Covid, d’un virus bouton-pression au variant scratch

Communiqué de presse - Recherche UCLouvain

En bref :

  • Une équipe de scientifiques UCLouvain, menée par le Pr David Alsteens, est parvenue à visualiser et mesurer, grâce à un microscope à force atomique, la manière dont les mutations modifient les interactions entre le virus et nos cellules
  • Concrètement, les variants utilisent des liaisons multiples et plus stables avec nos récepteurs cellulaires, comme des sortes de scratchs, ce qui explique la persistance des variants du covid. Cette étude UCLouvain est publiée dans la revue scientifique Nature Communication
  • Faut-il du coup envisager d’adapter les vaccins aux variants plutôt qu’une troisième dose des vaccins actuels ? Non, selon Sophie Lucas, immunologiste à l’UCLouvain

Contact(s) presse :    
David Alsteens, chercheur qualifié FNRS, investigateur WELBIO au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology de l’UCLouvain : gsm sur demande, david.alsteens@uclouvain.be

Des scientifiques UCLouvain sont parvenus à démontrer, grâce à un microscope à force atomique (un équipement de pointe pour étudier les liaisons entre virus et cellules vivantes), la capacité des variants du covid19, et en particulier le nouveau variant omicron, à mieux s’accrocher aux cellules du corps humain, et donc à expliquer la difficulté à s’en défaire.

Les variants, notamment le variant Kappa, adoptent une nouvelle stratégie pour se lier de manière plus efficace aux cellules qu’ils souhaitent envahir. Plutôt que d’augmenter la force de leur liaison à un endroit précis de nos récepteurs ACE2 - porte d’entrée principale du coronavirus dans nos cellules, ils multiplient les petites liaisons sur une plus grande surface. Résultat : la liaison « globale » du variant aux cellules est plus stable. « D’un point de vue évolutif, c’est une stratégie qui a tout son sens puisque ces virus sont soumis à de nombreux flux au niveau de l’épithélium respiratoire, le tissu qui recouvre la surface des voies respiratoires », explique David Alsteens, chercheur UCLouvain et coordinateur de l’étude publiée dans Nature Communications.

C’est un peu comme si la souche originale du SARS-CoV 2 se liait à nos cellules au moyen d’un bouton de pression et que les variants, eux, ont plutôt opté pour un système de scratch où chaque petite liaison n’est pas aussi forte que celle du bouton de pression mais, ensemble, toutes ces petites liaisons engendrent une interaction très stable des variants avec nos cellules. « Nous avons travaillé avec différents variants dont le Kappa qui, au moment des manipulations effectuées pour cette recherche, était le nouveau variant en provenance d’Inde. On peut supposer que le variant Delta se comporte de manière très similaire ».

L’équipe de David Alsteens a également testé l’affinité et la liaison des deux types d’anticorps produits lors d’une exposition à la souche originale du virus ou au vaccin. Sur ces deux anticorps, l’un ne permettait plus de bloquer la liaison de la protéine spike du variant Kappa, et donc, de protéger contre le virus.

Cette 2e observation signifie-t-elle qu’il est temps d’adapter les vaccins aux nouveaux variants ? Non, pas encore, selon Sophie Lucas, immunologiste, présidente de l’Institut de Duve de l’UCLouvain.

Pourquoi la vaccination, pourtant massive, ne permet-elle pas, dès lors, d’éviter une quatrième vague. Et pourquoi donner une troisième dose de vaccin plutôt qu’une version adaptée au variant delta ? Selon Sophie Lucas, « les vaccins actuels ont été élaborés sur base d’une version pré-alpha du virus pour permettre au corps de fabriquer une réplique de la protéine spike de ce virus et, par conséquent, de réveiller et éduquer notre système immunitaire à se défendre contre tout intrus portant cette protéine spike à sa surface. Celle-ci est composée de plus de 1200 acides-aminés. Entre la version pré-alpha du SARS-CoV 2 et le variant delta qui circule le plus aujourd’hui, seuls quelques acides aminés ont changé dans cette protéine spike. Or le vaccin entraîne la production de nombreux anticorps différents qui se lient à divers endroits de cette protéine pour l’empêcher de se fixer à nos cellules et de les infecter. Si la majorité des anticorps produits suite à a la vaccination sont toujours capables de se lier à la protéine spike d’un variant, les vaccins restent très efficaces contre le variant en question. Et c’est le cas actuellement avec le variant delta. La réduction d’efficacité du vaccin à cause des quelques acides aminés mutés dans sa protéine spike est réelle mais minime, notamment parce que la grande majorité des anticorps peuvent encore se lier ailleurs sur cette protéine spike du variant delta. Il faut surveiller cela en continu mais pour le moment il n’y a pas d’intérêt à modifier les vaccinsCette surveillance a permis la découverte du nouveau variant omicron, qui ne change rien à la situation pour l’instant car on n’en sait pas encore suffisamment à son sujet. On ne sait notamment pas encore si les acides aminés modifiés dans omicron vont réduire l’efficacité des vaccins ou de l’immunité acquise suite à l’infection par un variant précédent. »

Comment expliquer que la situation se dégrade à nouveau malgré le grand nombre de personnes vaccinées ? « On observe aujourd’hui que les taux d’anticorps produits suite à la vaccination initiale diminuent au fil du temps. D’où l’intérêt de cette troisième dose qui va rebooster l’immunité contre le virus, et lui permettre d’être beaucoup plus efficace à nouveau contre une potentielle infection par le SARS-CoV 2. Cette troisième dose va simplement augmenter la qualité et la durée de l’immunité induite par les deux premières doses, et ce, très rapidement. C’est ce dont on a besoin maintenant. Mais la situation sanitaire observée aujourd’hui n’est pas seulement liée à cette diminution de l’immunité au fil du temps. Elle est liée à une combinaison de facteurs, comprenant aussi la fraction non-négligeable des personnes non-vaccinées dans la population, et la capacité du variant delta à être beaucoup plus contagieux que ses prédécesseurs. »

Quand sera-t-il temps de considérer une nouvelle version des vaccins ? « Les mutations sont surveillées en continu, comme pour la grippe. Beaucoup l’ignorent mais le vaccin contre la grippe représente chaque année un énorme travail impliquant plus de 200 laboratoires dans le monde pour analyser les mutations et l’efficacité du vaccin contre le virus Influenza. Ce vaccin est adapté chaque année. Ce sera pareil pour le SARS-CoV 2, ses variants et l’efficacité des vaccins contre ceux-ci, qui sont sous la loupe de nombreux expert·es de par le monde. C’est d’ailleurs grâce à cette surveillance que le variant omicron vient d’être découvert. Lorsque l’immunité et les anticorps générés par les vaccins et leur booster actuels ne seront plus suffisants pour combattre les variants en circulation, il sera temps d’adapter les vaccins. Il est possible qu’on observe cela pour omicron, mais on ne le sait pas aujourd’hui et il faudra encore du temps pour le déterminer. L’idéal serait évidemment de pouvoir mettre au point un vaccin permettant d’éduquer notre système immunitaire contre une partie stable et commune à tous les variants du SARS-CoV 2. Un vaccin universel. »

Publié le 30 novembre 2021