Guerres mondiales : quelle transmission du souvenir ?

En cette journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité, quels souvenirs de la guerre 40-45 sont transmis aux enfants et aux petits enfants de ceux qui l’ont vécue ? Des chercheurs UCL mènent des études au sein de plusieurs familles belges pour savoir quelle mémoire de cet événement historique la société et les membres de la famille lèguent aux générations suivantes.

Premier volet : les souvenirs dans les familles belges francophones

Ces questions sur la mémoire intergénérationnelle ont fait l’objet de différentes études en sciences humaines et sociales. Dans un premier volet d’étude en collaboration avec une équipe de chercheurs de la City University of New York et de la New School for Social Research, Olivier Luminet et Aurélie Vanderhaegen, chercheurs à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL, se sont concentrés sur les souvenirs de familles belges francophones en lien avec des événements qui se sont déroulés en Belgique dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale.

3 générations interrogées

« Nous avons recruté cinq familles belges francophones et interrogé en face à face, sur trois générations (grands-parents, enfants, petits-enfants), un membre de chaque génération, sélectionné selon le simple critère de disponibilité. La seule condition étant que le membre de la génération la plus âgée soit né au plus tard en 1936 », explique Olivier Luminet. Le principe ? Il a été demandé à chaque membre interrogé d’exprimer ses souvenirs/connaissances vis-à-vis de quatre grandes thématiques liées à la Seconde Guerre et spécifiques à la Belgique, à savoir ; le rationnement, les bombardements, la collaboration et la Question royale.

Les scientifiques ont demandé aux participants de préciser la source du souvenir ou de la connaissance raconté(e), afin de déterminer s’il s’agit d’un souvenir « personnel », lié au vécu ou acquis à travers la communication et le langage (lors d’une discussion de famille par exemple), ou d’une connaissance liée à la mémoire nationale, propre à la culture et transmis à travers les médias, l’école, les livres d’histoire ou encore les arts.

Suite à leurs analyses, les chercheurs de l’UCL ont observé une faible transmission intergénérationnelle des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale et un écart de connaissances conséquent entre les trois générations : il y a une perte de 2/3 de l’information entre chaque génération.

Deuxième volet : les souvenirs dans les familles de résistants et de collaborateurs dans les familles francophones et néerlandophones

Dans un deuxième volet, commencé en septembre 2017, Olivier Luminet s’est entouré d’une équipe transdisciplinaire rassemblant historiens et psychologues de l'UCL pour élaborer la méthode de recherche. Il s’est également associé à des chercheurs de l’UGent et aux Archives générales du Royaume.

Deux grandes différences avec la première étude :

  • la partie néerlandophone du pays fait partie des sondés ;
  • les personnes interrogées sont issues de familles où une personne a été soit résistant, soit collaborateur pendant la Seconde Guerre mondiale.

« En Flandre, une série d’études a déjà été réalisée par rapport à la collaboration, mais du côté francophone c’est tout à fait nouveau. Cela permettra une série de croisements. », explique Olivier Luminet.

Une des hypothèses de départ est la suivante : il y a plus de transmission dans les familles de résistants, que dans les familles de collaborateurs où les choses seraient cachées ou refoulées.

Les interviews commenceront dans les semaines à venir.

La mémoire communicative vs la mémoire culturelle

Pourquoi réaliser ces études maintenant ? « La mémoire communicative est celle qui peut être transmise directement par les conversations. Mais une fois qu’il n’y a plus personne, on passe à la mémoire culturelle puisque, ce que les générations suivantes pourront savoir, elles le sauront par les livres ou les films, mais plus par les témoins directs », développe Olivier Luminet.

La mémoire communicative tient entre 70 et 100 ans maximum, nous sommes encore dans les dernières années en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Les chercheurs ne pouvaient donc pas attendre beaucoup plus longtemps. Quand il ne reste que la mémoire culturelle, les éléments sont beaucoup moins ancrés et marquent moins les générations suivantes puisque c’est le mélange entre les faits historiques et le ressenti personnel des acteurs qui permet aux jeunes générations de bien retenir les récits et de les trouver intéressants.

« Une série de détails vont se perdre et nous auront une vision plus schématique et stéréotypée de ce qu’étaient les événements. Il est donc capital d’arriver à évoquer tous les aspects d’une mémoire tant qu’on est encore dans cette phase de mémoire communicative », conclut Olivier Luminet.

Publié le 26 janvier 2018