L’Agneau mystique : un voile se lève

Qui a réellement peint l’Agneau mystique? Le mystère s’éclaircit. Le retable mondialement connu serait composé de deux pièces et non d’une seule. Une découverte majeure révélée dans une étude UCLouvain.

La question tourmente de nombreux chercheur·es depuis des décennies : qui a peint les différentes parties de l’Agneau mystique ? Quelle est la part du travail d’Hubert Van Eyck et celle de Jan, son frère cadet ? Hélène Verougstraete, professeure émérite en histoire de l’art de l’UCLouvain et de la KU Leuven a étudié l’œuvre en diverses circonstances. Selon l’experte, après le décès d’Hubert Van Eyck en 1427, son frère Jan aurait ajouté un deuxième retable, celui du haut. Comment est-elle arrivée à cette conclusion?

Une exploration minutieuse 

Tout a commencé en 2010. L’historienne de l’art participe à l’époque à l’analyse du polyptique afin de préparer sa restauration. Elle observe l’ensemble des radiographies du retable, cm² par cm².  A sa grande stupéfaction, elle découvre à trois endroits des fragments d’inscription bien conservés, jamais décrits auparavant. Ils se situent dans les draps d’honneur derrière saint Jean-Baptiste. « Une inscription était visible en surface sur les draps d’honneur de Marie et de saint Jean, mais elle était endommagée, surpeinte et devenue illisible à l’œil nu. Certains croyaient à des caractères fantaisistes », explique Hélène Verougstraete. Elle étudie alors le texte dans ses moindres détails et en particulier la technique spécifique du brocart appliqué utilisée pour réaliser ces draps d’honneur. « Le procédé consiste à juxtaposer sur le panneau de bois des feuillets avec un motif en relief formés au préalable sur une matrice. Ces feuillets, décorés d’or et de couleurs évoquent les somptueux tissus de brocarts adoptés à l’époque par les princes et le clergé ». Dans l’Agneau mystique, le motif est celui d’une licorne sous laquelle se déroule une banderole avec la fameuse inscription. Les nouveaux éléments mis en évidence sont d’une importance capitale dans la connaissance de ce chef d’œuvre de l’humanité.

Découvertes remarquables

Le mot « BRUR » (frère) se dévoile dans l’inscription, suivi par un « L » pour « Lubrecht », le nom souvent mentionné dans les archives pour le frère de Jan. Ensuite apparaissent deux chiffres arabes: 2 et 7. Selon la spécialiste, ils correspondent à la date de [14] 27 qui est celle de la mort d’Hubert. Bernard Coulie, professeur à la Faculté de philosophie de l’UCLouvain et chercheur à l’Institut des civilisations, arts et lettres lui vient en aide pour les deux dernières lettres du texte. Pour l’orientaliste, il faut y lire ‘Christou’, l’équivalent en grec d’Anno Domini. « On sait depuis longtemps que Jan a poursuivi le travail qu’Hubert avait laissé inachevé à sa mort. L’inscription avec la date de 1427 découverte derrière saint Jean-Baptiste indique que Jan a réalisé le retable du haut après la mort de son frère. Le peintre y représente Marie et saint Jean intercédant auprès de la divinité pour le salut de l’âme du défunt. C’est donc dans le panneau bas que Jan a pris la relève d’Hubert ».

En 1989 et en 2015, Hélène Verougstraete a également étudié la construction de l’œuvre. Il s’agit de deux structures en bois différentes réunies en 1950 dans un cadre métallique unique, pour des raisons de sécurité. Avant cela, des photographies témoignent d’un écart entre les retables du haut et du bas. La nouvelle disposition de l’œuvre dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand restitue cet espace. La vérité historique est rétablie.
Ces recherches exceptionnelles sont rapportées dans un numéro de la revue Openbaar Kunstbezit in Vlaanderen (OKV). Wim Verbaal, professeur de langue latine et littérature à l’Université de Gand y confirme l’interprétation d’Hélène Verougstraete et Bernard Coulie. Il évoque dans la publication l’aspect liturgique du célèbre retable.

Légende : Reconstitution à partir de radiographies du motif d’un feuillet de brocart appliqué : la licorne, la banderole et le texte.

Publié le 22 octobre 2021