Le dernier soubresaut mettait en question l’accord des participes passés. À intervalles réguliers, l’orthographe du français est mise en question, soulevant vagues et passions. Qu’en penser ?
Apprendre à lire, à écrire, à s'exprimer
« La priorité, pour tous les élèves de l’enseignement obligatoire, est d’apprendre à lire, à écrire et à s’exprimer oralement. Or, selon différentes enquêtes, 25 % des enfants sont en grande difficulté sur ce plan en Belgique francophone », souligne Jean-Louis Dufays, didacticien du français. Dans ce contexte, l’orthographe n’est qu’un élément de la langue parmi d’autres, mais elle manifeste une maitrise de la syntaxe et permet d’exprimer des messages compréhensibles. « Il convient certes d’enseigner l’orthographe d’usage (les doubles consonnes, les accents circonflexes, etc.), mais celle-ci ne doit pas être sacralisée, car elle résulte en grande partie d’accidents de l’histoire », insiste le professeur à la Faculté de philosophie, arts et lettres. « Le choix a été fait, à la Renaissance, de réintroduire artificiellement des graphies héritées du passé, ce qui fait du français une langue marquée par une tradition d’érudition ». Pourtant, l’orthographe française a connu plus de quinze réformes entre le 16e et le 18e siècle. Pourquoi dès lors son évolution est-elle quasiment bloquée depuis près de 200 ans ? Et pourquoi la dernière réforme, qui date de 1990, reste-t-elle si méconnue du grand public alors qu’elle est diffusée dans les écoles et que les dictionnaires l’ont intégrée ? « Sans doute associe-t-on naïvement la conservation de certaines complexités inutiles à la beauté de la langue française », poursuit le didacticien. Cela dit, « la réforme de 1990 a pu passer parce qu’elle a été pensée par le Conseil international de la langue française et qu’elle a bénéficié d’un contexte politique favorable », estime Jean-Louis Dufays.
Une langue peu réformatrice
Linguiste (son discours décrit tous les usages de la langue) mais aussi grammairienne (le discours est normatif), Anne-Catherine Simon rappelle que l’orthographe est en grande partie logique, mais repose aussi sur une convention sociale (pourquoi écrire ‘rationalité’ mais ‘rationnel’ ?). « En français, 80 % des lettres (ou combinaisons de lettres comme ‘ch’) correspondent à des sons, certains mots étant tout à fait transparents (comme ‘sol’) alors que d’autres le sont moins (‘oiseau’ qui s’entend ‘wazo’). » Déjà, les complications ne manquent pas : ‘ait’ n’est pas ‘est’ et beaucoup de lettres ne se prononcent pas, les unes étant utiles (le ‘s’ pour indiquer le pluriel), les autres peu ou pas (‘th’ dans ‘théâtre’). « Le système est régulier quand chaque lettre représente un son, mais souvent, ce n’est pas le cas », constate la professeure à la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’UCLouvain, qui remarque que d’autres langues sont bien plus réformatrices, comme l’espagnol ou le néerlandais.
Anne-Catherine Simon plaide pour que l’on continue à faire évoluer l’orthographe française à condition que les raisons soient justifiées. « Il faut rationaliser (par ex. les doubles consonnes), pas simplifier, et il ne faut pas supprimer toute complexité car elle peut être utile », insiste la linguiste qui explique que l’orthographe s’est figée au 19e siècle, après des siècles de liberté. « On peut très bien maitriser l’oral et pas l’écrit. Or celui qui ne maitrise pas l’orthographe est considéré comme incompétent. Suis-je incompétente si je ne suis pas une bonne pianiste ? », s’interroge-t-elle.
Des arguments d'une grande douceur
Profs dans le secondaire technique et professionnel à l’Institut Don Bosco à Woluwe-Saint-Pierre pendant 15 ans, Arnaud Hoedt (français) et Jérôme Piron (religion) ont dû se rendre à l’évidence : les vérités scientifiques sont irrecevables par la société civile. Ils ont donc changé de scène, emportant le non-dit social qui entoure l’orthographe. Après un démarrage au festival XS du Théâtre National et l’accueil dans de grandes salles, leur spectacle ‘La convivialité’ tourne désormais sur la scène internationale. « Notre spectacle est là pour autoriser les gens à se poser la question de ce qui a de la valeur et ce qui n’en a pas. Le noeud du problème, c’est qu’on confond la langue et l’orthographe. Or celle-ci a une histoire, elle s’est construite », explique Arnaud Hoedt. Que dit le public ? « Il est surpris parce qu’il s’attend à découvrir les subtilités et autres merveilles du français, ce qui n’est pas notre propos. On fait par exemple voter le public par rapport aux formes qu’il trouve acceptables ou pas. » Loin de viser le débat ou l’affrontement, nos deux comparses ont veillé à avancer des ‘arguments d’une grande douceur’. « Les gens quittent le spectacle avec un sentiment d’apaisement. Nous avons d’ailleurs peu de détracteurs. » Heureux d’être créatifs à 100 %, Arnaud et Jérôme ne regrettent rien, sauf leurs élèves. « Notre école était une des plus libérales de Belgique. On a malheureusement constaté, en tournant dans de nombreuses écoles, que les questions administratives et logistiques brident terriblement la créativité des enseignants en général », déplore Arnaud Hoedt (… comme le mois d’août !).
Dominique Hoebeke
Cheffe info UCLouvain
Un 'Petit Bon usage' à gagner! Cédrick Fairon et Anne-Catherine Simon, respectivement doyen et professeure à la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’UCLouvain, sont les auteurs du ‘Petit Bon usage’ publié aux Éditions De Boeck. Basée sur le Bon usage d’André Goosse et Maurice Grevisse, cette grammaire est entièrement illustrée d’exemples puisés dans la littérature classique et contemporaine. ENVIE DE GAGNER UN EXEMPLAIRE ? Rendez-vous à l'adresse: uclouvain.be/gagnez-un-exemplaire-du-petit-bon-usage |
Crédits photos : Alexis Haulot, Roger Milutin
Article paru dans le Louvain[s] de décembre 2018-janvier-février 2019 |