Dans une étude publiée dans Nature, nos chercheurs démontrent que le type de sol a une importance primordiale sur la réaction des plantes en cas de sécheresse. Des résultats qui soulignent l’importance de ne pas limiter l’étude des sols à une petite échelle. Les flux d’eau qui y sont associés, notamment via la transpiration des plantes, ont en effet un impact global.
Saviez-vous que les plantes transpirent aussi ? Elles ouvrent de petits pores, appelés stomates, situés sur leurs feuilles pour laisser sortir l’eau qui s’évapore dans l’air. Les plantes ont recours à ce mécanisme physiologique pour faire circuler la sève, pour se rafraîchir, pour transférer des minéraux vers leurs feuilles ou encore pour transmettre des messages chimiques au sein de la plante. Mais en cas de sécheresse, les plantes ferment leurs stomates pour éviter de perdre trop d’eau, ce qui limite aussi leur croissance. La compréhension des facteurs qui contrôlent la régulation stomatique est donc cruciale, notamment pour comprendre la réponse des écosystèmes au réchauffement climatique.
Déclenché par la sécheresse du sol ou de l’air ?
Mathieu Javaux, Physicien du sol au Earth & Life Institute et professeur à la Faculté des bioinégnieurs, étudie les propriétés du sol qui influencent les flux d’eau vers les nappes phréatiques ou vers l’atmosphère via la transpiration des plantes. « Le sol est une zone critique de contrôle des flux d’eau », explique-t-il.
Dans le cadre de ses recherches et de sa collaboration avec Andrea Carminati (ETH Zurich), Mathieu Javaux s’est intéressé à la question de l’influence du sol sur le stress hydrique des plantes. « Aujourd’hui, bien que les facteurs qui affectent les stomates sont connus, il n’y a pas encore de consensus sur les mécanismes qui induisent la fermeture de ces stomates en cas de sécheresse », explique le chercheur. Est-ce la sécheresse du sol ou de l’air qui déclenche l’arrêt de la transpiration des plantes ? C’est ce à quoi les deux chercheurs ont tenté de répondre.
Ensemble, ils ont mis au point un modèle mathématique qui prédit le mouvement d’eau du sol jusqu’à la plante. « Le flux d’eau du sol vers l’air en passant par la plante fonctionne un peu comme un courant électrique qui va passer d’un potentiel élevé à un potentiel plus bas et qui rencontre des résistances sur son trajet. Sur son chemin entre le sol et la plante, l’eau va rencontrer des résistances importantes, notamment dans le sol autours des racines », compare Mathieu Javaux. La résistance du sol est liée à sa texture : sableuse, limoneuse ou argileuse. En conditions de sécheresse, un sol sableux, dont la texture est plus grossière, montre une grande résistance par rapport à un sol argileux qui a une texture beaucoup plus fine.
« Dès que le sable s’assèche, la résistance du sol augmente autours des racines, et l’eau a beaucoup de mal à passer. Cela crée une tension dans la plante qui ferme ses stomates », précise le scientifique.
Des prédictions à l’échelle du globe
Pour étudier cela, les chercheurs se sont basés sur un réseau mondial de tours à flux qui suivent notamment l’évapotranspiration des écosystèmes. « En croisant ces données avec des données de la teneur en eau du sol, on trouve pour chaque écosystème la valeur seuil de la teneur en eau du sol à laquelle les stomates se ferment », explique Mathieu Javaux. « Et nous avons utilisé notre modèle pour prédire ces valeurs selon les différents écosystèmes, types de plantes et type de sol à l’échelle du globe ».
Les résultats de cette étude montrent que le facteur principal qui enclenche la fermeture des stomates des plantes est le type de sol. « C’est la texture du sol qui importe pour déterminer le seuil de la teneur en eau du sol auquel les plantes ferment leurs stomates. Les sols sableux ont une limitation plus brusque à une teneur en eau plus faible tandis que les sols argileux, eux, ont une limitation plus progressive initiée à des teneurs en eau plus élevées. Dès lors, alors que les plantes en sols sableux seront sensibles à un manque d’eau dans le sol, celles en milieu plus argileux seront plus sensibles à une sécheresse de l’air ».
Publiée dans la prestigieuse revue Nature fin octobre, cette étude tend aussi à démontrer que la capacité des plantes à s'adapter à la sécheresse sera spécifique à la texture (granulométrie) du sol. Elle démontre l’importance de la caractérisation des sols pour pouvoir prédire les stress hydriques. « Sur sol sableux où les végétaux sont plus brutalement privés d’eau, la végétation aura moins de temps pour s’adapter à la sécheresse que les plantes vivant sur sol argileux ».
Alors que les sols et leurs propriétés sont majoritairement étudiés à petite échelle pour le moment, ces résultats révèlent qu’ils peuvent être à l’origine d’un impact global.
« Même si la prise d’eau de la plante se produit à une échelle de quelques centimètres autour des racines des plantes, ce phénomène de résistance qui se produit à petite échelle peut avoir un effet à très large échelle. Il est donc important de s’intéresser au sous-sol et tout ce qui est moins visible. Il ne faudrait jamais négliger le sol surtout sur les questions liées aux sécheresses, c’est là que se trouve la réserve en eau », conclut Mathieu Javaux.
Le physicien du sol compte bien poursuivre ses explorations des sols et de leur impact sur les réserves en eau de notre planère, notamment dans le cadre du projet européen « DeepHorizon » que l’UCLouvain coordonne et qui rassemble quelque 19 partenaires pour explorer les réserves d’eau, de biodiversité, de carbone et de nutriments présentes entre 30 cm et 2 mètres sous la surface terrestre.
Mathieu Javaux, physicien du sol |