La vie sur une péniche n’est pas un long fleuve tranquille

Cet été, nous rencontrons des doctorants en sciences humaines de l’UCL. Car la recherche ne se résume pas à la médecine.

Vivre sur un ancien bateau de commerce… Un rêve que certains ont réalisé même s’ils n’étaient pas bateliers. « Il faut être passionné pour vivre sur une péniche car le quotidien n’est pas toujours rose », souligne Laurie Daffe.

Cette doctorante en anthropologie à l’UCL mène une thèse sur le sujet. Son titre ? « Vivre sur l’eau en Belgique francophone. Ethnographie des transformations sociales, spatiales et matérielles d’anciens bateaux de commerce convertis en habitations. » En somme, elle cherche à comprendre le phénomène de l’habitat sur l’eau.

Sa méthode ? L’observation participante de longue durée. Ce qui ne signifie pas de passer de longs mois au sein d’une famille sur une péniche. « L’immersion constante, c’est un peu l’image d’Épinal que l’on a de l’anthropologie, concède la doctorante. Mais ça ne se fait plus. L’observation participante signifie que je m’implique, que je mets la main à la pâte. Je suis notamment secrétaire de deux associations d’habitants fluviaux. En participant aux choses du quotidien, on se rend mieux compte de la réalité vécue. »

Laurie Daffe a aussi surveillé des péniches quand leurs propriétaires étaient en vacances. « Cela me permet de voir ce à quoi ils doivent faire face. Par exemple, le vandalisme : un jour, un passant avait retiré la passerelle, sans raison… Cela me permet aussi de ressentir ce qu’ils vivent : même si le bateau est amarré, il bouge. Quand il pleut, cela résonne… »

Pas reconnu comme un logement

En Wallonie, quelque 300 péniches, surtout des 38 mètres de long, ont été transformées en logement tandis qu’il y en a 23 à Bruxelles.

« Diverses raisons expliquent le choix des personnes d’y vivre : il y a l’envie de se rapprocher de la nature, être plus proche de l’eau, habiter un endroit calme. Il y a aussi l’idée de liberté : si on veut, on peut bouger. En réalité, peu de bateaux bougent, mais cela reste possible. »

Mais vivre sur l’eau n’a rien d’un long fleuve tranquille. Le statut de bateau-logement n’existe pas, ce n’est pas reconnu comme logement. « La réglementation n’est donc pas adaptée. »

Principale difficulté : obtenir un emplacement. « La règle de base, c’est qu’un bateau peut rester trois mois au même endroit et qu’il peut s’arrêter partout s’il ne gêne pas la navigation, qu’il ne s’installe pas dans un tournant ou sous un pont. En ce qui concerne les emplacements, pas toujours raccordés à l’eau et à l’électricité, il s’agit de contrats d’occupation temporaire. Ils sont toujours précaires. Pour cause d’intérêt public, on peut faire partir les gens sans toujours leur offrir une solution. De plus, il faut parfois attendre entre 1 an et 3 ans avant d’obtenir une réponse. C’est une source de stress importante. »

Un arrêté ministériel suit son parcours législatif pour faciliter les installations aux emplacements désignés par le législateur. « Mais cela ne va pas ouvrir de nouvelles places. Il y a encore beaucoup d’a priori sur ce mode d’habitat même si le dialogue avec les différentes autorités commence à se créer », précise Laurie Daffe.

Près de l’écluse d’Ittre, se trouvent plusieurs péniches transformées en maison. (crédit Laurie Daffe)

Énormément d’entretien

Parmi les autres difficultés rencontrées, il y a la question du budget. Un bateau non transformé coûte entre 30 000 et 80 000 € et il faut compter 100 000 € pour l’aménager. « Or, ce n’est pas un bien hypothécable, donc les banques ne font pas de prêts. Pas mal ont revendu leur maison à terre. Car souvent, les personnes qui décident de vivre sur l’eau ont déjà une carrière derrière elles. À Bruxelles, elles ont entre 30-40 ans tandis qu’en Wallonie, ce sont surtout des 50-60 qui habitent sur un bateau. »

Enfin, il y a les soucis du quotidien. « Cela demande énormément d’entretien. Tous les ans, par exemple, il faut repeindre le bateau. Beaucoup me disent qu’au final, c’est comme avoir une maison mais avec toutes les contraintes d’un bateau. »

Et Laurie Daffe de conclure : « Si certains, dégoûtés, revendent leur bateau, la plupart, malgré les difficultés, ne regrettent pas leur choix de vivre sur l’eau. »

Objectif principal ?

« J’ai envie de sensibiliser le grand public, l’administration et le monde politique à ce phénomène des personnes qui vivent sur l’eau en particulier et à la question du logement non-conventionnel de manière générale », soutient Laurie Daffe, doctorante à l’UCL.

« En navigation sur le bateau d’un informateur conciliant qui m’apprend les rudiments et me laisse les commandes (le « macaron », comme on dit dans le jargon) quelques instants », témoigne Laurie Daffe. (crédit Laurie Daffe)

Des sujets d’études en Belgique aussi

« Je suis originaire de Ciney et en prenant le train, je voyais, à Namur, les bateaux-logements, ce qui m’a donné envie de m’y intéresser, d’autant plus que la thématique du logement est importante à mes yeux », raconte Laurie Daffe. Elle ne connaissait donc pas du tout le sujet avant de s’y intéresser via son mémoire de fin d’études. Un travail qui lui a donné envie d’aller plus en profondeur et d’entamer un doctorat. « Quand on pense à l’anthropologie, on pense souvent à des travaux à l’étranger. Mais il est également intéressant d’en faire dans son propre pays. Il y a des choses à étudier ici aussi. »

 

Quentin COLETTE (L'Avenir Brabant wallon)

Publié le 01 août 2017