La mémoire de la collaboration et de la résistance

« La collaboration n’a jamais fait l’objet d’un débat au niveau fédéral. Cette journée est un début. » C’est en ces termes Qu’Olivier Luminet, un des chercheur·es qui portent le projet TRANSMEMO, s’est adressé au public, dont de nombreuses familles belges concernées tant par la résistance que par la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Chères familles, vous n’êtes pas seules », dit Olivier Luminet, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCLouvain. « Aujourd’hui vous êtes présents comme enfants, petits-enfants et vous avez droit à la reconnaissance du passé. »

Septante-cinq ans après la libération, la honte d'avoir eu un aïeul ayant collaboré avec l'occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale est un sentiment encore très répandu, même auprès des enfants et petits-enfants. C’est un des résultats du projet TRANSMEMO qui s’intéresse à la mémoire de la collaboration et de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale en Belgique et qui réunit les Archives de l’État (CegeSoma), l’Université de Gand et l’UCLouvain. Des historiens, des psychologues et des politologues ont interrogé des mois durant plusieurs dizaines de familles belges pour savoir comment les souvenirs et mémoires de la guerre s'étaient transmis sur trois générations, et ce aussi bien dans des familles de collaborateurs que de résistants.

Perte de connaissance rapide

« La honte est un sentiment très présent », explique Aline Cordonnier, psychologue et chercheuse à l'UCLouvain. "Parfois, les parents n'ont pas assuré la transmission de ce passé, par crainte ou pour protéger les enfants de la honte familiale. Pourtant notre étude montre l'importance de la transmission des mémoires au sein des familles".
L’enquête montre qu'il y a une perte de connaissance assez rapide à travers les générations, surtout dans les familles liées à la collaboration. Autre constat : les plus âgés en Flandre sont plutôt favorables à l'amnistie, tandis que les plus jeunes le sont beaucoup moins. C’est l’inverse en Wallonie : les plus âgés ne veulent pas entendre parler d'amnistie, alors que les jeunes y sont moins opposés.

Se souvenir ET oublier

Valérie Rosoux, professeure à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe, se consacre depuis vingt ans à la gestion du passé au lendemain des guerres. Le défi est toujours le même dit-elle : quand les armes se sont tues, encore faut-il ‘démobiliser’ les esprits. Faut-il se souvenir OU oublier ? La chercheuse reformule la question en ‘comment se souvenir ET oublier afin d’aller de l’avant ?’ « Bien sûr, dit-elle encore, les faits sont en principe ineffaçables. Mais le sens de ce qui est arrivé n’est jamais fixé une fois pour toutes. » Valérie Rosoux s’est réjouie d’avoir pu réunir en ce lieu symbolique qu’est le Sénat chercheurs, familles, presse et même quelques femmes et hommes politiques.

Chris van der Heijden, enfant de et auteur du livre ‘Kinderen van foute ouders’, explique que sa vision de la guerre ne correspond pas au consensus qui s’est fait aux Pays-Bas. « Je crois que la majorité des Néerlandais ont tenté de survivre. Après la guerre, ils ont tenté de construire une belle histoire et c’est elle qui est restée. »

Une discussion sereine et un apaisement sociétal

Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef au journal Le Soir, croit « aux partenariat entre intellectuels et le monde de la presse. On dit que la presse pense court et les chercheurs pensent long. Non, nous sommes des alliés. » Pour l’éditorialiste, les commémorations nous empêchent de comprendre le présent. « On donne aux historiens une autre forme d’importance : y aura-t-il des répétitions et comment faut-il faire pour ne pas répéter ? » Elle insiste aussi sur l’importance de permettre aux personnes de raconter leur histoire, comme elle l’a fait avec Jan Peumans. « Raconter n’est pas excuser ou admettre. »

« Demain j’ose espérer une discussion sereine et un apaisement sociétal », a conclu Olivier Luminet. Il faut passer d’une société clivée à une société intégrant un passé divergent. Ce sont les dernières années pendant lesquelles il sera encore possible de transmettre un message aux enfants et aux petits-enfants. Le silence est source de malentendus et de représentations erronées. Connaitre la réalité de l’autre aide à comprendre le point de vue de l’autre. »

TRANSMEMO : http://www.arch.be/index.php?l=fr&m=nos-projets&pr=projet-transmemo-memoire-de-la-collaboration-et-de-la-resistance-pendant-la-seconde-guerre-mondiale

 

Publié le 07 octobre 2019