La Ferme du Biéreau : Une success story

Depuis 2007, à Louvain-la-Neuve, la Ferme du Biéreau, cette «Maison de toutes les musiques», accueille un large public dans sa superbe grange classée et rénovée. Du jazz au rock en passant par le classique, les musiques du monde et des genres plus expérimentaux, la musique y est présente sous toutes ses formes. Concerts, résidences d’artistes, enregistrements en studio, productions et festivals s’y succèdent tout au long de l’année. Nous avons rencontré Gabriel Alloing, le directeur artistique de la Ferme, qui a accepté de nous dévoiler les coulisses de cet espace musical d’exception.

Propos recueillis par Frédéric Blondeau

Gabriel Alloing, vous êtes à la tête de la Ferme du Biéreau depuis près de 15 ans. Quel développement incroyable depuis les origines du projet ! Comment cette belle aventure a-t-elle commencé ?

GA Quand j’ai accepté de prendre les rênes du projet, le lieu venait de faire l’objet d’une très belle rénovation. Et c’est à l’été 2007 que la Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et l’UCLouvain décident conjointement de donner davantage de moyens et de profes-sionnalisme à ce lieu, en l’aménageant et en le dotant d’un équipement technique adéquat. A l’époque, la Ferme n’est pas encore sur la carte culturelle. Il y aura un premier début de saison à l’automne 2007, quelques mois avant mon arrivée, avec une belle programmation artistique menée par Axelle Thiry. Mais la Ferme avait besoin d’une direction, d’une vision, pour prendre son envol. L’UCLouvain et la Ville décident donc d’engager une personne chargée de développer/diriger ce projet avec le soutien du Conseil d’administration de la Ferme. Et j’ai été choisi. Ce projet rencontrait un vieux rêve personnel. Moi qui ai passé mon enfance et mon adolescence à Louvain-la-Neuve, je rêvais depuis longtemps d’une salle pouvant accueillir, dans la cité univer-sitaire, tous les genres musicaux. Je trouvais que ça manquait dans le paysage. Mais je ne pensais pas alors à la Ferme du Biéreau.

Quelle est l’histoire de cette ferme ?

GA Comme pratiquement toutes les fermes situées sur le territoire de Louvain-la-Neuve, elle a été rachetée par l’université peu après son arrivée sur le site. Elle était alors encore en activité. Le fermier qui l’exploitait a continué quelques années puis a pris sa retraite. C’est alors que l’université et la commune ont décidé de dédier cette ferme à la musique et de monter un projet ensemble. Mais pour que la Ville puisse mettre des moyens dans la rénovation du bâtiment, il fallait que ce soit un bâtiment communal. C’est ainsi que l’UCLouvain a cédé le bâtiment à la Ville, sous forme d’emphytéose, pour une somme symbolique. Entre 2005 et 2007, 40% du bâti a été rénové, en particulier la grange qui est la salle de concert principale, le fenil, le foyer, le studio et les loges. On vient tout récemment de rénover 20% supplémentaires, avec les écuries et la cour. Le principe est simple : chaque fois qu’une partie de la ferme est rénovée, elle tombe dans l’escarcelle de l’asbl. Une règle qui a été fixée au moment de la création de l’asbl « Espace culturel Ferme du Biéreau » en 2007.

Aujourd’hui, quel est le volume d’activités de la Ferme ?

GA Il y a chaque année entre 45000 et 50000 personnes qui passent par la Ferme. Nous nous occupons au total d’à peu près 500 événements par an à la fois intra-mu-ros et extra-muros. Entre nos spectacles, nos productions qui voyagent, les activités qui se passent chez nous, à la fois celles qu’on accueille et celles qu’on organise de a à z. C’est énorme ! Et ça va probablement encore se développer avec l’ouverture des écuries et le développement de notre pôle production et diffusion. 

La Ferme ne sert plus à faire pousser des céréales et à élever des animaux, mais à faire pousser des graines de culture, des artistes et leurs projets musicaux.

Qu’est-ce qui fait l’identité de la Ferme du Biéreau, son ADN ?

GA Elle tient d’une part à son esthétique. Fondée au XIIe siècle, propriété de l’abbaye de Florival durant plus de six siècles, cette ferme joliment restaurée témoigne d’un riche passé. Elle ne sert plus à faire pousser des céréales et à élever des animaux, mais à faire pousser des graines de culture, à accueillir un public nombreux, des artistes et leurs projets musicaux. Mais surtout, ce qui fait la singularité de ce projet qui a assez vite été baptisé « Maison de toutes les musiques », c’est qu’il occupe une place singulière dans le paysage musical de la Fédération Wallonie Bruxelles. En effet, nous nous sommes spécialisés dans des projets musicaux (concerts, spectacles musicaux, etc.), mais sans exclusive en termes de styles. A l’heure actuelle, ce n’est pas fréquent. Les opérateurs culturels ont souvent tendance à se spécialiser, parfois pour de bonnes raisons (il est plus facile de se concentrer sur un style musical) ou de moins bonnes (une certaine logique marketing a tendance à enfermer les gens dans des silos). En ce qui nous concerne, nous avons fait le pari inverse. Un pari qui, à certains égards, est plus complexe parce qu’on travaille avec des artistes et des publics très diversifiés. A travers cet outil de découverte qu’est devenue la Ferme, nous faisons le pari qu’une partie du public va ouvrir ses « chakras » musicaux, découvrir d’autres styles, s’intéresser à d’autres genres. Moi je n’aime pas qu’on décide à ma place de ce que j’aime ou n’aime pas. Je ne prise pas tellement les petites cases et les cloisonnements. Et je pense que c’est pareil pour nos publics. Une autre marque de fabrique de la Ferme, c’est cette volonté d’accompagner et de soutenir les artistes, en particulier ceux de la FWB, de les aider à monter leur projet, ou tout simplement de les accueillir dans les meilleures conditions techniques et financières possibles en veillant à bien les mettre en valeur. Nous avons notamment la chance d’avoir une équipe technique formidable pour laquelle je reçois sans cesse des compliments.

En plus d’une programmation variée, une autre caractéristique démarque aujourd’hui la Ferme : ce sont les créations musicales.

GA En effet. Grâce à notre dynamisme et à un petit soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Ferme est désormais devenue un véritable centre de création musicale unique en Belgique francophone, officiellement reconnu en tant que tel depuis 2018. Nous accompagnons de nombreux projets musicaux, de la phase de création à la diffusion, tant en Belgique qu’à l’étranger. 

Fidèle à sa devise de « Maison de toutes les musiques », la Ferme propose des spectacles pluridisciplinaires. C’est une évolution relativement récente qui a commencé avec le spectacle « Pierre et le loup » en 2015 à l’occasion du festival Kidzik (festival pour le jeune public). Nous avons aujourd’hui une vingtaine de productions ou de co-productions qui tournent. Hier soir, très concrètement, nous avions un spectacle (« Yule ») dans la région marseillaise. Ce soir, c’est « Nina Lisa » (une création musicale autour de Nina Simone) qui est jouée à Ath…  Pour soutenir ce volet création et le développer plus avant, nous espérons recevoir avant la fin de l’année, à l’occasion des remises à plat des contrats-programmes, une plus grande reconnaissance et plus de moyens de la part des pouvoirs publics. 

Quels sont les publics de la Ferme du Biéreau ?

GA Nos premiers publics sont les habi-tant·es de la ville d’Ottignies-LLN et de la région, en ce compris les étudiant·es et la communauté universitaire qui représentent une catégorie en soi. Les étudiant·es, constituent un public pas toujours facile à capter, et souvent pour de bonnes raisons : la vie étudiante à Louvain-la-Neuve est très dynamique et d’innombrables activités leur sont proposées chaque jour. Par ailleurs, la communauté étudiante utilise régulière-ment nos infrastructures pour ses propres événements. En effet, en plus des activités que nous organisons, il y a toutes celles que nous accueillons et que nous n’organisons pas nous-mêmes (cela représente 2/3 des activités).

Et puis, bien sûr, c’est une chance d’être situé dans une ville universitaire.  D’abord parce que Louvain-la-Neuve me semble être une singularité dans l’espace-temps : c’est certes une petite ville de 30.000 habi-tant·es, mais qui représente une dynamique, des enjeux intellectuels, économiques et sociaux importants et qui est habitée par une population extrêmement diversifiée et originale. C’est une opportunité formidable pour développer des synergies et des partenariats avec, entre autres, UCLouvain Culture, les Facultés et l’ensemble de la communauté universitaire, sans parler de la Ville et des autres opérateurs culturels bien-sûr.

Au cœur de la politique culturelle qu’elle poursuit, l’UCLouvain développe des projets dits de recherche-création associant artistes et chercheurs. Quel rôle la Ferme du Biéreau peut-elle jouer dans cette nouvelle dynamique ?

GA Ce nouvel axe de la politique culturelle de l’université est très stimulant. Nous avons déjà eu l’occasion de développer avec UCLouvain Culture des projets dans cette dynamique comme le colloque-concert-spectacle « Musique et cerveau » ou le tout récent « Molière, la musique et les femmes ». On pourrait certainement profiter encore plus de cette nouvelle orientation et associer davantage encore des enseignant·es et des chercheur·ses à des projets de création. Cela fait partie de l’ADN de la Ferme que de vouloir collaborer avec une multitude de d’acteurs, et c’est ce qu’elle fait. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle s’est construite et c’est comme ça qu’elle évoluera. Cela a tout son sens de développer ce type de projets, avec ce partenaire premier qu’est l’UCLouvain. 

Quels sont les développements futurs programmés pour la Ferme ?

GA Si l’on parle du bâtiment, il reste des parties de la ferme qui ne sont pas encore rénovées et donc pas encore gérées par nos soins. En termes de travaux, notre priorité est l’agrandissement du foyer qui est clairement sous-dimensionné pour accueil-lir le nombre important de spectateurs qui fréquentent les lieux.  Nous avons un accord de principe des partenaires histo-riques pour les travaux. Nous pensons qu’il serait intéressant de pouvoir faire un trait d’union architectural entre la ville nouvelle et le témoin du passé qu’est cette ferme, avec une structure transparente qui ferait communiquer l’intérieur de la cour avec l’extérieur. Il y aura, ensuite et enfin, le corps de logis à rénover. Mais une chose à la fois.

Les écuries fraîchement rénovées sont quant à elles déjà très utilisées par les étudiant·es, avec la volonté d’offrir un tarif de location très abordable.

GA Oui. Dès le départ, notre idée était de rendre accessible cet espace rénové au plus grand nombre, y compris bien sûr la commu-nauté universitaire, les étudiant·es en particulier, avec un système de tarification le plus raisonnable possible et un dispositif le moins gourmand possible en personnel. A l’usage, nous observons un taux d’utilisation qui n’arrête pas d’augmenter.  Nous avons beaucoup de demandes de la part d’étu-diant·es et d’habitant·es. C’est un endroit qui offre davantage de souplesse et de polyva-lence que la grange. On peut y programmer des fêtes, des spectacles ou des soirées. Nous en sommes à la moitié de la saison.

Comment se passe cette année, après les confinements qui ont durement frappé le monde culturel ?

GA Nous avons eu un très bon début de saison. Je pense que cela s’explique en partie par le fait que, même en temps de COVID, nous avons maintenu nos activités et le lien avec le public grâce à une série d’actions concrètes, en proposant par exemple du testing gratuit à l’entrée des salles, en annulant très peu de concerts, etc. De sorte que cette année-ci le public revient nombreux. Bien sûr, nous restons un peu tributaires de l’actualité, sans parler des surcoûts en termes de personnel et d’énergie qu’il faut pouvoir absorber. Mais pour l’instant, tout va très bien au niveau du remplissage de nos spectacles, des locations et des tournées de nos productions. 

Que pointer dans cette deuxième partie de saison ?

GA Beaucoup de belles rencontres qui se profilent. Je pense à la chanteuse et violoncelliste cubaine Ana Carla Maza, ainsi qu’aux « Violons barbares » qui proposent la rencontre de trois musiciens aux origines et cultures différentes : un mongol, un bulgare et un français. Nous avons aussi un très beau projet avec UCLouvain Culture et l’en-semble Musiques Nouvelles :  une relecture contemporaine de Hildegard Von Bingen par Jean-Paul Dessy et Romain Dayez. Nous avons aussi des découvertes comme Antoine Wielemans, le chanteur des Girls in Hawaï, qui revient avec un projet personnel en français, des habitués de la Ferme comme Didier Laloy et Quentin Dujardin. L’Open jazz Festival aussi porté par les étudiant·es du kot Certino. Un cabaret découverte chansons françaises, qui porte cette année sur le thème de l’amour. Mais aussi du jazz, de la musique classique, etc. Et puis la sortie du nouvel album de Karim Baggili, un opus entièrement consacré au Oud avec une place privilégiée pour les percussions. Pas mal de belles choses en perspective donc…

Dernière question plus personnelle : vous avez fait des études d’ingénieur civil à l’UCLouvain avant de vous tourner vers le théâtre puis la musique. Comment expliquer cet étonnant changement de direction ?

GA Je suis issu d’une famille qui aimait la culture, mais qui n’était pas une famille d’artistes. Moi-même, j’ai toujours aimé les maths et la littérature. Et quand je suis arrivé à la fin de mes secondaires, je n’étais pas vraiment fixé sur mon choix d’étude. Mon père m’a dit : ingénieur c’est une bonne formation. Et j’ai fait des études d’ingénieur, sans grande conviction mais avec quelques facilités. Du coup, pendant mes études j’ai fait plein de choses : du sport, du théâtre, des rencontres internationales (je kotais au kot Carrefour). Je me suis rendu compte que toutes ces activités m’apportaient humaine-ment et intellectuellement davantage que mes études d’ingénieur en mathématiques appliquées, que j’ai néanmoins terminées. J’ai travaillé presque deux ans comme ingénieur, mais l’envie de respirer l’air du large et de goûter à la « vie d’artiste » m’a poussé à reprendre des études de théâtre au Conser-vatoire de Liège. Je ne regrette pas ce choix. Je garde de mes études d’ingénieur une certaine rigueur intellectuelle, un rapport aux chiffres et du pragmatisme qui me servent au quotidien dans ma fonction de directeur de la Ferme. Mais à côté de cette dimension de gestionnaire, j’ai développé aussi une pratique artistique en particulier dans le domaine théâtral où je mélange la mise en scène, l’écriture, parfois aussi la comédie. Je trouve que c’est une hygiène pour des opérateurs culturels d’être aussi sur le terrain, de comprendre de l’intérieur ce que c’est qu’être artiste, même de manière intermittente. Il importe de ne pas se déconnecter des réalités du terrain.

Quelques chiffres

La Ferme du Biéreau, en 21-22, c’est : 
—  Une saison riche de plus de 30 événements 
—  144 concerts
—  278 locations de salles
—  32670 spectateurs cumulés (saison, Kidzik, Midzik, créations intra et extra muros)
—  19 créations
—  Une équipe de 17 personnes (11,5 ETP)

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Article publié en février 2023 dans TRACES, le magazine de l'actualité culturelle à l'UCLouvain. Lire la suite 

Publié le 13 février 2023