Inégalités de suicide (Belgique et Europe) : s’attaquer aux vulnérabilités avant la scolarité

suicide

 

Une étude UCLouvain a croisé les données de 40 recensements et plus de 100 000 suicides au sein de 12 populations européennes, entre 1991 et 2001. Objectif : expliquer les inégalités de suicide, en particulier l’association entre faible scolarité et suicide. Résultat ? Des vulnérabilités préexistantes expliquent l’association négative entre scolarité et suicide. C’est donc en amont ou durant la scolarité qu’il faut s’attaquer aux vulnérabilités qui débouchent des années plus tard sur le suicide. Cette étude est publiée dans la revue scientifique PLOS ONE.

Vincent Lorant, professeur à l’Institut de recherche santé et société de l’UCLouvain a mis en regard, avec des collègues de l’Université de Manchester et de l’Université Nova de Lisbonne, les données des recensements et les certificats de décès dans 12 pays européens (Belgique, Finlande, pays de l’Est, Espagne, Italie, Portugal…). Objectif ? Éclaircir la corrélation, constatée de longue date, entre le taux de suicide et l’éducation, non seulement à un moment donné mais aussi sur la durée (en Belgique : 10 ans). Et cela, grâce à la puissance statistique de ce ‘matching’.

Deux hypothèses concurrentes s’affrontent :

  • L’une, structurelle, émet l’idée que le niveau de scolarité – qui donne accès à davantage de ressources et de confort – diminue le risque de suicide ;
  • La seconde mise sur l’existence de facteurs de vulnérabilité préexistants au parcours scolaire et aux troubles psychiatriques (un facteur majeur de suicide), ce qui expliquerait un risque plus important chez certaines personnes.

Jusqu’ici, la littérature scientifique n’était pas parvenue à départager ces facteurs ‘confondants’. « Ce n’est pas qu’une question académique », souligne Vincent Lorant, « car la réponse permet de savoir quelle politique mener : soit augmenter le niveau de scolarité, soit repérer très tôt, dans les parcours de vie, les facteurs de vulnérabilité. »

Pour la première fois, l’étude menée par le consortium de chercheurs européens valide clairement la 2e hypothèse, celle qui met en avant le poids de facteurs de vulnérabilité préexistants. Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont examiné trois points :

  • Les changements de législation concernant l’âge légal de la scolarité obligatoire : si un niveau de scolarité plus élevé était à même de réduire la mortalité par suicide, ces changements en faveur d’une augmentation du niveau d’éducation auraient dû avoir un effet positif, ce qui n’est pas le cas ;
  • Les scientifiques se sont penchés sur une analyse de cohorte des inégalités en matière de suicide chez les moins scolarisés et les plus scolarisés. Ces inégalités diminuent au fur et à mesure que les cohortes vieillissent, ce qui fait pencher la balance en faveur de la 2e hypothèse ;
  • Enfin, sachant que les femmes ont, en général, un niveau socio-économique plus faible (en raison, notamment, d’une participation moindre au marché de l’emploi) et qu’elles bénéficient plus de la scolarité que les hommes, on s’attendrait à ce que les inégalités de suicide soient plus marquées chez les femmes que chez les hommes. Constat ? Dans tous les pays étudiés, les inégalités chez les femmes sont plus faibles que chez les hommes et parfois même inexistantes, ce qui à nouveau plaide en faveur de la deuxième hypothèse.

Conclusion, si l’on veut réduire le taux de suicide, il importe de déceler beaucoup plus tôt les vulnérabilités chez les jeunes adultes, en particulier chez les hommes. Or, en Belgique, la priorité est donnée au traitement des problèmes de santé mentale chez les adultes et les personnes âgées alors qu’on sait que le déclenchement des troubles psychiatriques apparait, dans 75 % des cas, avant 24 ans.

« Le système scolaire n’est pas équipé pour repérer ce type de troubles et quand des intervenants en santé mentale sont sollicités, c’est en dehors du système scolaire. Mais, de leur côté, les patients et les familles s’accommodent souvent de la maladie jusqu’à atteindre un point de rupture », explique le chercheur.

Alors que la crise du covid-19 met à mal, notamment, la santé mentale des jeunes, le chercheur UCLouvain constate que les centres de santé mentale reçoivent beaucoup d’enfants et d‘adolescents mais que le public des jeunes adultes est sans doute laissé pour compte. 

Par ailleurs les chiffres, en Belgique, sont médiocres puisque le taux de suicide des hommes y est de 24/100 000 habitants. Il est un peu plus élevé en Wallonie qu’en Flandre, Bruxelles arrivant derrière. La Région wallonne a mis en place un plan pour la promotion de la santé qui fixe un objectif de réduction de 10 % du taux de suicide. « Peu ambitieux, estime le chercheur, puisqu’on constate depuis plusieurs années, partout dans le monde, une diminution d’environ 10 % de ce taux. Cette diminution de 10 % aurait eu lieu en ne faisant rien. »

Chez nos voisins néerlandais, le taux de suicide est de 15 pour 100 000 habitants. Comment expliquer cette différence avec notre pays ? « Elle tient, selon Vincent Lorant, à la façon dont sont organisés les services de santé mentale. » Il relève entre autres le manque de continuité des soins à la sortie de l’hôpital psychiatrique. Et rappelle que la littérature scientifique indique qu’à peine un tiers des personnes concernées viennent frapper à la porte des services d’aide. « Il faut changer d’approche ».

Infos : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0243895

Publié le 06 janvier 2021