Rentrée académique 2017 : sous le signe de l'aventure scientifique

Monseigneur,

Messieurs les Ministres d’Etat, Excellences, Messieurs les ambassadeurs,

Madame et Messieurs les ministres,

Messieurs les Recteurs,

Mesdames, Messieurs, chers amis de l’université,

Chers collègues, chères étudiantes et chers étudiants, chers diplômés,

 

Ce soir l’aventure scientifique sort des laboratoires et monte sur scène. La science part à l’aventure pour se retrouver face aux projecteurs. Elle prend le visage de nos futurs docteurs. Elle donne un visage aux innombrables chercheuses et chercheurs qui explorent, eux aussi, les frontières du connu afin d'interpeller nos certitudes, d’ouvrir la porte vers des voies inconnues et de décoder la complexité du monde.

Ce soir, nous honorons celles et ceux qui, comme nos invités, mettent leurs compétences, leur ténacité, leur passion et leur soif de connaissance au service des missions difficiles et exigeantes de la recherche.

Cindy Van Dover, Eric Lander, Sanjay Subrahmanyam, we are all very honored to have you here with us. Starting from today, you are here at home. Welcome to Louvain !

L’aventure scientifique, voilà bien deux mots qui caractérisent pleinement l’université. Avec l’aventure scientifique, nous sommes au cœur de notre métier d’universitaires, portés et enthousiasmés par la perspective de l’exploration d’espaces inconnus.

Cindy Van Dover, en plongeant à plus de 4 000 mètres de profondeur vous observez les sources chaudes des océans pour y découvrir, dans des conditions extrêmes, une biodiversité luxuriante et une vie foisonnante. Une aventure que votre marraine d’aujourd’hui compare volontiers à l’exploration de la planète Mars !

Eric Lander, vous avez fait aboutir l’incroyable et ambitieuse aventure du séquençage du génome humain, un projet international d’envergure au service de la santé et qui a marqué un tournant majeur de l’histoire des sciences du vivant. Vous vous êtes battu pour rendre l'information disponible pour tous, alors qu’une entreprise privée tentait de prendre le projet de vitesse et de breveter le génome humain.

Sanjay Subrahmanyam, avec votre maitrise de nombreuses langues, votre souci de mettre en valeur des sources multiples et votre fine connaissance des sociétés et des cultures européennes et orientales, vous avez souligné la nécessité de comprendre un monde connecté et pluriel et de développer une histoire globale et connectée qui refuse l’imposition d’un modèle interprétatif unique. L’histoire multiplolaire que vous nous proposez met en question les notions de nation et d’étranger, une mise en question plus que nécessaire aujourd’hui.

Vous vous tenez tous les trois au marges du monde connu. Votre aventure est intellectuelle, passionnante, personnelle et en même temps collective. Tous les chercheurs ne font pas de découvertes majeures, tous n’ont pas le privilège d’une large reconnaissance, mais à force de découvertes régulières, d’éclairages et de petites touches, un pas après l’autre, les chercheurs, quels qu’ils soient, avancent et font peu à peu croître le gigantesque patrimoine commun de la connaissance et de la compréhension du monde. L’humaniste et philosophe Bernard de Chartres (12ème siècle) utilisait ainsi cette belle image, largement reprise depuis, pour décrire sa propre recherche : « Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. » Le cheminement d’une découverte est collectif. Il se construit en collaboration, juché sur des épaules de géants. A travers vous, chers docteurs honoris causa, ce sont aussi tous ceux et toutes celles qui contribuent à cette vaste construction que nous honorons ce soir.

Près de 10 millions de chercheurs travaillent aujourd’hui à travers le monde, 70 000 en Belgique, plus de 3 000 à l’UCL (et 300 dans cette salle). Ils travaillent avec leurs forces et leurs faiblesses, dans des contextes souvent fort différents, dans des sociétés qui proposent (et parfois imposent) un cadre qui précise ou organise les choix et les priorités. Les découvertes scientifiques riches de promesses naissent dans le questionnement, dans le doute, dans la passion des individus et des équipes, mais aussi au cœur des tiraillements de la société qui pourtant doit laisser de la place à la recherche libre. L’année Louvain de l’aventure scientifique c’est l’occasion de rappeler qu’en aucun cas, la recherche fondamentale ne peut être sacrifiée sur l’autel de l’immédiateté, de l’absence de risque, ou du manque de vision. Il faut accepter l’innocence de la recherche non orientée et donner vie et force à la volonté affichée du FNRS dans son slogan, « la liberté de chercher ».

Promouvoir la recherche, c’est aussi promouvoir l’enseignement. Le chercheur qui met en question les modèles et qui confronte ses idées à l’épreuve de la réalité se prépare à l’enseignement universitaire. Il expérimente lui-même ce qui le poussera ensuite à former des étudiants à l’esprit critique et à leur apprendre à questionner et éclairer les savoirs. L’enseignant n’est pas seulement un transmetteur de savoir ou de connaissances, c’est un transmetteur de doutes et de questions. L’université n’est pas un lieu où on vient asseoir des certitudes, mais un laboratoire d'idées où les questionnements interrogent les connaissances. Pour Eric Lander, aussi importantes que soient ses découvertes, l’impact majeur qu’il exercera en définitive, le sera par son enseignement. Dans une délicieuse vidéo Youtube, il confesse : « I really believe that no matter what I do in my scientific career, the important impact that I can ever have in the world is going to be through teaching my students. »

Enseigner c’est être en prise directe avec des acteurs d’aujourd’hui et de demain. Dans le livre édité à l’occasion de cette année d’aventure scientifique, la Pr Cathy Debier, décrit « […] je suis aussi une enseignante. J’ai devant moi les acteurs de demain. J’ai pour mission de susciter en eux non seulement l’envie de connaître et le plaisir de découvrir mais aussi l’urgence d’agir. ».

Vos aventures scientifiques, Cindy Van Dover, Eric Lander, Sanjay Subrahmanyam, témoignent de l’esprit de découverte mais aussi de la nécessité d’agir et d’encourager d’autres à passer à l’action.

Cindy Van Dover, vous découvrez des fonds marins menacés par le déversement massif de déchets, la pollution et l’exploitation minière. Vous lancez l’alerte et vous vous engagez dans la définition et la défense de réglementations visant à minimiser l’impact négatif des activités minières.

Eric Lander, vous présidez l’assemblée des conseillers du président Obama en sciences et technologie (si seulement vous aviez pu y rester) et vous avez exercé une influence importante sur la politique scientifique mais également sur le système judiciaire des Etats-Unis, en défendant, entre autres, l’utilisation d’approches scientifiques rigoureuses.

Sanjay Subrahmanyam, à travers l’histoire connectée, vous poussez chacun à s’interroger sur la place de l’itinérance et sur la fonction de l’« étranger » dans les sociétés du passé et du présent. Vous déplacez les frontières de la pensée pour mieux imaginer les interdépendances, à l’échelle des individus comme des empires.

Les recherches et les actions de nos docteurs honoris causa montrent combien la diversité et la connectivité dans le monde sont essentielles. Cette diversité est une des meilleures garanties d’adaptation mais aussi d’innovation. Elle est le moteur qui permet de surmonter les crises et de construire un futur collectif.

Mesdames et Messieurs,

Très chers collègues,

Nous ne pouvons ignorer les soubresauts du monde. A travers le monde, la liberté de chercher est menacée.

En Turquie, en quelques mois, 19 universités ont été fermées, 400 étudiants arrêtés pour délits d’opinion et des milliers d’enseignants et de chercheurs ont perdu leur poste.

Hamid Babaei, étudiant doctorant à l’Université de Liège, est toujours détenu en Iran. En Iran aussi, le professeur Ahmadreza Djalali, qui intervient dans un programme de master co-diplômé avec la VUB a été arrêté et menacé de peine de mort ce week-end. La rectrice de la VUB, Caroline Pauwels, nous invite à signer d’urgence une pétition de soutien.

Il y a quelques jours, le président de la première puissance politique mais aussi de la première puissance scientifique mondiale, menaçait de supprimer les financements fédéraux de recherche d’une université, Berkeley, parce que des manifestants y avaient protesté la veille contre la venue d’un de ses partisans.

Les frontières se referment autour de nombreux pays alors que les avancées scientifiques sont largement liées à la mobilité des chercheurs et des idées.

Dans le pays de deux de nos docteurs honoris causa, des chercheurs étaient jusqu’à vendredi interdits d’entrée sur le territoire, du simple fait de leur nationalité, celle d’un pays à majorité musulmane.

Il est de notre responsabilité de réagir, d’intervenir dans le débat et de nous exprimer sans ambiguïté. Il n’y a pas de recherche sans liberté. Il n’y a pas de recherche sans échanges. Il n’y a pas de recherche sans le respect et l’écoute de la différence. La recherche, par son interprétation du monde, par sa critique des modèles établis, par son exigence de dialogue, contribue aussi à la liberté.

L’aventure scientifique que nous célébrons aujourd’hui est un bien précieux qui doit être protégé et défendu par les chercheurs et par celles et ceux qui ont la volonté que le monde soit à l’écoute de la raison et s’engage dans l’exploration et la compréhension parfois difficile de la complexité du monde et des hommes. Aujourd’hui, cette conviction a plus que jamais besoin d’être soutenue par notre action.

Si nous honorons ce soir trois chercheurs reconnus par la communauté internationale, nous ne pouvons le faire sans penser à tous leurs collègues qui voient leur liberté de circuler et de penser menacée. C’est en hommage à tous ces chercheurs que nous vous invitons à participer à l’éloge d’une aventure scientifique libre, dont les principes fondamentaux vont d’abord être rappelés avant que nous ne célébrions trois aventures particulières.