Utilisation des terres: gare à l’effet papillon!

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50 scientifiques internationaux tirent la sonnette d’alarme : les politiques ne peuvent plus ignorer les impacts de chaque décision concernant l’usage des terres (agriculture, urbanisation, artificialisation, plantation…). « Lorsqu’il s’agit d’utiliser l’espace dont on dispose, il faut adopter une vision plus large et tenir compte des effets indirects et de l’irréversibilité des changements d’usages des terres », plaide Patrick Meyfroidt, professeur à l’UCLouvain et auteur principal du rapport. Optimiste, le chercheur note toutefois une prise de conscience et un changement des mentalités : « Les autorités et la société sont prêtes à entendre notre discours ».

Dans un rapport publié ce lundi dans la prestigieuse revue PNAS, 50 scientifiques, issu·es de 20 pays, lancent un appel aux dirigeant·es du monde entier et plaident pour que des solutions durables, globales et équitables soient développées et mises en place pour protéger les terres et mieux réfléchir à leur utilisation. « Ce que nous avons réuni dans cet article, ce sont des faits scientifiques connus et établis, que nous avons synthétisés et clarifiés ; notre objectif, c’est qu’ils soient enfin pris en compte par les dirigeant·es politiques et par la société dans son ensemble. Aujourd’hui, nous sommes face à une société qui sait, mais qui pourtant regarde ailleurs. Cela doit changer », explique Patrick Meyfroidt, professeur à l’école de géographie de l’UCLouvain et auteur principal du rapport.

Ce rapport dresse notamment une liste de faits dont de multiples acteurs (publics, privés, etc.) devraient tenir compte lorsqu’ils prennent des décisions concernant l’utilisation des terres. Les scientifiques insistent sur l’effet papillon de ces décisions et mettent en garde contre leurs diverses conséquences : économiques, sanitaires, culturelles, sociales, environnementales, spirituelles… « Lorsqu’il s’agit des terres, toute politique visant à aider ou à favoriser un secteur aura des implications sur d’autres domaines », illustre Patrick Meyfroidt.
Et le chercheur UCLouvain de prendre l’exemple, très populaire actuellement, des plantations massives d’arbres : si l’idée est séduisante pour lutter contre les changements climatiques, elle n’est pas idéale partout, si elle nécessite des compromis avec d’autres fonctions telles que la production de nourriture ou la préservation de la biodiversité. « Vous pouvez tenir le même raisonnement avec l’artificialisation des surfaces, la production d’agrocarburants, la substitution de matériaux de construction (comme le béton par du bois), l’installation d’éoliennes ou de panneaux solaires ou l’agriculture bio. Lorsqu’il s’agit des terres, il faut adopter une vision très large : chaque choix doit être posé à l’aune de ce que vous gagnerez mais aussi des impacts négatifs potentiels qu’il peut y avoir, chez nous ou à l’étranger », plaide le professeur de l’UCLouvain.

Les décisions politiques, souvent dictées par des impératifs économiques de court terme ou les futures échéances électorales, devraient être prises sur le long terme et en tenant compte de ces impacts inévitables. « Malheureusement, on note encore, chez les responsables, une négligence des faits scientifiques et l’absence de réalisation, pourtant fondamentale, de l’irréversibilité des changements, déplore Patrick Meyfroidt. Si, après avoir rasé une forêt primaire, vous la replantez, elle ne sera jamais comme avant. Quand c’est perdu, c’est perdu ! »
En matière d’utilisation des terres, la Belgique est loin de figurer parmi les meilleurs élèves. Elle devrait notamment repenser d’urgence sa politique d’artificialisation des terres, estime le chercheur. « Plusieurs pays asiatiques ont des politiques plus strictes sur ces dossiers. »

Si les faits repris dans le rapport ne sont pas neufs, l’équipe de scientifiques espère que leur synthèse des faits et de leurs conséquences poussera les responsables à se poser davantage de questions. « J’ai le sentiment que c’est peut-être le bon moment, que les mentalités ont changé. Il y a une prise de conscience : tant les autorités que la société me semblent aujourd’hui prêtes à entendre notre discours, espère Patrick Meyfroidt. Lors des inondations de juillet dernier, on a par exemple parlé d’urbanisme et d’utilisation des terres, on a évoqué les conséquences de décisions économiques et politiques sur le quotidien des riverains installés dans ces zones inondables, etc. Il est plus que temps d’avoir une vision globale de l’usage de nos terres. »

Lien vers l'article : https://www.pnas.org/content/119/7/e2109217118

Publié le 07 février 2022