Homélie de Monseigneur Jozef De Kesel, Cardinal et Grand chancelier de l’UCLouvain

EVENTS

Rentrée académique 2022-2023

Jozef DekeselNous savons tous que, pour le bien de la société et pour son bon fonctionnement, la stabilité est nécessaire. Nous venons de traverser, durant deux ans, la lourde épreuve de la pandémie. Cela nous a bousculé. De même que la guerre en Ukraine avec toutes ses conséquences désastreuses. Et maintenant nous sommes confrontés à une crise énergétique. La hausse des prix rend beaucoup de nos citoyens et leurs familles anxieux pour l’avenir. Oui, l’insécurité et l’instabilité posent problème et mettent en danger l’équilibre d’une société.

Dans notre vie privée et personnelle aussi, nous avons besoin de stabilité. On connaît l’importance pour les enfants et les jeunes de pouvoir grandir dans un milieu stable qui leur donne la confiance nécessaire pour découvrir le sens et la beauté de la vie. Nous savons d’expérience que la fidélité est facteur de stabilité, si précieuse dans nos relations. Oui, l’instabilité reste un grand défi et menace le vivre ensemble.

Mais le contraire est tout aussi vrai. Si rien ne change jamais, si l’avenir n’est que la prolongation du passé, si l’on n’aborde les nouveaux défis qu’avec les évidences de ce qu’on a toujours dit, cette stabilité devient elle-même facteur d’instabilité. Bien sûr, nous sommes des êtres marqués par la finitude. Et pourtant, personne n’est jamais un être fini. L’homme est créé créateur. Il doit se prendre en main et se construire. Le monde et la création ne lui appartiennent pas, il n’en est pas le propriétaire. Mais il ne l’accueille pas non plus comme un fait accompli. Il doit le rendre plus habitable, plus humain. Avec respect, bien sûr, et non pas pour l’exploiter à son gré. Nous sommes devenus très conscients de ce danger qui menace notre maison commune et son avenir. Mais il reste que cette création nous est confiée et que nous sommes appelés à faire surgir les potentialités qu’elle cache. C’est le sens de la recherche scientifique et du progrès technique. C’est la mission de l’Université et de tous celles et ceux qui y travaillent : étudiants, chercheurs, professeurs, membres du personnel. Oui, l’Université est appelé à être « actrice de changements ».

On pense souvent que c’est là la différence entre la foi et la science. La science est source de changement et de progrès. La religion, facteur de stabilité, défendrait toujours le statu quo au nom de la tradition et du passé. C’est vrai, la religion est facteur de stabilité. C’est plutôt le fondamentalisme et l’extrémisme religieux qui menacent la stabilité de la société.  Dans le texte de Marion Muller-Collard que nous avons entendu au début de cette célébration, il est question de « l’intranquillité ». Cela peut étonner, mais cette « intranquillité » est aussi au cœur de la foi.

Dans ses Confessions, saint Augustin nous raconte le long chemin de recherche qu’il a parcouru avant de devenir chrétien. Mais, une fois converti, il ne se sentait nullement arrivé. Il y parle du cor inquietum.  Ce n’est pas un cœur inquiet ou qui a peur. La traduction exacte nous fait comprendre qu’il s’agit d’un cœur sans repos. Un cœur qui ne peut jamais dire : on y est. Qui veut aller toujours plus loin. Même la foi ne nous donne pas ce repos, si ce n’est quand tout sera accompli. Mais tant que le monde dure, l’homme restera toujours un être insatisfait et sera toujours en recherche. Même celui qui cherche Dieu.

C’est vrai : nous avons besoin de stabilité. Mais aussi de l’« intranquillité » que nous donne ce cor inquietum, ce cœur qui nous pousse toujours plus loin. Et si foi et science ont pour ainsi dire le même cœur et, en ce sens, la même origine, elles envisagent toutes les deux aussi un même avenir : un monde plus humain. Progrès et changement ne trouvent pas en eux-mêmes leur sens. Pas de changement pour le changement. Pas de progrès quelconque ou à tout prix. Mais un progrès, comme Paul VI l’a dit dans Populorum Progressio, qui vaut « pour tout l’homme et pour tous les hommes ». Tout changement, toute recherche, toute découverte, tout progrès, scientifique, technique ou autres, trouvent là leur sens et leur objectif : grandir en humanité.

Le prophète Ezéchiel parle d’un cœur nouveau et d’un esprit nouveau. Non un cœur de pierre mais un cœur de chair. De la part de Jésus, dans l’évangile des Béatitudes, nous écoutons le même message : un cœur doux et miséricordieux, assoiffé de justice et artisan de paix. Jésus nous invite à être le sel de la terre et la lumière du monde. Cela vaut pour l’Église et pour l’Université, chacune dans ses propres responsabilités et ses propres compétences. Mais sans oublier une finalité commune : la recherche d’une humanité véritable telle que Dieu l’a voulue.

Homélie prononcée lors de la célébration eucharistique à l’Église Saint-François, Louvain-la-Neuve.