Quand planter des arbres menace la forêt

 

Communiqué de presse - Recherche UCLouvain

En bref :

  • Première du genre, une étude de l’UCLouvain et de Stanford révèle que les subsides destinés à l’exploitation de plantations d’essences d’arbres de grande valeur commerciale au Chili ont causé la perte de forêts naturelles biologiquement précieuses et peu, voire aucune, séquestration de carbone supplémentaire
  • De solides mesures de protection des écosystèmes naturels peuvent considérablement améliorer l’impact de campagnes semblables de plantation d’arbres. Cette étude est publiée dans Nature Sustainability

Contact presse : Eric Lambin, professeur au Earth and Life Institute de l’UCLouvain, gsm sur demande eric.lambin@uclouvain.be

Les campagnes de plantation d’un nombre énorme d’arbres pourraient avoir des effets contreproductifs selon une nouvelle étude de chercheurs de l’Université de Santa Barbara en Californie, de l’Université de Stanford, de l’Université catholique de Louvain et de l’Université de Concepción au Chili. C’est la première fois qu’une recherche scientifique analyse de manière rigoureuse les conséquences potentielles des subsides dans ce genre de projets.

Cette étude, publiée dans Nature Sustainability, révèle comment des projets tels que la campagne mondiale « 3 000 milliards d’arbres » mènent à davantage de pertes de biodiversité et peu, voire aucune, séquestration de carbone supplémentaire. Les chercheurs soulignent toutefois que ces projets pourraient être bénéfiques s’ils s’accompagnaient de fortes limitations des subsides telles que l’interdiction de remplacer des forêts endémiques par des plantations d’arbres.

« Si les politiques encourageant les plantations d’arbres sont mal conçues ou mal mises en œuvre, le risque est grand de non seulement gaspiller les deniers publics mais aussi d’entraîner des pertes tant en carbone terrestre qu’en biodiversité » indique Eric Lambin, chercheur à l’UCLouvain ainsi qu’à Stanford. « C’est exactement le contraire que ces politiques visent. »

Il est indéniable que les forêts ont un rôle immense à jouer dans les efforts destinés à combattre le changement climatique et à ralentir la perte de biodiversité partout dans le monde. Il est donc compréhensible que la solution consistant à planter des arbres ait gagné en crédibilité au cours des dernières années et suscité des engagements ambitieux tels que le projet 3000 milliards d’arbres qui, comme son nom l’indique, ambitionne de planter autant d’arbres.

Un examen plus attentif dévoile des failles dans ces plans optimistes. Par exemple, près de 80 % des engagements impliquent des plantations en monoculture plutôt que de restaurer des forêts naturelles. Les plantations ont généralement bien moins de potentiel de séquestration de carbone, de création d’habitat et de contrôle de l’érosion que les forêts naturelles.

Les chercheurs se sont concentrés sur le rôle des subsides destinés à encourager la plantation d’arbres car ces fonds sont largement proposés comme étant une solution prometteuse aux défis environnementaux. Les scientifiques se sont spécifiquement penchés sur l’une des politiques mondiales de subsides la plus influente pour le reboisement, le décret-loi 701 du Chili. Cette loi, en vigueur de 1974 à 2012, a servi de modèle pour des politiques similaires d’autres pays d’Amérique du Sud et des projets internationaux de développement.

« Face à l’enthousiasme mondial suscité par la plantation de mille milliards d’arbres, il est important de réfléchir à l’impact des politiques passées » explique Eric Lambin. « L’expérience du Chili peut aider à comprendre les impacts climatiques, écologiques et économiques qui peuvent intervenir lorsque des gouvernements paient des propriétaires terriens pour créer d’énormes plantations d’arbres. »

Le décret-loi 701 du Chili assurait une protection permanente des terres reboisées contre l’expropriation, subsidiait 75 % des coûts de reboisement et soutenait dans le temps la gestion des plantations. Une application laxiste et des restrictions budgétaires ont entravé le contrôle des règles interdisant l’utilisation des subsides pour des terres déjà boisées, ce qui a mené à des situations où le gouvernement subsidiait le remplacement de forêts naturelles par de profitables plantations d’arbres.

Les chercheurs ont quantifié l’impact des subsides consacrés au reboisement et calculé leurs effets sur les changements nets en carbone et en biodiversité dans l’ensemble du pays. Ils ont comparé la superficie forestière chilienne selon trois scénarios : les régimes réels de subsides tels qu’observés, aucun subside et les subsides associés à la stricte application de limitations portant sur la conversion de forêts naturelles en plantations.
Ils ont établi que, par rapport au scénario sans subside, les paiements pour reboisement résultaient en un élargissement des zones boisées mais entraînaient une diminution des zones de forêt naturelle. Les forêts naturelles du Chili étant plus denses en carbone et plus riches en biodiversité que les plantations, les subsides n’ont pas réussi à accroître la capacité de stockage du carbone et ont accéléré les pertes de biodiversité. Une stricte application des restrictions relatives à la conversion des forêts naturelles aurait pourtant amélioré les résultats de la politique en matière de carbone et de biodiversité. « A l’avenir, les subsides devraient aider à promouvoir la restauration des nombreux écosystèmes naturels riches en carbone et en biodiversité qui ont été perdus » conclut Eric Lambin.

Publié le 22 juin 2020