Rector's speech

EVENTS

Monseigneur,
Très chers Docteurs honoris causa,
Mesdames, Messieurs, chers amis de l’Université,
Chers et chères collègues, chères étudiantes et chers étudiants, chers et chères diplômé.es,

Face à la violence, la parole et l’image

Nous vivons des temps troublés. En de nombreux endroits sur la planète, la violence s’enchaine avec l’injustice. C’est une terrible injustice mais aussi une folle violence que subit notre ancien étudiant, Olivier Vandecasteele. Arrêté arbitrairement en Iran il y a 358 jours, soumis à un simulacre de procès, condamné à de lourdes peines (40 ans de prison et 74 coups de fouet), et victime innocente d’un cruel chantage. La situation d’Olivier n’est pas unique bien sûr. Mais elle nous touche tout particulièrement et nous rappelle que nous devons toujours rester vigilants. Chaque jour de détention est un jour de trop. Des membres de la famille et des amis d’Olivier sont avec nous ce soir. J’aimerais leur exprimer toute notre solidarité dans leur juste combat.

La violence est présente en Iran mais aussi aux quatre coins du monde et l’Europe n’y échappe pas. L’Europe connaît à la fois une guerre terrible sur son sol, en Ukraine, suite à l’agression russe, et la montée de forces internes qui mettent en péril la création d’une Union européenne unifiée, pacifique et démocratique. La violence est aussi tragiquement parfois encore plus proche de nous, dans les foyers, au travail, dans les rues, y compris en Belgique.

La violence, physique ou symbolique, ne naît pas sur n’importe quel terrain. Elle est souvent à la fois la cause et le résultat de situations d’injustice.

Entre la violence et l’injustice, le lien est d’implication réciproque. L’injustice génère la violence qui à son tour entraîne l’injustice. Chacune suscite et entretient l’autre. On peut être tenté de croire qu’une contre-violence suffit à arrêter la violence. Mais même si elle est parfois nécessaire, la contre-violence n’est souvent qu’une illusion car elle-même débouche souvent sur de nouvelles injustices.

Pour briser le cercle de renforcement entre injustice et violence, notre université fait confiance, par vocation et par tradition, à une autre solution. Elle en appelle à la parole, à la raison et au dialogue. La raison établit des faits objectifs devant lesquels de fausses querelles peuvent se dissiper. En se mêlant à des images qui émeuvent et mobilisent, les mots peuvent aider à comprendre, soutenir ou guérir. Les mots peuvent réunir les volontés, frayer la voie à des pactes nouveaux et donner à chacune et chacun son dû, reconnaître en chacune et chacune un sujet libre et égal.

Face la violence donc, les mots et les images. Cette formule rend hommage à la parole qui rompt le cercle vicieux de l’injustice et de la violence mais n’est-elle pas un peu candide ? Un peu angélique ? J’y vois deux objections.

D’abord, les mots et les images sont bien souvent complices des violences. Les discours peuvent constituer de puissants instruments de propagande, notamment sur les réseaux sociaux. Tous les jours, sur des millions d’écrans, s’affichent des messages de haine, d’insulte, de dépréciation. Comment croire que les mots et les images peuvent arrêter la violence ? Ne sont-ils pas eux-mêmes plutôt des instruments de violence ?

Pensons à vous, nos trois Docteurs honoris causa. Dans les violences qui vous occupent, vous auriez pu faire un usage violent de l’image ou du langage. Mais vous ne participez ni de l’insulte, ni de la haine. Comme juriste, Adelle Blackett, vous faites un usage informé et savant du droit national et international, qui établit une base d’objectivité. Comme activiste, Oleksandra Matviichuk, vous collectez des preuves, remplissez des dossiers, écrivez des plaidoiries et des pétitions, pour nourrir un procès devant une Cour internationale. Comme artiste, Elia Suleiman, vous préférez un trait ironique, un éclat d’humour, ou une poésie chorégraphiée à la propagande et aux cris de haine. Tous les trois vous nous indiquez le chemin d’une parole ajustée et droite pour briser le cercle de la violence et de l’injustice.

J’en viens à une deuxième objection toute naturelle. Face à la violence, la parole et l’image suffisent-elles toujours ? Comment faire encore confiance aux discours quand seuls dialoguent les chars et les canons ? Comment croire encore à la raison quand seules se font entendre la menace et l’intimidation ? Oleksandra Matviichuk, vous vous êtes exprimée sans ambiguïtés dans votre discours, il y a quelques semaines à Oslo, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la Paix à l’ONG que vous dirigez : « Les troupes russes détruisent intentionnellement des bâtiments résidentiels, des églises, des écoles, des hôpitaux, elles bombardent les couloirs d'évacuation, procèdent à des déportations forcées, enlèvent, torturent et tuent des personnes dans les territoires occupés. ». Je vous cite encore « Le système international de paix et de sécurité ne fonctionne plus. Pendant longtemps, nous avons utilisé la loi pour protéger les droits de l'homme, mais aujourd'hui, nous ne disposons d'aucun mécanisme juridique pour mettre fin aux atrocités russes. De nombreux militants des droits de l'homme ont donc été contraints de défendre ce en quoi ils croient les armes à la main. ». Il y a quelque chose de dramatique d’entrer dans la violence. L’Europe en avait perdu l’habitude. Elle avait perdu l’habitude de distribuer des armes et de compter ses chars. La violence se gère aussi avec des mots, des règles et des balises. Si aucun domaine de notre réalité n’échappe à l’éthique, il existe bien une éthique de l’usage de la violence, qui doit être d’application, en particulier durant les jours de guerre.

Et si l’efficacité de la violence est une efficacité à court-terme, le travail de la parole et de l’image s’inscrit dans le long terme. Il articule du sens et il ouvre l’avenir. Pour porter les causes justes qui vous mobilisent, vous êtes tous les trois, chers Docteurs honoris causa, extraordinairement efficaces. Par la vertu de votre parole, de vos images, de vos actions, vous mobilisez des émotions, vous changez la perception des situations, vous portez l’espoir des situations de désespoir. Nous sommes très fiers de vous voir rejoindre notre communauté universitaire.

 

Chère et chers membres de la communauté universitaire,

L’année prochaine, nous fêterons des doctorat honoris causa conjointement avec notre université sœur. En ce jour de fête patronale, j’aimerais emprunter des mots que mon ami Luc Sels, recteur de la KU Leuven, a lui-même prononcés il y a deux semaines à Leuven. Avec lui, je voudrais nous ramener en 1948. Nous venons de tourner la page sur l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire de l'humanité. Sur l'horreur de la Seconde Guerre mondiale, quelque chose de beau est en train de fleurir. La Déclaration universelle des droits de l'homme est née en 1948 et elle lie aujourd’hui des milliards d’êtres humains. Trente articles qui accordent des droits égaux à chacune et chacun d'entre nous. Aujourd'hui encore, dans de nombreux endroits et pour beaucoup d'entre nous, ces droits offrent des garanties d'une existence digne. Pour beaucoup, mais pas pour tous.

La liberté et l'égalité des autres commencent par nos propres actions. Nous avons en nous la capacité de faire ressortir le meilleur de chacune et chacun. Nos Docteurs honoris causa en sont des témoins. Leurs histoires sont des sources d’inspiration. Ils sont des points de lumière. Travaillons ensemble pour faire de chacune et chacun de nous des points de lumière.

Telle est notre mission, telle est la mission de notre université.