent partout dans notre corps, mais nous ne parvenons pas à toutes les synthétiser. Seules les vitamines D et B3 sont synthétisées par l’être humain et les animaux. Les autres, nous devons les absorber par l’alimentation. C’est le cas de la thiamine (ou vitamine B1). Cette vitamine est produite par les bactéries, les champignons et les plantes. Afin de comprendre comment la thiamine est absorbée par les cellules, l’équipe du Pr Morsomme a étudié son absorption par les cellules d’une levure (Saccharomyces cerevisiae).
Une levure comme modèle
“Notre laboratoire est spécialisé dans la protéomique des protéines membranaires. La protéomique étudie les protéomes, c’est-à-dire l’ensemble des protéines d’un organisme, d’un tissu, d’une cellule ou d’un organite subcellulaire. Et les protéines membranaires sont les protéines qui se situent à la surface d’une cellule, à l’interface entre l’intérieur et l’extérieur d’une cellule Il y a 5 ans, nous avons donc commencé par étudier toutes les protéines situées sur la membrane de la levure”, détaille le professeur de biochimie. La levure choisie est celle du boulanger, utilisée pour faire du vin, du pain ou de la bière. Cette levure est souvent utilisée dans des expériences de biologie car elle partage beaucoup de points communs avec les cellules humaines et végétales. Comme cette levure est facile à cultiver, ne coûte pas cher et est très bien caractérisée, il est plus facile de travailler sur ces modèles que sur ceux de cellules humaines.
Le transporteur de thiamine, cette porte d’entrée
“En étudiant cette levure, nous nous sommes rendu compte que la protéine qui transporte la thiamine de l'extérieur vers l'intérieur de la cellule avait un comportement intéressant”, poursuit le chercheur. Explications : pour qu’une cellule fonctionne, elle doit pouvoir échanger des composés avec l’extérieur. C’est le rôle des transporteurs membranaires. Il s’agit de protéines situées à la surface d’une cellule (la membrane plasmique) qui transportent à l’intérieur ou à l’extérieur de la cellule tout ce dont elle a besoin ou doit éliminer. Le transporteur de la vitamine B1 s’appelle Thi7. Il joue le rôle de porte d’entrée (Thi7) d’un bâtiment (la cellule) par laquelle entrent les vitamines. “Pour étudier ce phénomène, nous avons mis les cellules dans des conditions spécifiques afin de mesurer la stabilité des protéines à la surface”, explique Pierre Morsomme. De cette façon, le chercheur et son équipe ont constaté que quand ils plaçaient les vitamines à l’extérieur, la cellule contrôlait l’entrée de ces vitamines en modifiant la stabilité du transporteur. Plus précisément, “quand on met beaucoup de vitamines à l’extérieur de la cellule, le transporteur Thi7 est dégradé pour qu’il n’y ait pas trop de vitamines qui entrent.”
Le transporteur Thi7 à la loupe
Ainsi, durant ces 5 années de recherche, l’équipe du laboratoire de Pierre Morsomme a réalisé différentes expériences. Ils ont notamment cultivé la levure de manière normale, puis ont ajouté beaucoup de vitamines à l’extérieur et ont regardé en combien de temps le transporteur disparaissait. “Après deux heures, la cellule avait enlevé une grande majorité des transporteurs à la surface”, note le professeur. “Cela signifie que la cellule contrôle très précisément la quantité de thiamine qui peut rentrer”. L’équipe a également inactivé les gènes de la cellule codant pour les protéines responsables de l’absorption et de la synthèse de la thiamine, afin de regarder comment la cellule se comportait et évoluait avec ou sans vitamine. Cette expérience a permis d’affirmer que l’absence de ce transporteur dans la cellule était néfaste pour celle-ci. “En l’absence de biosynthèse, c'est-à-dire la fabrication de cette vitamine par les cellules de l'être vivant, la cellule meurt quand le transporteur est absent.” Une des autres manipulations pour mieux comprendre le fonctionnement de ce transporteur fut l’utilisation d’une version fluorescente de ce transporteur. “La protéine/le transporteur, une fois qu’elle doit être dégradée par la cellule, entre à l’intérieur de la cellule par endocytose avant d’être dégradée. Lorsque nous ajoutons de la thiamine à l’extérieur, toute la fluorescence se retrouve rapidement à l’intérieur de la cellule car la protéine y est internalisée afin d’y être dégradée. C’est spectaculaire à voir sous un microscope à fluorescence”, raconte Pierre Morsomme.
La régulation des vitamines
Toutes ces expériences scientifiques ont mené les chercheurs à certaines conclusions. Tout d’abord, si dans l’environnement d’une cellule il y a très peu de vitamines, la cellule va mettre beaucoup de transporteurs à sa surface. C’est comme si elle installait plusieurs portes d’entrée dans un bâtiment. Inversement, quand il y a trop de vitamines, la cellule réduit le nombre de portes d’entrée et donc le nombre de transporteurs. Or, pour des cellules humaines, le transporteur est très important car l’être humain ne peut pas synthétiser la vitamine elle-même. Si le transporteur ne fonctionne pas, la cellule ne peut pas synthétiser la vitamine. “Ce qui est intéressant, c’est que ces conclusions sont généralisables car les autres transporteurs (de sucres, d’acides aminés, d’ions, etc.) sont aussi régulés par endocytose”, souligne Pierre Morsomme.
Une histoire d’acides aminés
Pour aller plus loin, l’équipe a essayé de comprendre comment, concrètement, la cellule fait pour contrôler et réguler la quantité de transporteurs à sa surface. Deux éléments semblent très importants : tout d’abord il faut une quantité suffisante de thiamine à l’intérieur de la cellule, ensuite il faut que le transporteur soit actif. L’équipe du LIBST a modifié (muté) la protéine pour la rendre inactive. Dans ce cas la protéine n’est plus dégradée même si la thiamine s’accumule à l’intérieur de la cellule par une autre porte d’entrée. “C’est comme si la cellule ne voyait pas l’intérêt de retirer une porte d’entrée qui est déjà fermée à clé“ constate le chercheur.
Et les cellules humaines ?
Cette étude a permis de comprendre les mécanismes moléculaires qui permettent l’absorption de nutriments par une cellule de levure. Qu’en est-il pour l’Homme ? L’être humain absorbe de la nourriture. Dans celle-ci, il y a des vitamines et autres nutriments qui lui apportent l’énergie nécessaire pour vivre. Au niveau de chacune de nos cellules, ces nutriments entrent dans nos cellules via des transporteurs. Grâce aux découvertes de l’équipe du LIBST sur les transporteurs d’une levure, nous comprenons mieux comment la cellule contrôle l’entrée de ces nutriments. “Reste toutefois à voir si ces résultats se confirment chez l’Homme. Les transporteurs sont-ils régulés de la même manière ? Cela doit faire l’objet d’une nouvelle étude. Tout comme nous pourrions aussi étendre nos recherches à d’autres transporteurs (de sucre, d’acides aminés, par exemple) afin de voir si nos conclusions sont identiques”, conclut le chercheur.
Lauranne Garitte
Coup d’œil sur la bio de Pierre Morsomme
Pierre Morsomme est diplômé Bioingénieur (1994) et Docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique (1999) de la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain. Après un séjour post-doctoral au Biozentrum de Bâle (Suisse), il a obtenu un mandat de Chercheur qualifié (2003) du Fonds National de la Recherche Scientifique. Il est actuellement Professeur ordinaire à l’UCLouvain, où il donne des cours dans le domaine de la biologie cellulaire et de la biochimie. Il dirige une équipe de recherche au sein du Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology (LIBST) qui s’intéresse particulièrement au fonctionnement des membranes biologiques et des transporteurs membranaires. |