États-Unis/Iran: pourquoi une relation si hostile?
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L’Iran est le deuxième pays dont on parle le plus aux États-Unis. Considéré comme une menace existentielle, il n’a pourtant qu’un faible pouvoir de nuisance à l’encontre des Occidentaux. Jérémy Dieudonné, chercheur à l’UCLouvain, vient de soutenir une thèse mettant en lumière les mécanismes derrière cet antagonisme.
Depuis une vingtaine d’années, les États-Unis portent une attention démesurée et quasi obsessionnelle à l’Iran, malgré la distance géographique séparant les deux pays et la supériorité américaine dans tous les domaines. « Après la Chine, l’Iran est le pays dont les Américains parlent le plus, constate Jérémy Dieudonné, docteur en sciences politiques à l’UCLouvain FUCaM Mons. Ce qui est étonnant, car l’Iran a peu de capacités de nuisance vis-à-vis des États-Unis et n’a pratiquement aucun moyen de frappes directes sur le territoire américain. Il y a donc un paradoxe entre l’ampleur du discours et la menace réelle. »
Partant de ce constat déroutant, Jérémy Dieudonné a réalisé une thèse cherchant à comprendre les raisons et les mécanismes de cet antagonisme. Certes, des facteurs tels que l'orientalisme, la perception du devoir d'internationalisme, ainsi que les relations historiques tumultueuses entre les deux nations alimentent l’antagonisme. Mais ces facteurs « n’expliquent pas à eux seuls une telle singularité. » Par conséquent, cette thèse a questionné comment de telles identifications de l'Iran et de telles politiques antagonistes ont été rendues possibles à Washington.
L’équation pro-israélienne
Si divers éléments participent à expliquer la position américaine à l’égard de l’Iran, un facteur sort du lot : « Ce qu’il ressort de mes recherches, c’est qu’aux États-Unis, il est difficile de parler de l’Iran sans penser à Israël en même temps », constate le chercheur. Une analyse minutieuse de nombreuses sources et plusieurs entretiens avec des responsables politiques américaines ont mis en lumière la tendance des décideurs américains à s’identifier comme pro-israéliens. Pour certains d’entre eux, cette identification serait même une marque d’ « Américanisme », comme l’ont affirmé les Républicains en 2016.
Une analyse systématique des discours israéliens et pro-israéliens aux États-Unis montre par ailleurs que cette identification pro-israélienne est constamment associée à une identification de l’Iran comme une profonde menace. Cette tendance est particulièrement explicite dans les discours du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. Cette association entre les deux identifications participe à cadrer l’identification de l'Iran de la part des décideurs américains et, par la suite, la portée des politiques possibles pour traiter avec l'Iran. En d'autres termes, la prédominance de cette identification pro-israélienne crée des conditions spécifiques qui favorisent la (re)production d'une identification antagoniste de l'Iran, sans pour autant avoir un caractère déterministe.
En particulier, les efforts constants d'Israël et des acteurs pro-israéliens aux États-Unis – que ce soit le gouvernement israélien ou des organisations comme l’AIPAC – pour définir « être pro-israélien » comme impliquant intrinsèquement « l'identification de l'Iran d'une manière antagoniste et menaçante », offrent aux décideurs politiques américains un choix binaire : soit vous êtes avec Israël contre l'Iran, soit vous êtes avec l'Iran contre Israël.
Il devient dès lors politiquement difficile d'être à la fois avec Israël et pour une approche modérée à l'égard de l'Iran. Étant donné que le fait d'être pro-israélien semble être lié à la défense des valeurs américaines, s'écarter de l'identification antagoniste de l'Iran ne vous rendrait pas seulement anti-israélien, mais aussi anti-américain.
Jérémy Dieudonné est assistant d’enseignement depuis 2019 à l’UCLouvain. Docteur en sciences politiques et relations internationales, sa thèse “The Pro-Israel Equation: Understanding the American Antagonistic Identification of Iran” pose un regard neuf sur la rivalité États-Unis/Iran. Titulaire d’un master en résolution de conflits de la University of Essex et d’un master en relations internationales à l’ULB, ses recherches se sont concentrées sur les conflits et rivalités au Moyen-Orient (Israël, Iran, Arabie Saoudite, Qatar) et leurs conséquences. |