A-t-on raison d'avoir peur?

LOUVAINS

Guerre en Ukraine, crise climatique, pandémie… les raisons d’avoir peur sont nombreuses. A-t-on raison d'avoir peur? Trois regards, trois éclairages.

Entamer un dialogue

« La peur est ancrée dans l’expérience mais son niveau varie selon le contexte, les générations, les trajectoires de vie de l’individu », détaille Valérie Rosoux, chercheuse en relations internationales. « Les ravages du totalitarisme participent à un filtre cognitif qui détecte les signes avant-coureurs d’une répétition du scénario redouté. » D’autre part, si la génération marquée au fer rouge par une violence passée est la plus susceptible de réagir, les récits et les émotions se transmettent aux générations suivantes : honte, culpabilité, ressentiment, tristesse, mais aussi et surtout la peur.

Comment réagir ? « Les nombreux entretiens que j’ai eus avec des survivants m’ont amenée à ne plus porter de jugement a priori sur les émotions », enchaine la spécialiste de la mémoire et de la réconciliation. « Il faut les accueillir afin qu’elles ne recouvrent pas tout le paysage mental. Car plus on cherchera à empêcher la peur, plus elle s’insinuera, tant cette peur ancrée dans des événements de violence extrême est primitive. » Apprendre à développer d’autres attitudes peut être bénéfique. « Une forme de confiance, même relative, peut surgir de l’acquisition de compétences, la création d’alliances, la mise en place de confidence building measures pour entamer un dialogue », estime Valérie Rosoux.

Après une guerre, les individus contrôlent en partie les récits qu’ils choisissent de transmettre. « C’est beaucoup plus compliqué pour les émotions. La pire situation est celle où on transmet la peur sans les explications. »

Dominique Hoebeke
Communication UCLouvain Bruxelles

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« Utiliser nos émotions comme une force »

«A-t-on raison d'avoir peur ?» « Ce la dépend », selon Alexandre Heeren, professeur à l’UCLouvain et spécialiste des émotions. « Parce que l’anxiété pousse à agir et à s’adapter. » Et soyons précis : « Plus que de la peur, c’est de l’anxiété que nous ressentons dans notre vie. » La différence ? L’anxiété est une émotion dont le but est de nous préparer à faire face à l’incertitude. Sa fonction première est de nous aider à réagir. Tandis que la peur est souvent bloquante, paralysante, car elle renvoie à la certitude de la menace.

Les incertitudes riment aujourd’hui avec crise climatique, guerre en Ukraine, pandémie, autant d’événements sur lesquels nous avons peu de prise. Peut-on en déduire que l’on vit plus dans la peur aujourd’hui ? « Non, ces crises ont pris le pas sur d’autres (guerre du Golfe, attentats de Paris et Bruxelles). Elles ont toujours existé. Par contre, nous sommes dans une société davantage centrée sur l’individu, son bien-être et ses émotions. »

L’impression d’une société anxiogène est renforcée par « cette prescription sociale à ressentir des émotions positives et à écarter les émotions négatives », observe Alexandre Heeren. « Or elles peuvent être utiles. » Elles nous poussent à avancer et à nous dépasser : « Utilisons nos émotions comme des forces », insiste le chercheur, « cela peut nous permettre de déplacer des montagnes ». Un exemple ? Beaucoup de jeunes éprouvent de l’éco-anxiété. En réaction, ils et elles développent des actions individuelles et collectives de changement de comportement, comme des marches de sensibilisation pour le climat. « C’est une manière d’utiliser nos émotions de façon bénéfique. »

Isabelle Decoster
Attachée de presse UCLouvain

« La peur vient de l'ignorance »

« Combattre la peur par la curiosité. C’est la clé », selon Pierre Pirard, ex-professeur à Molenbeek dans une école dite à discrimination positive, aujourd’hui réalisateur du documentaire ‘Nous tous’. Ce film, porte-drapeau de la journée internationale 2022 du vivre ensemble en paix, vise à montrer les innombrables actions imaginées par des citoyen·nes afin de prendre leur destin en main. Et lutter contre la peur. Selon Amin Maalouf, le monde ne va pas se démondialiser, on ne va pas revenir en arrière. Il faut donc que chacun·e ait sa place et sa dignité.

La solution ? Faire un pas vers l’autre dont on a peur, « parce que la peur, c’est l’ignorance ». Il est essentiel de l’humaniser, en lui donnant un nom, un visage. « Et comme le dit Amin Maalouf, si c’est notre regard qui enferme les autres dans leur plus étroite appartenance, c’est ce même regard qui peut les en libérer. » Pour cela, il faut oser sortir de sa zone de confort. Et comme l’affirme Léa, l’une des créatrices de lien de ‘Nous tous’, « quand on croit en quelque chose, on peut le faire, ensuite, ça devient contagieux ! » Est-ce suffisant ? Pour Pierre Pirard, « on est dans du bottom up. Ces actions citoyennes vont finir par faire bouger les politiques, lentement, mais surement. Il faut pousser pour que le top down rejoigne le bottom top. Il faudra de la ténacité et de la persévérance pour surmonter nos préjugés et nos peurs, mais c’est possible ! » Selon lui, et les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, « il faut chercher ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous différencie. Et voir la diversité comme une source de richesse ». I.D.

 > noustous-lefilm.be

LouvainS : Juin 2022

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