Soigner les tout-petits atteints de paralysie cérébrale grâce à une thérapie intensive et ludique

Communiqué de presse - Recherche UCLouvain Bruxelles

En bref :

  • La paralysie cérébrale, première cause de handicap moteur chez l’enfant, touche 1 naissance sur 550.
  • Une étude internationale publiée dans Jama Pediatrics indique que la méthode HABIT-ILE, un entrainement intensif de 50h sur 2 semaines mis au point par Yannick Bleyenheuft de l’UCLouvain, est encore plus efficace chez les tout-petits (12 à 59 mois) qu’après 6 ans. C’est une première.
  • La méthode prend son essor, notamment en France et en Australie. En Belgique, les travaux se poursuivent et l’implémentation clinique démarre. Des recherches de solutions sont en cours pour permettre le financement pour les patients en pratique clinique.

Contact presse :    
Yannick Bleyenheuft, professeure à l’Institut de neuroscience et à la Faculté des sciences de la motricité de l’UCLouvain : yannick.bleyenheuft@uclouvain.be, gsm sur demande

La paralysie cérébrale, première cause de handicap moteur chez l’enfant, touche 1 naissance sur 550. Yannick Bleyenheuft, professeure à l’UCLouvain confirme, dans la prestigieuse revue Jama Pediatrics, qu’un entrainement intensif de la motricité est très efficace pour donner plus d’autonomie aux petits et même plus efficace qu’auprès d’enfants en âge scolaire. Les changements sont les plus importants jamais observés pour des enfants de cet âge. Une première qui influencera tout le développement de ces très jeunes patients et pourrait changer la trajectoire développementale de nombreux enfants dans le futur !

Quelque 1 500 nouveaux-nés sont victimes, chaque année, de paralysie cérébrale, résultat d’une lésion au cerveau pendant la gestation ou les deux premières années de vie. Les causes sont diverses : infection, problème avec le cordon ombilical à la naissance, syndrome du bébé secoué… Selon les zones du cerveau touchées, l’enfant souffre de troubles de la posture et du mouvement, voire de déficiences cognitives ou sensorielles. En Belgique, en France et dans d’autres pays, ces enfants sont le plus souvent traités en suivant des séances de kinésithérapie d’une durée de 30 à 60 minutes, 1 à 5 fois par semaine.

Une étude en Belgique, France, Italie avec la Suisse et l'Espagne

Depuis plus de dix ans, Yannick Bleyenheuft, professeure à l’Institut de neurosciences (IoNS) et à la Faculté des sciences de la motricité (FSM) de l’UCLouvain, a mis au point, en collaboration avec l’Université Columbia à New-York où elle a fait son post-doctorat, une méthode de rééducation intensive très prometteuse, HABIT-ILE.

La dernière publication de son équipe de recherche dans Jama Pediatrics, la revue scientifique de pédiatrie la plus reconnue au niveau international, confirme que cette méthode est très efficace auprès des enfants de 1 à 4 ans – âge auquel la plasticité corticale est maximale –, davantage encore qu’avec des enfants de plus de 6 ans auprès desquels l’efficacité de la méthode avait déjà été démontrée par la même équipe de scientifiques.

Cette étude, soutenue par la Fondation Paralysie Cérébrale (France), a été menée en Belgique (UCLouvain), France (Universités de Brest et d’Angers, sous la responsabilité du Dr Sylvain Brochard) et Italie (Université de Pise, Dr Andrea Guzetta). Un consortium européen renforcé par des équipes de recherche suisses et espagnoles qui a relevé un défi de taille : traiter à raison de plusieurs heures par jour une cinquantaine d’enfants atteints de paralysie cérébrale unilatérale.

Proche de l'apprentissage intensif d'un instrument de musique

HABIT-ILE - Hand-Arm Bimanual Intensive Therapy Including Lower Extremities – a été mise au point en 2011 à l’UCLouvain. Contrairement à la méthode HABIT dont s’est inspirée la chercheuse, qui ne cible que les membres supérieurs, HABIT-ILE stimule constamment, de manière concomitante, la coordination des deux mains et les membres inférieurs (jambes et pieds) ainsi que le tonus du tronc. « C’est une méthode proche de l’apprentissage intensif d’un instrument de musique ou de l’entraînement sportif », souligne Yannick Bleyenheuft, « puisque l’enfant suit un stage de deux semaines à raison de 5h par jour ».

Durant ce temps, il s’adonne de façon intensive et accompagnée à des jeux thérapeutiques pour stimuler la motricité – construction, pâte à modeler, jeux de plateau, vélo, trottinette… – choisis en fonction des objectifs fixés avec les parents et l’enfant. Par exemple, être capable d’entrer dans le bain, d’enfiler un pantalon, de faire du tricycle, etc. Une condition : en plus d’être ciblées pour la rééducation, les activités doivent être ludiques et avoir du sens pour l’enfant. En outre, en aucun cas l’enfant n’est aidé en guidant ou stabilisant le mouvement (thérapie hands off) et une gradation progressive de la difficulté des mouvements vise à induire des changements moteurs et neuroplastiques*.

Les résultats de cette recherche sont extrêmement positifs. Avec moins d’heures d’entraînement que chez les enfants plus âgés (50h par semaine au lieu de 90h), ces enfants atteignent des résultats aussi bons voire meilleurs que les enfants de plus de 6 ans, confirmant l’hypothèse d’une neuroplasticité plus importante. La main la plus touchée s’intègre plus spontanément et de manière plus efficace dans les jeux et les activités du quotidien – c’est la mesure principale.
Parallèlement, les membres supérieurs pris isolément évoluent très bien. Les chercheur·es ont également observé des progrès significatifs sur le plan de la motricité grossière (se déplacer au sol, se tenir assis et debout, marcher, …), et ont constaté des changements importants sur le plan des objectifs fonctionnels définis avec les parents. En outre, les progrès observés à l’issue du stage sont conservés et même poursuivis à la maison.

Intervenir très tôt pour des changements structurels ?

Au-delà, le passage de ces enfants à un examen IRM permet de documenter les changements neuroplastiques et de vérifier si un traitement avant l’âge de deux ans permet d’induire plus de changements que s’il intervient plus tard. Le consortium de recherche investigue différents aspects de la plasticité cérébrale. L’équipe de Yannick Bleyenheuft travaille sur la matière blanche (en charge du transport d’influx nerveux) et en particulier l’organisation du tractus cortico-spinal qui peut être très perturbé par une lésion corticale unilatérale. « L’objectif est de voir, dans les analyses en cours, si les tractus corticospinaux peuvent se réorganiser de manière plus traditionnelle. Si oui, cela signifie que ce type de prise en charge doit intervenir très tôt pour induire des changements structurels », explique la chercheuse.

À noter que chez des enfants plus grands, il a été démontré que la qualité des fibres du tractus corticospinal était améliorée après un traitement du type HABIT-ILE. « Sur base de la littérature scientifique, on pense que le processus auquel on soumet les enfants, avec augmentation progressive des difficultés, relance la production de myéline** », souligne Yannick Bleyenheuft. « C’est probablement cette relance qui restaure la qualité des fibres du tractus corticospinal après traitement. »

Expérimentale en Belgique, la méthode prend son envol en France

En Belgique, la méthode HABIT-ILE est utilisée dans un cadre expérimental uniquement car non remboursée par la sécurité sociale (qui ne prend en compte que le traitement classique, des séances de kinésithérapie de 30 à 60’ par jour). En France, la méthode prend son essor en particulier depuis les nouvelles guidelines de la Haute Autorité de Santé en décembre 2021 qui a fait d’HABIT-ILE une recommandation majeure pour la prise en charge des enfants avec paralysie cérébrale.

D’autres études sont en cours au sein de l’équipe de Yannick Bleyenheuft : chez des enfants encore plus jeunes, âgés de 6 à 18 mois ; chez des enfants du même âge atteints d’une paralysie cérébrale bi-latérale ; dans des modalités où l’on dispense la thérapie à distance à la maison, dans un projet en Australie avec le concours de plusieurs universités et dans des modalités applicables dans les pays en développement, notamment en Afrique et en Asie.

Autant d’espoirs pour arriver à mieux traiter les enfants atteints de paralysie cérébrale et, qui sait, demain, en faire autant pour des adultes atteints d’AVC ?

Afin de transférer ce know-how aux thérapeutes (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, médecins, psychomotricien.nes, l’UCLouvain a développé un Certificat universitaire en neuroréhabilitation fonctionnelle et intensive. La prochaine session démarre en janvier 2024. Infos et inscriptions : https://uclouvain.be/prog-2023-nerh2fc

* la plasticité cérébrale est la capacité qu’a le cerveau à remodeler les connexions des neurones selon les expériences vécues
** myéline : membrane grasse qui isole et protège certaines fibres nerveuses du cerveau et de la moelle épinière

 

Publié le 19 décembre 2023