La diversité, un atout pour des forêts plus résilientes!

Face aux changements climatiques et à la demande croissante pour des forêts au service de la société, les recherches sur la constitution de peuplements forestiers innovants vont bon train à l’UCLouvain. Au programme : résilience des forêts à la sécheresse, meilleure captation de CO2, effet de bains de forêt sur la santé. La forêt revient au cœur de l’humain…

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On le sait, une des clés de voûte pour limiter l’impact des changements climatiques à venir est la résilience de nos forêts. Or, celles-ci sont encore bien souvent basées sur des peuplements dont tous les arbres sont de la même espèce et du même âge ; ces monocultures équiennes sont, de ce fait, particulièrement fragiles. « La difficulté, c’est le caractère imprévisible du climat futur. On ignore l’ampleur des perturbations à venir. Le mieux est donc de s’appuyer sur des forêts plus diversifiées pour faire face à ces aléas », explique Quentin Ponette, Professeur et Chercheur au Earth and Life Institute de l’UCLouvain. « Dans les 50 années qui viennent beaucoup de choses peuvent changer. Le climat, mais aussi le cortège et la dynamique des bio-agresseurs ». Suite aux sécheresses récurrentes de ces dernières années par exemple, un insecte coléoptère, le typographe, attaque très sévèrement l’épicéa commun en Région wallonne comme dans de nombreuses régions d’Europe, causant des dégâts économiques et écologiques considérables. « Le renouvellement des peuplements atteints offre une opportunité pour mettre en place des forêts plus résistantes aux changements », indique Quentin Ponette. « Des forêts mélangées, composées d’espèces variées, ont une plus grande résilience car elles tirent parti des sensibilités et forces des différentes espèces en présence ».

Une gamme de services élargie

Diversifier les forêts permettrait aussi d’élargir la palette des services qu’elles ont à offrir à la société, au-delà de la production de bois : captation de CO2, diminution de la pollution, biodiversité, lieu de bien-être et de récréation, etc. Le mélange d’espèces au sein de nos forêts présente donc une multitude d’avantages pour répondre aux défis sociétaux actuels. « Mais il n’y a pas de recette type », précise Quentin Ponette. « Le mélange d’espèces idéal n’existe pas, tout dépend de l’environnement et des conditions locales. Il est donc important d’étudier et de savoir comment optimiser les forêts en fonction du contexte propre à chaque forêt. C’est le cœur de nos recherches, basées sur l’analyse de peuplements forestiers existants et sur l’utilisation de modèles prédictifs ».

Récemment l’équipe de Quentin Ponette a publié deux études concernant l'impact du mélange d'espèces sur la sensibilité à la sécheresse pour l’une (Jacobs et al. 2021) et sur le stockage du carbone dans les sols pour l’autre (Osei et al. 2021).

Ces deux études s’appuient sur des peuplements installés de longue date, sélectionnés avec soin pour limiter les facteurs confondants. « Dans notre étude sur la sensibilité à la sécheresse par exemple, nous avons montré que le mélange hêtre-chêne avait un effet bénéfique sur la croissance du hêtre mais que cette croissance soutenue le rend plus vulnérable lors d’épisodes de sécheresse », explique Quentin Ponette. « Dans notre étude sur le stockage du carbone, nous constatons que le pin sylvestre est associé à un plus grand stockage de carbone dans le sol que les mélanges d’espèces évalués mais on sait que les forêts peuplées d’une seule espèce sont plus fragiles face aux perturbations environnementales. Ce serait donc une erreur de ne tenir compte que de la performance absolue, qui est moindre avec le mélange d’espèces dans ce cas-ci ». Outre l’identification des combinaisons optimales d’espèces à associer, il est essentiel de développer des itinéraires techniques qui prennent en compte les impératifs de la gestion, notamment en termes de complexité et de coût. « Cette approche plus opérationnelle est vraiment importante si l’on veut favoriser l’installation à large échelle de peuplements mélangés, plutôt que de poursuivre dans la voie de la monoculture ».

Les forêts, un atout santé !

Quant aux bienfaits liés à la diversité des espèces d’arbres sur la santé humaine, le projet Dr Forest, auquel contribue Quentin Ponette, se penche sur la question. Dans ce contexte, des « bains de forêts » ont été organisés fin septembre au Bois de Lauzelle à Louvain-la-Neuve, après Vienne en Autriche et Leipzig en Allemagne. L’objectif ? Evaluer l’effet que ces bains de forêts peuvent avoir sur la santé mentale des personnes qui y participent en fonction des espèces d’arbre qui peuplent ces forêts. Le « bain de forêts » est une pratique originaire du Japon qui prend de plus en plus d’ampleur en Europe. Au-delà de l’aspect bien-être lié à une (re)connexion avec la nature, des études montrent que ces bains de forêts ont un effet physiologique sur le corps humain. Certains scientifiques estiment que les molécules volatiles et odorantes produites par les arbres peuvent avoir un effet bénéfique sur les troubles cardiaques, le stress ou encore le système immunitaire.

Les forêts sont donc au cœur des préoccupations pour relever les défis actuels et à venir, tant en termes de changements climatiques que de santé humaine. Les chercheurs de l’UCLouvain et du monde entier se penchent sur la conception de modes de gestion innovants pour relever ces défis. Le partage des connaissances, l’interdisciplinarité et la collaboration entre scientifiques et avec les acteurs de terrain seront déterminants pour aboutir à des solutions durables. Dans ce contexte, les chercheurs et acteurs de terrain belges concernés par cette matière auront l’opportunité d’échanger régulièrement avec le spécialiste canadien en écologie forestière, Christian Messier, dans le cadre de sa Chaire Francqui dont la leçon inaugurale aura lieu le 12 octobre prochain à la KU Leuven.  

En savoir plus sur Christian Messier, Université de Québec à Montréal

La gestion des forêts, une nécessité !

Pourquoi continuer à abattre des arbres à l’heure où l’on veut davantage protéger nos forêts ? Quentin Ponette, spécialiste en sylviculture et écologie forestière, nous éclaire sur la nécessité de poursuivre des abattages d’arbres dans le contexte de la gestion des forêts pour relever les défis sociétaux actuels et futurs.

Si le changement climatique constitue effectivement un enjeu majeur, l'arrêt de tout abattage d'arbres n'est pas une mesure appropriée pour l'enrayer. Pour que les forêts puissent continuer à jouer leur rôle de puits de carbone à l'échelle de notre belle planète, il faut d'abord veiller à les adapter au mieux aux changements en cours et futurs, et donc assurer leur renouvellement à l'aide d'espèces diversifiées et complémentaires, ce qui nécessite l'ouverture du couvert. Par ailleurs, l'écosystème forêt n'est pas déconnecté de la filière bois :  le carbone est certes stocké en forêt, dans les arbres et dans les sols, mais également dans les produits issus de la transformation du bois ; l'utilisation du bois permet aussi de réduire les émissions de CO2 par un effet de substitution, le bois remplaçant d'autres matériaux plus énergivores et/ou plus difficilement recyclables.

Nous sommes par ailleurs intimement convaincus de l'intérêt d'une gestion réellement multifonctionnelle, c'est-à-dire une gestion capable de combiner une diversité de fonctions et de services sur un espace pourtant relativement limité comme l'est le bois de Lauzelle. C'est dans ce contexte que la gestion peut démontrer son caractère réellement novateur, et que ce bois universitaire peut servir de forêt modèle inspirant - aux antipodes de recettes appliquées sans discernement depuis des temps immémoriaux.

Ainsi, à côté de la production de bois dont l'abattage d'arbres constitue la partie émergée de l'iceberg, la gestion pratiquée à Lauzelle contribue largement à augmenter la biodiversité en agissant sur de très nombreux leviers comme l'ouverture de certains milieux, la mise en place d'une réserve intégrale, le maintien d'arbres morts à l'état individuel ou sous forme d'îlots de vieillissement, le maintien d'arbres à haute valeur biologique, l'aménagement des lisières, la lutte ciblée contre certaines espèces invasives, la gestion du fond humide qui héberge des castors, la promotion d'essences et de structures diversifiées... Elle veille aussi à faire coexister ce volet important avec l'accueil du public - dont la fréquentation augmente structurellement avec l'urbanisation croissante du Brabant Wallon. Ceci implique notamment un plan de circulation qui réserve des zones de quiétude, la sécurisation des chemins afin de réduire la probabilité d'accidents, et un volet important de sensibilisation / d'éducation du public à la nature - notamment le jeune public des écoles de l'entité.

Enfin, il est également évident que la gestion du bois est raisonnée en intégrant explicitement son contexte. Si le bois exerce un rôle essentiel dans le maillage écologique du territoire, son environnement est - a contrario - à l'origine de pressions nombreuses et diverses  - rejets d'eaux, apports de polluants, disséminations d'espèces horticoles, etc... qu'il convient de gérer non seulement par des aménagements, mais par un dialogue en amont avec les nombreux acteurs concernés. 

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Publié le 11 octobre 2021