Vaccination en Afrique : le peuple se méfie

 

Pourquoi la vaccination des enfants ne progresse-t-elle pas en Afrique ? Parce que les parents se méfient des institutions locales et nationales. Un état d’esprit qui accentue leur hésitation à l’égard des vaccins et menace la santé mondiale. C’est le résultat d’une étude à laquelle Jean-François Maystadt, professeur d’économie à l’UCLouvain a participé.  Les chercheurs estiment qu’il est urgent de rétablir la confiance du peuple africain envers les autorités. Le déploiement mondial des vaccins est considéré comme crucial pour mettre fin à la pandémie du Covid-19.

Selon l’étude publiée dans BMJ Global Health, la méfiance à l’égard des institutions locales et nationales joue un rôle important dans le ralentissement des progrès de la vaccination des enfants en Afrique. Le continent abrite la moitié des enfants non vaccinés ou en manque de vaccinations de base dans le monde, selon de nouvelles recherches. Les scientifiques révèlent que les taux de vaccination des enfants en Afrique sont considérablement plus faibles dans les zones où le niveau de méfiance envers les autorités locales et nationales est plus élevé. Même en comparant les enfants de ménages ayant des caractéristiques socio-économiques identiques, qui vivent dans la même zone et ont un accès similaire aux établissements de santé, la méfiance à l'égard des autorités locales, du gouvernement, des institutions est un facteur très important lorsqu'il s'agit de la vaccination des enfants par les parents.

Des chercheurs de l'UCLouvain, de l'Université de Lancaster, de l'Université d'Anvers et de l'International Food Policy Research Institute (IFPRI) ont rassemblé des informations sur l'état de vaccinations de près de 167000 enfants dans 22 pays africains. Et ils les ont comparées avec des informations sur les niveaux de confiance envers leurs institutions.
De ces informations, il résulte que les vaccinations des enfants étaient significativement plus faibles dans les régions où les gens ne faisaient pas confiance aux tribunaux, au parlement, au chef de l'État et au gouvernement local. Par exemple, lorsque la méfiance envers les autorités locales augmente de 10 points de pourcentage, les enfants vivant dans cette région étaient 11% plus susceptibles de ne recevoir aucun des huit vaccins de base (le vaccin BCG ou Bacillus Calmette-Guérin, trois doses de la diphtérie combinée, vaccin contre la coqueluche et le tétanos; trois doses du vaccin antipoliomyélitique et une dose de vaccin contre la rougeole) et la probabilité de recevoir les huit vaccins ne s’élève qu’à 3,4%.

« L’hésitation à la vaccination était déjà reconnue comme l'une des menaces les plus importantes pour la santé mondiale avant l'épidémie de la COVID-19, mais a été principalement documentée dans les pays à revenu élevé comme la France ou les États-Unis », déclare le Dr Jean-François Maystadt, professeur d'économie à l'UCLouvain, membre du Louvain Institute of Data Analysis and Modeling in economics and statistics  et chercheur qualifié FNRS. « Notre analyse quantitative démontre que la méfiance institutionnelle est un obstacle important à la réalisation de la vaccination universelle des enfants en Afrique et pose un risque majeur pour les campagnes de vaccination - qui sont plus importantes que jamais ».

Un autre co-auteur, le Dr Nik Stoop, de l'Université d'Anvers, ajoute: « nos résultats rejoignent des études de cas plus qualitatives, suggérant que la méfiance est un facteur important d'hésitation à l'égard des vaccins. Un exemple bien connu est la façon dont les communautés nigérianes ont boycotté la vaccination contre la polio au début des années 2000, ce qui a conduit à l'éclosion d'une maladie qui avait presque été éradiquée. Mais d'autres exemples peuvent être trouvés dans de nombreux pays africains, notamment au Cameroun, au Tchad, en RDC, au Mozambique, au Nigéria ou au Soudan du Sud ».

Pas uniquement un problème africain ?

Selon les auteurs, si leur étude est la première tentative de quantifier de manière globale le rôle de la méfiance institutionnelle sur l'adoption de la vaccination infantile en Afrique, le problème ne se fait pas sentir uniquement sur le continent africain. La méfiance à l'égard des autorités ayant un impact sur l'adoption des vaccins a déjà été documentée dans des pays à revenu élevé comme la Russie, les États-Unis, la France et la Croatie.
Sur base de leurs résultats, les chercheurs affirment qu'il est urgent de reconnaître l'importance de la méfiance dans les campagnes de vaccination, en particulier dans un monde post-COVID où le déploiement mondial des vaccins est considéré comme crucial pour mettre fin à la pandémie.

Un enjeu aussi pour la vaccination contre la COVID-19 ?

« Il ne fait aucun doute que la vaccination contre la COVID-19 en Afrique est limitée par des contraintes d'approvisionnement et d'énormes défis logistiques. Mais même si des mécanismes d'allocation mondiale comme COVAX ou la disponibilité de nouveaux vaccins devaient surmonter ces défis, nous aurions encore besoin de convaincre les gens de se faire vacciner », poursuit le Dr Maystadt. « L'absence d'action laisse de la place aux antivax, dans un contexte où la médecine traditionnelle occupe une place indûment prépondérante dans plusieurs pays africains – ce qui représente de graves risques pour la santé des individus et du continent dans son ensemble ».

La pandémie ayant conduit à l’annulation de plusieurs campagnes de vaccination, les auteurs appellent à de nouvelles approches afin de protéger les 2,6 millions d’enfants de moins de 5 ans qui, selon les estimations, risquent de mourir de maladies qui pourraient être prévenues par la vaccination d’ici à 2030.
S'il est important de renforcer la lutte contre les mythes et la communication autour des avantages des vaccins, il est peu probable que cela suffise sans que la confiance dans les sources/les diffuseurs d'informations s'améliore de manière significative.
« Les leçons tirées des campagnes réussies en Afrique soulignent l'importance de s'engager avec les communautés locales, les dirigeants politiques ou religieux et de fournir un espace pour un dialogue ouvert », ajoute le Dr Kalle Hirvonen, co-auteur et chercheur à l'IFPRI en Ethiopie. « Cependant, de nombreuses incertitudes subsistent sur la manière dont les initiatives locales peuvent être étendues, et des questions doivent être posées sur le rôle des médias sociaux au sein des communautés locales. Dans un monde post-COVID où la mobilité est limitée et les gens sont plus isolés, nous avons vu les réseaux sociaux devenir des plateformes idéales pour diffuser des opinions anti-vaccination ».

Publié le 04 mai 2021