Covid-19 : Construire un savoir AVEC nos tout-petits

 

Ça leur passe au-dessus de la tête ? Ils sont trop petits pour comprendre ? Les jeunes enfants ont souvent l’air de s’adapter, certes mais on n’imagine pas toujours à quel prix…Et nous, les adultes, sous-estimons trop souvent leur besoin de comprendre, avec des mots justes pour leur âge. Si on écoutait davantage nos tout-petits pour mieux les accompagner en ces temps d’inquiétante crise sanitaire ?

« S’adapter c’est agir adéquatement en fonction des autres et de la réalité du monde. Mais l’adaptation n’est pas le critère unique de l’épanouissement et de la santé mentale. Il faut aussi de la sérénité, de la confiance en soi et de la créativité », explique Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre et professeur Emérite à l’UCLouvain. Or si nos enfants, notamment ceux d’âge préscolaire, semblent plutôt bien s’adapter à l’ambiance et aux mesures particulières dans lesquelles nous baigne la crise sanitaire actuelle, elle n’en reste pas moins un vécu traumatique pour eux comme pour nous. Stress d’être agressé mystérieusement, de contaminer, peur de l’abandon, voire de la mort des parents et donc agitation, paniques, difficultés d’endormissement, angoisse de séparation. Les tout-petits montrent parfois des signes qui devraient faire penser à leurs questions, idées et images anxieuses autour de la pandémie et de sa gestion sociale.

Deux « ratages » types

Au-delà de la gestion de la crise par les autorités publiques qui n’ont pas pris en compte les tout-petits dans un premier temps, deux types de « ratage » au niveau de la communication sont fréquents dans les foyers.

Le premier se produit quand les parents sous-estiment la capacité de comprendre de leur(s) jeune(s) enfants et ne prennent pas le temps d’écouter, de s’enquérir de ce que le petit sait déjà, de corriger une erreur ou une lacune d’information par ci par là. « On n’entend pas, ou on n’ a pas le temps ou encore on estime qu’il/elle est trop petit(e) pour comprendre et donc, qu’il ne se préoccupe de rien. Les enfants alors se découragent et ne posent plus leurs questions. Quand tout va bien ce n’est pas trop grave car l’enfant trouve des relais pour se construire un savoir sur ses propres questions », poursuit Jean-Yves Hayez. « Mais ici, en période d’insécurité prolongée qui touche aussi les parents, ils captent nombre de mots, chargés d’émotions, qui flottent dans l’ambiance. Et, pressés comme nous le sommes, on ne vérifie guère patiemment ce qu’ils ont compris et intégré de ce que nous avons dit, même avec un vocabulaire soi-disant adapté ! Par exemple, si un jeune enfant voit à répétition l’ image standard du- coronavirus, un gros ballon avec des piques rouges et des yeux méchants, il n’est pas étonnant qu’il puisse avoir peur que cette grosse bestiole soit sous son lit la nuit », sans pour autant pouvoir l’exprimer précisément !

L’autre type de ratage, à l’inverse, est la surinformation. « Dans certaines familles, avec un désir de bien faire, les parents en font trop et vont beaucoup plus loin que ce que l’enfant a besoin de savoir sur la situation », indique Jean-Yves Hayez. « En lui donnant d’initiative des informations abondantes, compliquées et sans tabou; ils ne mesurent pas combien trop de détails, contradictoires et nécessitant le maniement des probabilités, sont finalement confusionnant et anxiogènes, dépassant les capacités d’intégration d’un bambin, même bien éveillé ! », écrit le Professeur dans son article « Les tout-petits, l’école maternelle et le covid -19 ».

Jean-Yves Hayez nous invite donc à prendre le temps d’écouter ce que les jeunes enfants disent ou montrent spontanément dans leurs jeux. « Par exemple, deux petits qui jouent spontanément à « Attrape-corona », c’est de l’auto- médicament anti-anxiété…Mais ils montrent aussi que leur angoisse est bien vivante ». On peut donc leur demander ce qu’ils ressentent, savent, pensent et ce qu’ils souhaitent savoir ou comprendre. Sans oublier de vérifier s’ils ont bien compris les nouveaux mots que l’on met en circulation. Construire ensemble un savoir en se basant sur ce que l’enfant a besoin de comprendre pour se sentir en sécurité. Ni plus, ni moins.

L’enfant ne porte pas la mort !

Dans le ballet des mesures sanitaires, difficile de tenir un discours cohérent pour sécuriser totalement nos tout-petits. Le plus compliqué peut-être est le rapport avec les grands-parents. Un coup ils peuvent se lover dans les bras de leurs papy et mamy, un coup ils ne peuvent plus les toucher avec toute une gamme de comportements admis ou non entre ces deux extrêmes. Avec en trame de fond la préoccupation incroyable et mystérieuse d’être peut-être dangereux pour les adultes… « Pendant tout un temps, le message qui transparaissait était que les enfants pouvaient porter la mort. C’est une grave erreur et c’est complètement faux. D’abord, les tout-petits sont très rarement porteurs. Et si un drame devait quand même arriver et qu’un proche vulnérable meurt après fréquentation d’un tout-petit, il faut pouvoir convaincre l’enfant que c’est parce que cette « vilaine petite bête » qu’est le corona a sauté sur l’adulte, et que ce n’est pas l’enfant qui est responsable! Il est important de soulager la culpabilité que ce message a pu générer chez certains enfants. Et pas seulement chez ceux, bien rares, qui ont peut-être été liés à un drame ».

Pour en savoir plus, lire l’article « Les tout-petits, l’école maternelle et le covid-19 » de Jean-Yves Hayez.

Publié le 10 septembre 2020