Croître ou ne pas croître, telle est la question

LOURIM Louvain-La-Neuve

La croissance, une histoire de contexte mais aussi et surtout la conséquence d’une décision stratégique. Certains lui préféreront l’autonomie.

La majorité des emplois est créée par une minorité d’entreprises, les entreprises à forte croissance, aussi appelées gazelles. Ces gazelles représentent entre 2,5 et 10% de l’ensemble des entreprises, mais génèrent de 50 à 60% des nouveaux emplois. Ce sont donc des exceptions, mais leur rôle est essentiel pour l’économie et l'équilibre social de chaque Etat ou région. Elles intéressent évidemment les pouvoirs publics qui aimeraient transformer chaque entreprise nouvellement créée en gazelle. Pourtant, la plupart d’entre elles va volontairement limiter sa taille.

La croissance peut parfois être réactive, mais ce n’est pas un phénomène spontané ou aléatoire. Elle est la conséquence d’une décision : celle d’embaucher et/ou de ne pas licencier, celle de répondre à un accroissement de la demande ou de stimuler cette dernière. La croissance, comme la non-croissance, relève d’un choix délibéré de l’entrepreneur. Or, la majorité des dirigeants de PME n’intègre pas la croissance parmi ses objectifs.

L’autonomie est l’objectif principal de nombreux dirigeants et le statu quo sera fréquemment préféré à la croissance. Beaucoup choisissent la voie de l’entrepreneuriat car elles/ils ne souhaitent pas travailler pour d’autres, car elles/ils ne veulent pas s’adapter aux normes d’une organisation existante, car elles/ils veulent être et rester seuls maîtres à bord… La croissance est souvent synonyme de dilution de la propriété et implique une délégation de pouvoirs et une modification du processus décisionnel. Au-delà d’une certaine taille, il deviendra impossible pour le dirigeant de contrôler directement l’ensemble des tâches effectuées au sein de l’entreprise. L’entrepreneur perdra son rôle d’homme-orchestre. La plupart des entreprises ne croissent donc pas au-delà de ce que l’on peut appeler le « stade de confort », c’est-à-dire un stade auquel les ventes sont suffisamment importantes pour assurer la survie de l’entreprise et un niveau de vie satisfaisant au dirigeant et à sa famille, tout en lui permettant de ne pas ou peu déléguer ses pouvoirs.

Pour qu’une entreprise croisse, il faut donc que la croissance soit voulue par le dirigeant. Cette motivation est une condition nécessaire, mais non suffisante. La croissance est aussi influencée par la stratégie de l’entreprise ou par des facteurs externes. Les gazelles ont souvent à leur tête une équipe de personnes avec des qualités et des expertises complémentaires et interdisciplinaires. Leur structure organisationnelle est généralement souple, leurs organes de gouvernance professionnels et transparents et leur capital ouvert à des actionnaires externes. Elles sont plus enclines à choisir une stratégie de spécialisation, à innover, à rechercher des avantages compétitifs liés à la qualité plutôt qu’au prix et à développer un réseau international. Pour croître, il est indispensable que la PME adapte sa stratégie à son environnement et aux modifications de celui-ci, de manière proactive, notamment au travers de stratégies de veille. Les entrepreneurs qui visent la croissance n’hésitent pas à s’extraire du quotidien pour élaborer une stratégie à long terme.

Ceci ne signifie évidemment pas que les gazelles sont de « meilleures » entreprises. Ce sont seulement des entreprises dont les dirigeants ont un objectif différent. Pour conclure, notons que la croissance n’a pas la même signification pour tous. Si, pour les pouvoirs politiques, elle est synonyme de création d’emploi, pour l’entrepreneur, elle est plutôt liée aux ventes.

Un article du Pr Frank Janssen paru dans le Soir, le 13/12/2018

Published on December 18, 2018