Entre septembre 2017 et Mars 2018, l’équipe du CIRFASE a mené une enquête auprès de 1676 étudiant·e·s de la fédération Wallonie-Bruxelles en utilisant l’enquête du Leuven/Louvain Adolescents Survey.
Voici les premiers résultats concernant les pratiques numériques des Adolescents. Ces résultats ont été analysé par la Professeure Laura Merla, le Professeur Jacques Marquet et Jonathan Dedonder, Logisticien de recherche.
ATTENTION : les analyses qui suivent ont été effectuées sur la population des 11-18 ans !
Note méthodologique
La plupart des tableaux ici présentés sont des tableaux simplifiés. À titre d’exemple, le tableau 2 ne présente que les pourcentages de jeunes rapportant que les différentes pratiques prises en considération leur sont strictement interdites par leur mère. Parmi les autres, il ne permet donc pas de faire la distinction entre les jeunes pour qui elles sont autorisées de façon limitée et ceux pour lesquels il n’y a (pratiquement) pas de limite. En outre, dans ce même tableau, les étudiant·e·s très peu nombreux/ses de l’enseignement artistique n’ont pas été repris·es dans le même but de simplification de la présentation des résultats. Ceci a pour conséquence que les cases soulignées en jaune, ce qui souligne l’existence d’une relation statistique établie entre les deux variables considérées, pourraient parfois interpeler dans un premier temps ; il ne faut donc pas oublier que des écarts peuvent exister entre les modalités non présentées ici.
Communication avec les membres de la famille
Le premier résultat marquant est que les étudiant·e·s utilisent une large palette de médiums numériques pour communiquer avec les membres de leur famille (de 4 à 8 médiums différents).
Figure 1 Pourcentage d'étudiant·e·s utilisant ces réseaux sociaux
Parmi ces médiums, les 3 principaux sont Facebook (68%), puis les applications de communication multimodales Whats App/Skype/FaceTime (63%) et enfin Snapchat (53%). L’utilisation de ces médias ne varie pas, quel que soit le sexe de l’enfant.
Contrairement à ce que d’autres études montrent, Facebook continue donc à être utilisé par les adolescents, mais ici dans le cadre de leurs relations familiales (par exemple, en faisant partie d’un groupe « famille »). Autrement dit, les jeunes utiliseraient Facebook pour interagir avec la génération qui l’utilise le plus, à savoir celle de leurs parents.
Si on n’observe pas de réelle différence genrée dans l’utilisation de Facebook et des App de communication multimodale, on constate que les filles utilisent plus Snapchat que les garçons pour communiquer avec leur famille. Ceci est en phase avec les statistiques générales d’utilisation de Snap, qui est, à l’échelle mondiale, utilisé à 70% par des (jeunes) femmes. (voir notamment https://www.omnicoreagency.com/snapchat-statistics/)
Figure 2 Pourcentages d'étudiant·e·s utilisant Facebook, Whatsapp ou Skype et Snapchat en fonction de leur âge
On remarque également que l’utilisation de Facebook augmente avec l’âge, alors qu’il n’y a pas de différence de cet ordre pour les autres médiums. Deux interprétations peuvent être mises en avant ici :
- soit ceci nous envoie un signal concernant les changements d’habitudes des ados, dans lesquelles on peut voir poindre une perte de vitesse de Facebook, déjà mentionnée dans d’autres études.
- Soit on peut y lire le fait que les jeunes qui commencent à communiquer en ligne le font davantage en entrant d’abord par les App multimodales (et Snap en particulier pour les filles), et ajouteront plus tard Facebook à leur palette. D’autant plus que, d’une part, il faut en principe avoir au moins 13 ans pour se créer un compte Facebook (même si cette règle est facilement contournable) et, d’autre part, les plus âgé·e·s sont amené·e·s à se créer des profils Facebook à la fois dans le cadre du travail scolaire (création de groupes Facebook pour réaliser des travaux de groupe) et dans le cadre de leurs sociabilités et pratiques culturelles (créer des événements/participer et s’inscrire à des événements/suivre des groupes qui les intéressent, etc.), ce qui peut ensuite les pousser à utiliser également la plateforme pour communiquer en famille.
On observe également que les jeunes scolarisé·e·s dans le technique et le professionnel utilisent davantage ces différents médiums pour communiquer avec leur famille, que les jeunes scolarisés dans l’enseignement général.
Enfin, on constate également une plus grande utilisation de ces médiums pour communiquer avec la famille chez les jeunes vivant en famille non nucléaire (- c’est le cas en particulier pour Facebook et pour les jeux vidéo dont nous parlerons ci-dessous).
Tableau 1. Utilisation de Facebook et des jeux vidéo en fonction du genre et de l’âge des étudiant·e·s
|
Jeux vidéo |
||
Genre |
Fille |
76,8 |
9,0 |
Garçon |
75,1 |
34,8 |
|
Age |
11-13 |
57,4 |
28,2 |
14-15 |
81,4 |
22,6 |
|
16-18 |
84,2 |
14,0 |
|
Famille |
Nucléaire |
70,6 |
17,8 |
Non-Nucléraire |
84,6 |
26,1 |
La spécificité des jeux vidéo
Un médium apparaît comme étant particulièrement genré : les jeux vidéo, majoritairement utilisés par des garçons pour communiquer avec leur famille, même si cela représente une petite proportion de notre population (21% des jeunes de notre enquête ont déclaré les utiliser pour communiquer en famille, mais ces 21% masquent une réalité genrée : 9% de filles pour 35% de garçons ). Ici aussi cela s’explique en grande partie par le fait que de nombreuses études montrent que les garçons sont en effet les utilisateurs principaux de jeux vidéos (y compris jeux multijoueurs en ligne et mondes virtuels).
On retrouve ici donc d’une part, une écrasante majorité de garçons ; plus de 11-13 ans que d’autres groupes d’âge; et une utilisation des jeux pour communiquer principalement avec les parents et la fratrie. Enfin, on communique davantage avec la famille via les jeux vidéo dans les familles non nucléaires.
La spécificité des familles nucléaires et familles non-nucléaires
Les résultats tendent à montrer que les jeunes dont les parents sont séparés (peu importe, le mode de garde mis en place) utilisent plus que les autres les médiums virtuels pour communiquer en famille, ce qui semble logique : quand les interactions de face à face ne font plus partie du quotidien, voire se raréfient, le numérique devient un outil de communication qui permet d’entretenir le lien, et de créer des formes de coprésence virtuelle.
Figure 3 Pourcentages d’utilisation des réseaux en fonction du membre de la famille et de l’âge des étudiant·e·s
Rem : ce graphique présente les résultats pour celles et ceux qui utilisent chaque réseau, il ne reflète pas l’importance relative de chaque réseau dans les pratiques générales. Snapchat reste bien le troisième médium utilisé par les jeunes après Facebook et whatsApp/skype.
Facebook est surtout utilisé par les jeunes pour communiquer avec leurs parents, puis les membres de la famille de la même génération qu'elles et eux ... (fratrie et cousins/cousines). Notons toutefois que les garçons utilisent plus Facebook que les filles pour communiquer en intra-générationnel . Rappelons également que Facebook est plus utilisé dans les familles non nucléaires que les autres.
WhatsApp/Skype/FaceTime sont utilisés de manière transversale au sein des familles, et les filles l’utilisent plus que les garçons pour communiquer avec leur fratrie.
Snap est également un outil transversal tant au niveau des générations que des profils de jeunes quand on regarde avec qui on communique. On observe juste un effet filière dans l'utilisation avec les parents et avec les cousin·e·s/cousines, qui est plus répandue dans le professionnel (pas représenté dans le graphique ci-dessus).
- Concernant l’hypothèse émise plus haut concernant le fait que les jeunes utiliseraient Facebook pour communiquer par effet d’entraînement de leurs parents (puisque mes parents l’utilisent, je l’utilise pour communiquer avec eux), le graphique nuance la vision, car on voit que si les jeunes communiquent beaucoup sur Facebook avec leurs parents, leurs échanges concernent en premier lieu leur fratrie et/ou cousins-cousines.
Quels outils ?
Quels outils les jeunes ont-ils à leur disposition et à quelle fréquence les utilisent-ils ?
Tableau 2. Utilisation des outils informatiques en fonction de l’âge des étudiant·e·s.
Tout âge confondu |
11-13 |
14-15 |
16-18 |
|
Smartphone |
88,0 |
84,2 |
87,5 |
91,0 |
Ordinateur portable |
76,5 |
68,7 |
79,0 |
79,4 |
Tablette |
69,1 |
77,9 |
70,3 |
62,0 |
Télévision |
85,2 |
83,5 |
84,0 |
87,5 |
Parmi les outils numériques, on retrouve d’abord et avant tout le smartphone, puis le laptop et enfin la tablette. Notons que la plupart des jeunes ont une TV.
Mais une différence en fonction de l’âge est observée: ce sont surtout les plus âgés qui ont un smartphone (et/ou un laptop) , alors que la tablette est plus présente chez les plus jeunes que chez les autres.
La tablette apparaît en effet comme un outil privilégié par les parents pour familiariser les enfants avec le numérique. Cet outil est en effet rassurant pour les parents, à plusieurs titres. D’une part, il ne nécessite pas d’acquérir un abonnement comme c’est le cas pour les Gsm ; il ne permet les connexions que via wifi dans la plupart des cas (soit en principe à la maison ou au domicile des grands-parents, etc.) ; les parents ont le sentiment qu’ils peuvent mieux surveiller l’activité en ligne de leurs enfants, car il est plus difficile de masquer une activité sur une tablette que sur un smartphone ; et cet outil apparaît aux yeux des parents plus comme un outil ludique (cf. utilisé pour jouer à des jeux, regarder des vidéos) que comme un outil de communication vers l’extérieur (ce qui n’empêche pourtant pas nécessairement les jeunes de l’utiliser pour cet usage, via des applications comme Skype, etc.).
Concernant la fréquence, on peut relever que la plupart des jeunes utilisent au moins une fois par jour les outils qu’ils ont à leur disposition.
Notons également que 85,7% des répondant·e·s possèdent au moins 2 outils (2.6% 1 outil et 11,7% aucun outil), sans distinction de genre. Cependant le nombre d’outils augmente significativement avec l’âge. 3,9 outils pour les 11-13 ans et 4,39 outils pour les 14-15ans et 4,49 outils pour la tranche d’âge 16-18 ans. La différence se marque principalement à cet égard entre les 11-13 avec le groupe des 14-15 ans. 14 ans est ici un âge-charnière.
Les pratiques numériques contrôlées ...
Les écarts mères/pères sont relativement limités (systématiquement inférieurs à 5%) et, à une seule exception (le temps passé dans le monde virtuel), ils vont dans le sens de taux d’interdiction rapportés légèrement supérieurs pour les pères.
Figure 4 Interdiction de réaliser un comportement en fonction du parent
Tableau 2. Contrôle maternel en fonction du genre et de l’âge de l’étudiant·e·s.
% d’interdiction de faire les choses suivantes sur internet ? |
Genre |
Âge |
||||
|
Filles |
Garçons |
11-13 ans |
14-15 ans |
16-18 ans |
|
Utiliser une caméra web ou sur mon smartphone |
27.3 |
31.9 |
34.3* |
27.9* |
27.6* |
|
Télécharger de la musique ou des films |
22.0 |
22.4 |
26.7* |
18.2* |
22.8* |
|
Visiter un réseau social |
19.0* |
22.1* |
23.8* |
16.9* |
21.3* |
|
Regarder des vidéo-clips |
17.5 |
17.9 |
19.6* |
12.6* |
21.2* |
|
Jouer à des jeux multijoueurs en ligne |
44.9* |
20.7* |
32.8* |
31.0* |
36.1* |
|
Aller sur un chat |
31.7* |
26.0* |
26.6* |
26.6* |
33.0* |
|
Utiliser une messagerie instantanée |
19.8 |
24.1 |
25.3* |
18.0* |
23.0* |
|
Lire, regarder les informations en ligne |
21.4 |
22.0 |
24.7 |
17.4 |
23.7 |
|
Utiliser Internet pour ton travail scolaire |
17.6 |
20.2 |
21.4* |
14.3* |
21.3* |
|
Passer du temps dans un monde virtuel |
54.6* |
31.5* |
41.0* |
41.4* |
47.8* |
|
Partager des photos, vidéos, de la musique en ligne avec d’autres personnes |
24.8 |
26.1 |
28.2 |
22.6 |
26.1 |
|
En couleur, italique et marqués d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Comme on le voit à partir des opinions rapportées en ce qui concerne le contrôle exercé par les mères, l’âge des étudiant·e·s semble être une variable particulièrement déterminante pour expliquer l’autorisation ou l’interdiction d’une pratique numérique. Selon les pratiques, d’autres variables doivent cependant aussi être considérées.
Il est à noter que le degré d’autorisation d’avoir ces différentes pratiques a aussi été croisé avec les variables « configuration familiale » et « niveau d’étude des parents ». En ce qui concerne le contrôle maternel, la première n’est liée qu’à une seule pratique (l’usage du chat) et la seconde à aucune d’entre elles. Il en va tout autrement lorsque l’on considère le contrôle paternel : la configuration familiale devient cette fois une variable fréquemment discriminante.
Tableau 3. Contrôle paternel en fonction du genre et de l’âge des étudiant·e·s.
% d’interdiction de faire les choses suivantes sur internet ? |
Genre |
Âge |
||||
|
Filles |
Garçons |
11-13 ans |
14-15 ans |
16-18 ans |
|
Utiliser une caméra web ou sur mon smartphone |
31.4 |
29.9 |
33.2* |
30.7* |
29.0* |
|
Télécharger de la musique ou des films |
27.2 |
24.9 |
29.4 |
23.5 |
26.4 |
|
Visiter un réseau social |
26.6 |
23.4 |
27.7 |
22.3 |
26.0 |
|
Regarder des vidéo-clips |
24.2 |
19.6 |
22.1* |
18 .5* |
25.4* |
|
Jouer à des jeux multijoueurs en ligne |
46.0* |
23.4* |
34.6* |
35.5* |
35.4* |
|
Aller sur un chat |
34.6* |
25.6* |
29.4 |
31.1 |
30.4 |
|
Utiliser une messagerie instantanée |
27.7 |
25.2 |
28.1* |
24.0* |
27.8* |
|
Lire, regarder les informations en ligne |
26.4 |
22.2 |
28.1 |
21.9 |
24.4 |
|
Utiliser Internet pour ton travail scolaire |
22.6 |
21.9 |
24.8 |
18.4 |
24.2 |
|
Passer du temps dans un monde virtuel |
51.3* |
30.1* |
39.1* |
41.8* |
42.3* |
|
Partager des photos, vidéos, de la musique en ligne avec d’autres personnes |
31.6 |
26.4 |
31.9 |
27.3 |
29.2 |
|
En couleur, italique et marqués d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Qu’il s’agisse du contrôle subjectif maternel ou paternel, les filles rapportent un degré d’interdiction plus élevé que celui des garçons pour les pratiques suivantes : jouer à des jeux multijoueurs en ligne, aller sur un chat, et passer du temps dans un monde virtuel.
L’âge apparaît comme une variable discriminante pour 9 pratiques sur 11 lorsqu’il s’agit d’évaluer le contrôle des mères, pour 5 pratiques seulement lorsqu’il s’agit des pères. Cette observation est en phase avec l’implication différenciée des mères et des pères dans l’éducation des enfants et adolescents. D'avantage présentes au quotidien, les mères ont tendance à construire des relations plus personnalisées, ce qui conduit à distinguer les enfants et adolescents selon leur âge, là où les pères continuent à avoir tendance à intervenir pour rappeler les règles du groupe familial, ce qui conduit à atténuer ces distinctions. Pour l’âge, on notera par ailleurs que le taux d’interdiction ne diminue pas nécessairement avec l’âge. Cela résulte en partie d’un effet d’enquête : on peut faire l’hypothèse qu’une part significative des étudiant·e·s n’ayant aucun intérêt pour une pratique ne se sera pas sentie concernée par la question et n’aura pas répondu. De ce point de vue, une étude auprès des parents enregistrerait sans doute des résultats bien différents.
Tableau 4. Contrôle paternel en fonction de la configuration familiale de l’étudiant·e.
% d’interdiction de faire les choses suivantes sur internet? |
Configuration familiale |
|
|||
|
Parents ensemble |
Héberg. Égalitaire |
Héberg. Princ. |
Perte contact |
|
Utiliser une caméra web ou sur mon smartphone |
29.2 |
27.1 |
31.5 |
43.1 |
|
Télécharger de la musique ou des films |
23.7* |
26.8* |
27.9* |
39.4* |
|
Visiter un réseau social |
21.9* |
22.7* |
30.4* |
40.4* |
|
Regarder des vidéo-clips |
19.0* |
20.8* |
26.9* |
36.7* |
|
Jouer à des jeux multijoueurs en ligne |
33.2* |
34.8* |
37.3* |
46.4* |
|
Aller sur un chat |
28.4* |
23.9* |
33.0* |
45.5* |
|
Utiliser une messagerie instantanée |
23.4* |
22.1* |
33.0* |
40.8* |
|
Lire, regarder les informations en ligne |
21.1* |
20.8* |
30.7* |
40.8* |
|
Utiliser Internet pour ton travail scolaire |
19.0* |
17.0* |
28.2* |
40.4* |
|
Passer du temps dans un monde virtuel |
40.7* |
35.2* |
38.3* |
56.8* |
|
Partager des photos, vidéos, de la musique en ligne avec d’autres personnes |
26.8* |
22.3* |
33.7* |
45.2* |
|
En couleur, italique et marqués d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Comme il l’a déjà été indiqué, la différence majeure entre le contrôle parental estimé concerne la configuration familiale. Cette variable n’est discriminante qu’une fois pour les mères et dix fois pour les pères. On peut faire l’hypothèse que cette différence majeure renvoie à l’exercice différencié de l’autorité. Les pères apparaissent plus fréquemment que les mères comme des partenaires éducatifs, c’est-à-dire qu’ils interviennent alors en complément des mères plus présentes dans le quotidien des enfants. Dès lors qu’ils ne sont plus en couple avec les mères de leurs enfants, ils ne peuvent plus s’appuyer de la même manière sur leur travail éducatif quotidien. Si la situation de l’hébergement égalitaire requiert que l’ancien couple continue à opérer comme tandem éducatif, il n’en est pas de même pour les situations d’hébergement principal et moins encore pour les situations où un seul parent a gardé un contact avec le jeune. Dans ces deux derniers cas de figure, soit le père est celui qui a la garde principale ou le contact unique avec le jeune et le fait de devoir assumer seule cette responsabilité pourrait l’amener à manifester davantage son autorité que lorsqu’il secondait son épouse ou sa compagne ; soit il ne voit son enfant que de façon épisodique et il peut souhaiter apparaître comme un père en jouant un de ses rôles traditionnels (l’autorité) ou en faisant de ces moments rares passés avec lui des moments privilégiés ce qui l’amènerait à tenter de réduire les usages numériques, soit encore le père absent est remplacé par un autre homme qui pourrait lui aussi vouloir marquer sa différence par rapport à celui-ci en assurant cette autorité historiquement assumée par les pères.
Usages des réseaux sociaux non circonscrits à la communication avec la famille
Les lieux de chat et d’interaction sur les réseaux sociaux
Les données du graphique 5 laisse apparaitre que le chat et la fréquentation des réseaux sociaux sont des activités personnelles, à ce titre, les situations où le jeune se retrouve seul récoltent le plus de réponses positives, mais elles ne sont pas nécessairement des activités solitaires, la famille et/ou les amis pouvant être présents (la miniaturisation des appareils réduisant les risques d’intrusion même en situation de coprésence), voire même participer. Le taux de réponses positives en classe, où c’est en principe interdit, montre la prégnance des pratiques dans cette population.
Figure 5 Pourcentages d'étudiant·e·s utilisant un outil informatique pour se connecter dans ces différents lieux
Tableau 5. Les lieux de chat et d’interaction sur les réseaux sociaux en fonction du genre et de l’âge des étudiant·e·s
Dans quels endroits utilises-tu ton smartphone, ta tablette ou ton ordinateur pour chatter en ligne et aller sur les réseaux sociaux ? % de « oui » |
Genre |
Âge |
|||
|
F |
G |
11-13 |
14-15 |
16-18 |
Seul·e dans ma chambre |
96.2* |
92.4* |
90.5* |
93.6* |
97.6* |
Dans ma chambre avec mon frère ou ma sœur |
66.0* |
54.4* |
56.1* |
60.6* |
63.6* |
Dans ma chambre avec des amis |
83.4* |
75.4* |
74.7* |
78.7* |
83.8* |
Seul·e dans le salon ou la cuisine |
92.8* |
87.7* |
85.5* |
89.0* |
94.9* |
Dans le salon ou la cuisine avec ma famille dans la même pièce |
85.0* |
80.6* |
78.1* |
83.1* |
86.0* |
En classe |
50.6 |
54.0 |
28.1* |
43.9* |
74.2* |
A l’école pendant la récréation |
74.5 |
71.0 |
50.9* |
66.4* |
86.6* |
En couleur, italique et marqués d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Du point de vue du genre, l’ensemble des lieux privés sont davantage mobilisés par les filles que les garçons ; il n’y a qu’à l’école qu’aucune différence statistiquement significative n’apparaît. Pour la variable « âge » par contre, tous les écarts sont statistiquement significatifs : plus les étudiant·e·s sont âgé·e·s, plus les pourcentages de pratique dans ces divers lieux sont élevés, signe de pratiques qui s’accroissent avec l’âge.
En ce qui concerne la configuration familiale, les situations d’hébergement, et donc les situations où il y a eu séparation du couple parental, semblent faire de la chambre des jeunes un espace plus investi encore que dans les autres situations pour la pratique du chat ou la fréquentation des réseaux sociaux. De ce point de vue cependant, les écarts restent mesurés. Il en va tout autrement pour la pratique du chat et la fréquentation des réseaux sociaux à l’école où les écarts sont plus importants et vont dans le sens d’une pratique minimale lorsque les parents sont ensemble et maximale dans les situations d’hébergement principal et de perte de contact avec un des parents (au moins). Ces données invitent à s’interroger sur l’évolution du suivi et de l’attention parentale portée à la scolarité suite aux ruptures conjugales, pas nécessairement en termes de réduction de l’investissement parental, même s’il ne faut pas l’exclure, mais aussi en termes de transformation de la signification même de l’investissement dans la scolarité pour les parents et pour les jeunes.
Figure 6 Pourcentages d'étudiant·e·s utilisant un outil informatique pour se connecter dans ces différents lieux en fonction de la configuration familiale
Les pratiques « à risques »
L’acceptation des amis sur les réseaux sociaux
La question de savoir comment les jeunes font la sélection de leurs ami·e·s sur les réseaux sociaux fut appréhendée à partir des cinq questions figurant dans le tableau 8. Sa lecture n’en est pas immédiate dès lors que les jeunes pouvaient cocher plusieurs réponses et que certaines d’entre elles peuvent paraître contradictoires. En suivant les règles de logiques formelles, on pourrait s’attendre à ce qu’un·e répondant·e ne coche pas à la fois les réponses 3 et 4, et pourtant plus de la moitié des jeunes ont procédé de la sorte.
il ressort néanmoins clairement qu’une large majorité de jeunes n’accepteraient sur leurs réseaux sociaux que des personnes qu’ils connaissent. Il n’est cependant pas inintéressant de s’arrêter quelques instants aux réponses minoritaires : l’attente d’autorisation des parents et l’acceptation de tou·te·s les ami·e·s. Avec les réserves nécessaires, vu les contradictions enregistrées au niveau des réponses – car parmi les jeunes qui disent accepter tou·te·s les ami·e·s : 53% disent n’accepter une demande que s’ils ont des ami·e·s en commun, 70.9% que s’ils connaissent la personne, 58.1% que s’ils connaissent très bien la personne et 40% qu’avec l’autorisation des parents – il semblerait que les garçons soient surreprésentés dans les deux groupes, à la fois le groupe acceptant sans filtre et le groupe attendant l’autorisation parentale. Il en serait de même pour les plus jeunes et les étudiant·e·s de l’enseignement technique. Que la prise de conscience des risques d’une absence de discernement dans la sélection de ses relations sur internet et la prise de distance par rapport à l’autorité parentale soient liées à l’âge ne fait guère de doute. Pour ce qui est du genre et de la filière, les résultats sont moins immédiats.
Tableau 6. Acceptation de tous les amis et attente de l’autorisation parentale en fonction du genre et de l’âge des étudiant·e·s
Qu'est-ce que tu réponds habituellement lorsque tu reçois des demandes d'amis sur vos réseaux sociaux ? % de « oui » |
Genre |
Âge |
|||
|
Filles |
Garçons |
11-13 ans |
14-15 ans |
16-18 ans |
J’approuve toutes les demandes d’amis |
6.7* |
15.3* |
18.5* |
10.0* |
6.7* |
J’approuve une demande d’ami seulement si mes parents m’y autorisent |
9.2* |
15.9* |
17.2* |
14.1* |
7.6* |
En couleur, italique et marquée d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Activités potentiellement à risques
Cette analyse peut être poursuivie en étudiant les déclarations des jeunes relativement à leurs pratiques internet récentes (la dernière année). La recherche d’ami·e·s et les contacts sur internet avec des personnes jamais rencontrées auparavant concernent six jeunes sur dix. La rencontre en face à face de personnes uniquement connues via internet et l’ajout de personnes non encore rencontrées en tant que contact ou ami·e est le fait d’environ quatre jeunes sur dix. Les pratiques ordinairement considérées comme « à risque » – envoyer des informations personnelles (nom complet, adresse ou numéro de téléphone) ou des photos ou vidéos de soi à une personne jamais rencontrée – concernent un peu moins de deux jeunes sur dix, tout comme le fait de travestir son identité pour échanger sur le net.
Figure 8 Pourcentages d’étudiant·e·s réalisant ces comportements au cours de l’année
Le tableau 7 permet d’aller un peu plus loin dans le raisonnement.
Tableau 7. Les pratiques récentes sur internet en fonction du genre, de l’âge et de la configuration familiale
% de « oui » |
Genre |
Âge |
Configuration familiale |
||||||
|
F |
G |
11-13 |
14-15 |
16-18 |
PE |
HE |
HP |
PC |
Au cours de l’année dernière : a recherché de nouveaux amis ou contacts sur Internet |
62.2 |
63.9 |
61.4 |
63.4 |
63.4 |
62.8 |
67.1 |
64.6 |
59.5 |
Au cours de l’année dernière : a envoyé des informations personnelles à quelqu'un jamais rencontré |
13.0* |
25.2* |
21.8 |
16.3 |
18.4 |
17.6 |
21.0 |
21.0 |
17.9 |
Au cours de l’année dernière : a ajouté des amis ou des contacts jamais rencontrés |
34.6* |
41.8* |
40.3 |
37.7 |
36.6 |
37.1 |
38.3 |
43.9 |
34.2 |
Au cours de l’année dernière : a agi en ligne en prétendant être une autre personne |
9.8* |
22.9* |
22.6* |
15.9* |
12.0* |
14.5 |
22.8 |
13.4 |
20.1 |
Au cours de l’année dernière : a envoyé une photo ou vidéo de soi à quelqu’un jamais rencontré |
13.7* |
22.2* |
21.4 |
15.1 |
17.5 |
16.0 |
21.3 |
20.0 |
19.5 |
A eu des contacts sur Internet avec quelqu’un jamais rencontré |
61.9 |
62.0 |
49.0* |
61.1* |
69.5* |
59.5 |
60.0 |
67.2 |
67.4 |
Au cours de la dernière année : a rencontré quelqu’un d’abord connu sur Internet |
40.7 |
42.5 |
34.7* |
39.3* |
47.0* |
38.8 |
43.8 |
48.9 |
43.7 |
En couleur, italique et marquée d’un astérisque, les écarts statistiquement significatifs au seuil 0.05
Pour les indicateurs de risque au sens strict, une seule variable semble discriminante : le genre. Les garçons sont significativement plus nombreux à prendre des risques que les filles. On retrouve ici une observation déjà réalisée par les auteurs de l’enquête Sociogeek.
Les garçons sont aussi plus nombreux à travestir leur identité, tout comme les jeunes et les élèves du professionnel. On notera la spécificité de cette observation : les déclarations des plus âgé·e·s s’écartent sensiblement de celles des élèves du professionnel, alors qu’elles étaient généralement convergentes pour les autres analyses présentées ici.
Dépendance à l’égard des réseaux
Comme indiqué dans le tableau 8, plusieurs questions sur la dépendance des étudiant·e·s sur les réseaux sociaux ont été posées.
Tableau 8. Attitude des étudiant·e·s envers les réseaux sociaux
Accord |
Neutre |
Pas d'accord |
|
Avoir beaucoup de contacts via les réseaux sociaux me fait me sentir bien |
33,06% |
32,72% |
34,22% |
Si je suis quelque part où je ne sais pas être en ligne, je trouve cela ennuyeux |
38,02% |
27,43% |
34,55% |
Je préfère contacter les gens via les réseaux sociaux plutôt que face à face |
13,63% |
24,05% |
62,32% |
J’ai peur de rater quelque chose si je n’utilise pas les réseaux sociaux. |
25,95% |
24,60% |
49,45% |
Lorsque les gens like, retweet, ou partagent quelque chose de moi, cela me fait me sentir bien |
36,28% |
29,51% |
34,21% |
Je me sens nerveux lorsqu’un message arrive et que je ne peux pas le voir immédiatement. |
38,95% |
25,34% |
35,71% |
Sur base des réponses à ces questions, nous avons construit un indicateur du degré de dépendance des jeunes envers les réseaux sociaux. Deux premiers constats : la majorité des jeunes sont moyennement dépendant·e·s ; et le degré de « dépendance » diminue avec l’âge.
On peut en effet distinguer 3 groupes :
- Ceux qui sont plutôt indifférent·e·s/peu dépendant·e·s (qui répondent ‘non’ à la plupart des items), ces étudiant·e·s représentent 16% de la population. Cette catégorie est davantage constituée d’étudiant·e·s âgé de 1618 ans.
- Les étudiant·e·s qui accordent une importance moyenne aux réseaux sont ceux et celles qui rapportent une réponse mitigée sur ces différentes questions. Ces étudiant·e·s représentant une majorité de notre échantillon (67%). Cette classe est en grande majorité constituée de jeunes parmi les 1618 ans
- Enfin, nous retrouvons les étudiant·e·s qui sont fortement dépendant·e·s / pour qui les réseaux ont une grande importance (qui répondent oui à la plupart des items). Nous retrouvons ici 16% de notre échantillon. Ce regroupement comporte plutôt les plus jeunes. Toutefois, il est intéressant de noter que les plus jeunes ne présentent pas de niveau de satisfaction de vie plus bas que les autres tranches d’âge, au contraire, le jeunes de 1315 ans sont légèrement plus satisfait·e·s que le groupe de 1618 ans.
Afin d’expliquer ces résultats il est possible de faire l’hypothèse que les plus jeunes sont encore en phase d’apprentissage/apprivoisement des réseaux sociaux, et y sont dès lors plus sensibles que les plus âgés, mais la familiarité aidant, cette sensibilité s’amenuise.
Le numérique supplante-t-il le face à face ?
Si 62% des jeunes préfèrent avoir des contacts en face à face, 13% des étudiant·e·s interrogé·e·s déclarent préférer les contacts sur les réseaux, nous avons tenté d’établir un profil de ces jeunes.
Tableau 9. Attitude des étudiant·e·s envers les réseaux sociaux
Préférences pour contact online |
Préférences pour les contacts face à face |
Des garçons (58% de garçons contre 42% de filles) |
Des filles (59% contre 41% de garçons) |
Des étudiant·e·s scolarisé·e·s dans l’enseignement général (61% dans le général contre 22% dans le technique et 14% dans le professionnel) |
Des jeunes scolarisé·e·s dans le général (60%) contre 26% dans le technique et 12% dans le professionnel |
En dessous de 16 ans |
Surtout âgés de 16 à 18 ans (ils représentent 45% de ceux qui préfèrent les relations en face à face) |
Sans distinction d’organisation familiale |
Des jeunes en famille nucléaire (60%) |
Le constat à faire avant tout est que la majorité des jeunes préfèrent les contacts en face à face, et qu'elles et ils sont peu nombreu·x·ses à préférer les contacts via les réseaux sociaux. Mais on observe des différences de sexe et d’âge : plus on est âgé, plus on préfère les contacts de face à face ; et être une fille fait également la différence. Plusieurs pistes d’interprétation sont possibles, notamment la peur de se confronter en face à face – un premier contact à distance peut sembler rassurant, en particulier pour les plus jeunes. On peut faire également le lien avec les compétences de sociabilité des filles, qui pourraient moins ressentir le besoin de se « cacher » derrière un écran dans leurs interactions.
Traitements blessants ou dégradants
Quand ça dérape… traitements blessants ou dégradants :
Les traitements blessants concernent 361 enfants parmi nos répondant·e·s, mais la grosse majorité d'entre elles et eux ne déclare avoir subi de tels traitements que de manière occasionnelle (soit seulement quelques fois au cours de l’année écoulée). Ces traitements sont en outre infligés principalement en situation de face à face. Les traitements blessants en ligne sont beaucoup moins présents, mais on note qu’ici les filles sont plus concernées que les garçons.
Figure 9 Pourcentage d’étudiant·e·s subissant un traitement blessant ou dégradant au cours de l’année
Notons également que l’on ne retrouve pas d’effet cumulatif : les traitements blessants sont majoritairement expérimentés uniquement dans des relations en face à face, et donc rarement dans un continuum « face à face » et « en ligne ».
Figure 10 Pourcentage d’étudiant·e·s subissant un traitement blessant, combinaison des lieux d’agressions
Enfin, ils nous semblaient important de noter que dans l’enquête 32 enfants déclarent avoir subi au cours de l’année écoulée un traitement blessant ou dégradant quotidiennement (soit 8,6 % des 361 enfants ayant déclaré avoir subis un traitement blessant ou dégradant au cours de l’année écoulée).
Conclusion
En guise de conclusion :
L’image générale est plutôt rassurante par rapport aux discours qui diabolisent les réseaux sociaux. Les jeunes semblent conscient·e·s des dangers (en particulier les filles qui se révèlent plus prudentes que les garçons à cet égard), et l’idée que le virtuel remplace les relations de face à face ne se confirme pas ici. Sur base des travaux de sociologues dans le domaine on peut constater que le numérique est avant tout mobilisé par les jeunes pour entretenir les relations qu’ils nouent dans la vie de tous les jours (avec leurs parents, fratrie, cousins, camarades d’école), même si les réseaux leur permettent de faire de nouvelles rencontres ; et le numérique ne représente pas nécessairement une sphère de sociabilité « à part » des sociabilités plus classiques en face à face, mais s’imbriquant dans, et nourrissant celles-ci.
Au-delà des différences de genre, c’est avant tout l’âge qui distingue les pratiques numériques dans cette enquête : les plus jeunes n’utilisent pas tout à fait les mêmes outils ni les mêmes médiums que les plus âgé·e·s, sont plus sensibles à ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et moins prudent·e·s. Ces éléments s’estompent avec l’âge, probablement un effet de la familiarité grandissante avec le numérique qui accompagne l’avancée en âge.
Enfin, l’enquête soulève des pistes intéressantes concernant les liens entre pratiques numériques et configurations familiales, un aspect qui sera creusé davantage à la fin de cette année, lorsque nous aurons analysé de plus près le volet spécifiquement consacré aux jeunes grandissant dans des familles où père et mère ne vivent pas sous le même toit.