#Coronavirus : quel sens à cette crise mondiale ?
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Communiqué de presse - Expert·es UCLouvain
En bref (20 secondes de lecture) :
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La pandémie du coronavirus crée une situation inimaginable dans nos pays. Nous découvrons brutalement des notions telles que « distanciation sociale », « insécurité », et « manque de moyens », appliquées à des aspects de notre vie commune où souvent nous ne les attendions pas (enseignement, commerce, voyage, …). Le choc est particulièrement ressenti dans le domaine des soins de santé ; il éveille des sentiments douloureux, expose à d’insolubles dilemmes moraux.
D’un côté, sur le terrain, la situation d’urgence, l’ampleur sanitaire de la crise et la nécessité de protéger des soignants eux-mêmes menacés, ont amené une réorganisation brutale et massive de la médecine : reconversion des consultations en contacts téléphoniques, limitation des contacts-patients au strict minimum urgent, standardisation extrême des procédures, dans un monde silencieuxoù les personnes risquent d’être réduites tantôt à l’état d’objets, tantôt à celui d’instruments du soin. Pour les soignants, ces mesures contreviennent souvent avec une partie de ce qui leur a été enseigné, des gestes et postures qu’ils avaient appris jusque-là, et peut-être avec ce qu’ils conçoivent comme des aspects essentiels de leur travail. Derrière ce constat se profile la crainte que l’inimaginable de la situation devienne le lieu d’un impensable du soin.
Et d’un autre côté, mais simultanément, le discours public sur la crise se focalise sur les aspects statistiques, épidémiologiques, logistiques. Dans un effort soutenu de communication autour des enjeux de santé publique, les autorités sanitaires mobilisent avec pragmatisme des concepts tels que « isolement », « responsabilité », « bienveillance », « précaution », qu’elles considèrent dans leurs acceptions les plus objectivantes. Ce type de discours, bien que nécessaire, convient mal à la narration d’histoires singulières et les mots ainsi utilisés risquent de perdre une part de leur signification habituelle. Pourtant, ces histoires sont indispensables ; une fois partagées, elles constituent un discours collectif sur la réalité souvent traumatisante des soins, telle qu’elle a été vécue par chacun
Dans cette situation, la philosophie peut contribuer à dégager des espaces de pensée qui seraient, en quelque sorte, au chevet des situations de soins.
A l’initiative de Michel Dupuis, philosophe UCLouvain, un groupe interdisciplinaire a vu le jour : « Paroles de soin, paroles de sens », constitué de professionnels des divers métiers de la santé et de philosophes. Son objectif ? Identifier les défis de sens révélés par la crise sanitaire et ouvrir des pistes pour y répondre sans attendre. Ces chercheurs sont interpellés par les interrogations des soignants :
- Comment intégrer dans ma pratique l’urgence, l’inconnu et l’incertitude qui caractérisent cette nouvelle maladie, l’insuffisance des ressources (compétences humaines, équipements et médicaments) et la limitation des contacts avec mes patients et leurs familles sans dévaluer ma conception des soins ?
- Pourquoi et comment assurer un minimum de dignité et de compassion malgré les contraintes du confinement ?
- Pourquoi et comment renoncer à une hospitalisation ou à un traitement dont le bénéfice ne serait pas nul ?
- Comment apprivoiser la peur en contexte de soins, notamment celle de transmettre la maladie à mes proches, mes enfants, mon conjoint, mes parents ?
- Comment interpréter l’attitude ambivalente du public envers les soignants : applaudissements et intimidations ?
- Pourquoi et comment poursuivre ma mission de soignant malgré tant d’échecs thérapeutiques en si peu de temps et tant de décès (y compris parmi les collègues) ?
- Comment supporter la dissonance émotionnelle induite par cette situation ?
Ce groupe de réflexion a l’intention de développer des initiatives susceptibles de répondre à tous ces défis. Ils sont énormes et l’horloge tourne vite. On voit des patients, des voisins, des proches s’éteindre dans une crise qu’on n'avait pas imaginée. Celle-ci place les soignants devant des questions de sens et d’interprétation qui interrogent des aspects fondamentaux de leur pratique professionnelle.
Peut-être laisserons-nous un peu de notre insouciance passée ; assurément nous avons des enseignements à tirer. Pour que l’expérience collective soit apprenante, elle a besoin d’une activité réflexive qui transforme en mots le vécu et l’éprouvé, puis en pratiques organisationnelles dans lesquelles chacun, d’où il se trouve, a son mot à dire. La mise en place d’espaces réflexifs rassemblant des soignants et des philosophes se présente comme un moyen de reconstruction collective du sens des situations rencontrées.