Discours "Elia Suleiman"

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Discours de Béatrice Lampariello, professeure à la Faculté d'architecture, d'ingénierie architecturale et d'urbanisme (LOCI), marraine d'Elia Suleiman

Cher Monsieur Suleiman,
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
Chers Amis,
Chères Étudiantes, Chers Étudiants,

« It’s raining culture » ce sont les quelques mots prononcés par un personnage d’un film d’Elia Suleiman, lorsque, de manière soudaine et inattendue, un livre tombe du ciel. Ce soir, nous participons à une pluie de culture, un déluge de toutes les connaissances acquises par les paroles et les images, montrant les « os nus » de la réalité dans laquelle nous vivons pour ouvrir de nouveaux horizons de compréhension et remettre en question les points de vue dominants.

Parce que, comme le cinéma d’Elia Suleiman ne cesse de nous le rappeler, faire de la culture, l’acte créatif d’images et de paroles, est un risque et naît en tremblant ; et faire de la culture, l’acte créatif d’images et de paroles, est une action politique de résistance qui exprime l’identité, constamment en quête d’elle-même et en perpétuelle transition, d’une personne qui entend parler à l’humanité pour soulever des questions, sans apporter de réponses univoques, sans désigner les victimes et les bourreaux, les bons et les méchants.

Les images d’Elia Suleiman sont des tableaux aux couches multiples, ses silences sont des fractures de communication. Tous, images et silences, créent les tensions d’une explosion potentielle, certainement pas guerrière et militaire, mais encore une fois culturelle parce que le cinéma de Suleiman est une œuvre à caractère universel : il illustre la perte du centre de l’être humain, sa solitude dans un monde fragmenté qui ne peut être compris qu’à travers des morceaux, recomposés dans une narration non linéaire.

Car le but ultime de la pluie culturelle de Suleiman n’est pas de fermer la route à une seule vérité, mais d’en ouvrir de nouvelles qui se prêtent à différentes lectures. Il n’y a jamais de conclusion dans ses films, qui deviennent ainsi d’autres expressions d’une « œuvre ouverte », des moments de recueillement qui poussent le spectateur à la participation et à l’identification.

Le cinéma de Suleiman n’enseigne ni ne prêche, mais nous raconte une histoire, qui est la vie, sa vie, mise à la disposition de l’humanité. Sa pluie culturelle est la projection de l’imaginaire dans une réalité potentielle et vice versa. Sa pluie culturelle est l’arme pacifique la plus puissante pour la liberté, pour démasquer la violence et l’occupation, pour révéler la sous-classe, les opprimés, les sans-abri, les pauvres, l’État policier. Sa pluie culturelle est une démonstration de la manière dont la passion et la ténacité peuvent surmonter n’importe quel obstacle. Sa pluie culturelle est en définitive un message adressé à notre communauté et au monde contemporain pour qu’ils n’arrêtent pas de croire et de participer tous.toutes ensemble à la construction d’un monde meilleur.

Merci Elia pour votre pluie, ne cessez pas de la faire tomber.

 

Discours d'Etienne Dalemans, doctorant au sein de la Chaire d'anthropologie de l'Europe contemporaine

Elia Suleiman nous invite à observer le monde avec décentrement. Il crée des espaces où ne dominent plus les discours de vérité et les sermons, mais où la potentialité de « remplir les blancs » est apparente. C’est une méditation. Une observation participante des scènes du quotidien, de la rue, des rues et des lieux des existences humaines. Ce rapport au monde, il le cultive par l’attention fine portée aux détails de ce qui s’écoule. Ainsi qu’il le dit, le personnage qui, dans ses films, est une « prolongation de lui-même », prend le temps de se déplacer au travers de lieux, d’exister dans les espaces du commun, en attendant que quelque chose s’y passe.

Car il s’y passera forcément quelque chose. Elia Suleiman nous présente des tableaux travaillés avec rigueur et précision. Dans un style minimaliste mais réaliste, il s’attèle à les faire défiler sous nos yeux de manière naturelle. Elia Suleiman en vient à nous faire apparaître l’essentiel qui aurait pu nous échapper s’il ne nous avait partagé sa vision.

S’il insiste sur la qualité du détail, Elia Suleiman est cependant résolument ancré dans les complexités contemporaines et à l’encontre de la pureté identitaire. Ses œuvres ne sont pas une démonstration de force qui feraient le jeu du politique. En revanche, il nous montre adroitement, au travers de cette complexité, que le social et le politique concernent toutes et tous. Surtout le rire et la poésie.

C’est par la puissance de cette poésie qu’il nous fait marcher à ses côtés. Tout en temporalité, en rythme d’humour et d’ironie, il nous emmène tout au long de son cheminement de réalisateur. Nous assistons, ou, « nous l’assistons », dans son processus de composition et de création, nous faisant participer aux mécanismes de ses œuvres.

Dans ses silences et ses tableaux, il dit bien plus que tout le bruit du monde. Observateur bizarre, observateur observé, énonciateur et non dénonciateur, comme le dit Anne-Marie Vuillemenot, Elia Suleiman recompose les chorégraphies des mondes contemporains, empreint de cette « palestinisation » qu’il observe partout.

C’est une chance inouïe que de recevoir Elia Suleiman dans notre Université, lui qui jette sur le monde un regard qui nous amène beaucoup à penser. À penser et à composer de nouveaux rapports au monde. Dans une institution de transmission telle qu’est la nôtre, il nous éclaire, lui qui porte sur la jeunesse et sa recherche du bonheur, un regard plein d’espoir.

Pour toutes ces raisons, Monsieur le Recteur, nous avons l’honneur de vous demander de décerner à Monsieur Elia Suleiman le titre de Docteure Honoris causa de l’UCLouvain.

 

Réponse d'Elia Suleiman, réalisateur, scénariste et acteur palestinien

Elia Suleiman a répondu de manière improvisée lors de la cérémonie. Voir le "replay" de la cérémonie à 1:41:28.