Se transformer. Corps rêvés, corps projetés.

La programmation du CinéClub Louvain-la-Neuve 23-24

Le corps d’un spectateur de cinéma est, avant tout et le temps d’une séance, essentiellement immobile, confortablement assis, les yeux rivés sur l’écran.

Les seuls corps en action sont alors ceux qui sont projetés. Mais qu’advient-il de notre expérience du corps lorsque nous nous retrouvons dans cette situation ? Notre corps privé de mouvement ne serait-il pas, par sa mise en retrait du quotidien et de ses contraintes, pleinement disponible pour se confronter à l’altérité, s’imaginer différent, capable de transformations ?

AVEC cette nouvelle saison et en lien avec la thématique culturelle de l'UCLouvain, le CinéClub Louvain-la-Neuve propose un focus sur la transformation des corps au cinéma. Ces corps projetés seront ceux d'actrices et d'acteurs aux transformations physiques remarquables. Qu'il s'agisse de déguisements, de travestissements, ou de mutations subies, les propositions seront parfois radicales mais toujours stimulantes. La saison sera ainsi séparée en deux parties distinctes et connectées.

Dans un premier temps, la programmation fera la part belle aux corps déguisés, grimés, qui s’imaginent autrement par l’art du transformisme, avec, en ouverture, un film muet et accompagné au clavier : Le Fantôme de l’opéra, avec Lon Chaney. Le déguisement se fera alors progressivement plus exubérant et parfois politique lorsqu’il prendra la forme du travestissement, dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, chez Almodovar avec Tout sur ma mère ou encore dans le très provocateur Female Trouble de John Waters, sommet inégalé du cinéma trash des années 1970.

Cette progression sera enrichie d’I’m not there de Todd Haynes, un film-monde où de multiples performances se croisent pour tenter d’approcher la mythique figure du chanteur-compositeur – et prix Nobel de littérature – Bob Dylan.

Dans un second temps et à partir du mois de février, les corps projetés à l’écran seront l’objet de transformations physiques qui les positionnent en marge de la société. Cette configuration sera à l’œuvre dans Elephant Man de David Lynch, mais également lors d’une soirée exceptionnelle en deux parties, où nous diffuserons deux films japonais : Akira, mythique film d’animation cyber-punk, où le corps du jeune Tetsuo s’agglomère monstrueusement avec des matériaux inorganiques, puis Tetsuo – The Iron Man, film d’horreur en noir et blanc qui creuse ce principe dans une veine encore plus provocante et expérimentale.

La saison se clôturera de bien belle manière, avec les corps transformés par la danse sous le travail de la chorégraphe Pina Bausch et du réalisateur allemand Wim Wenders. Un film qui, grande première au ciné-club, sera projeté en 3D, rendant l’expérience de ces corps encore plus immersive.

Qu’ils soient invités à la contemplation, au désir, à la projection ou au rejet, nul doute que nos corps immobiles prendront part à d’innombrables expériences, au cœur d’un programme une fois encore riche en promesses.

> Séance 1 (10/10/23) The Phantom of the Opera [Le fantôme de l’Opéra]

Produit par le studio Universal, Le Fantôme de l’opéra (1925) constitue la première et sans nul doute l’une des meilleures adaptations du roman éponyme de Gaston Leroux au cinéma. Influencé par les jeux d’ombre de l’expressionnisme allemand, bénéficiant de décors somptueux, le film se détache aussi par la performance de son acteur principal, Lon Chaney, surnommé « L’homme aux mille visages » tant son habilité à se métamorphoser était grande. Habitué à jouer des personnages hors norme comme Quasimodo dans Notre-Dame de Paris (1923), Lon Chaney compose ici une créature profondément ambivalente, dont l’apparence horrifique n’est pas immédiatement révélée. À l’époque, le studio misa sur cet aspect pour promouvoir le film en ne montrant aucune image du visage du « fantôme ». On fit également savoir que des remèdes étaient prévus dans les salles pour ranimer les personnes qui perdraient connaissance à la suite de ses apparitions…Un film de Rupert Julian, avec Lon Chaney, Mary Philbin, USA, 1925, 114 min., muet, noir & blanc. Accompagné en direct au clavier par Philippe Marion.

> Séance 2 (24/10/23) Holy Motors

Encensé par une grande partie des critiques au moment de sa sortie en 2012 pour sa liberté et son inventivité, Holy Motors déroule une journée de la vie de Monsieur Oscar (Denis Lavant), étrange personnage transformiste, passant de rôle en rôle, de scène en scène, de fiction en fiction, à bord d’une limousine blanche. Avec ce film, Leos Carax (Mauvais Sang, Les Amants du Pont-Neuf) traverse les époques, les espaces et les genres, bouleversant nos repères visuels, temporels, intellectuels et émotionnels ; il nous propose un cinéma explosif et à fragmentation, à la fois exploratoire et référentiel, extrêmement jouissif.

Un film de Leos Carax, avec Denis Lavant, Eva Mendes, Leos Carax, FRA, 2012, 115 min., v.o. fr., couleurs.

> Séance 3 (7/11/23) Todo Sobre mi madre [Tout sur ma mère]

Mélodrame postmoderne, très « fin-de- siècle », né dans les ressacs parfois glauques de la Movida, ce film se révèle un écrin maniériste, enchâssé entre deux fortes œuvres dramatiques : Un tramway nommé Désir et Noces de Sang. La narration construit une vaste galerie des glaces où se devine l’image argentique des spectres cinéphiles, de Mankiewicz à Cassavetes, que hantent les figures d’actrices bouleversantes, particulièrement celles de Bette Davis et de Gena Rowlands. Dans ce sommet de l’esthétique almodovarienne, le kitsch continue à être considéré comme un des beaux-arts, et l’hispanisme assumé rejoint une quête universelle, dans le grand jeu de l’amour, du hasard et de la mort, sous le règne de la beauté autant que de l’effroi, de la loi du désir aux étreintes brisées.

Un film de Pedro Almodóvar, avec Penélope Cruz, Marisa Paredes, Antonia San Juan, ESP, 1999, 104 min., v.o. sous-titr.fr, couleurs.

> Séance 4 (21/11/23) I’m not there

Après avoir exploré les dessous de la scène Glam Rock des années 70 avec Velvet Goldmine (1998), le réalisateur américain Todd Haynes s’intéresse, avec I’m not there, à l’énigmatique Bob Dylan. Inspiré de la vie, des chansons et des influences de l‘artiste, son portrait est divisé en six histoires, tantôt fantasmées tantôt proches de la réalité, chacune se distinguant par son style visuel. La célèbre citation « Je est un autre » de Rimbaud, énoncée dans le film, prend tout son sens lorsque l’on découvre les différentes facettes du chanteur incarnées par Christian Bale, Heath Ledger ou encore Cate Blanchett. Grâce à sa performance et sa transformation fascinante en la silhouette iconique de Bob Dylan durant son World Tour en 1966, l’actrice a d’ailleurs remporté le prix d’interprétation féminine à La Mostra de Venise.

Un film de Todd Haynes, avec Cate Blanchett, Richard Gere, Heath Ledger, ALL/CA/USA, 2007, 135 min., v.o. sous-titr. fr., couleurs.

> Séance 5 (5/12/23) Female Trouble

Si le bon goût, la moralité et la bienséance sont ce que vous recherchez au cinéma, Female Trouble risque bien de vous déstabiliser. Deuxième long métrage de l’emblématique collaboration entre John Waters, réalisateur iconoclaste originaire de Baltimore et Divine, drag queen corpulente à la rage communicative, ce sommet du cinéma trash et low-cost des années 70 n’a rien perdu de sa puissance de feu. Dawn, jouée par Divine, fuit de chez elle après que ses parents lui ont refusé une paire de chaussures de cha-cha. Ce point de départ ouvre le bal d’une série de péripéties plus drôles et profondément perturbantes les unes que les autres, poussant encore plus loin l’excès de Pink Flamingos, sorti deux ans plus tôt. Entre cabaret burlesque, road-movie décadent et ode décomplexée aux déclassé·es de la société américaine, le film réussit le tour de force d’ériger le mauvais goût en sommet d’esthétique contre-culturelle.

Un film de John Waters, avec Divine, Mary Vivian Pearce, David Lochary, USA, 1974, 92 min., v.o. sous-titr.fr., couleurs

> Séance 6 19/12/23) Some like it hot [Certains l’aiment chaud]

Chicago, 1929. Afin d’échapper à des gangsters, Joe (Tony Curtis) et Jerry (Jack Lemmon), deux musiciens de jazz, décident de se travestir et d’intégrer un orchestre féminin où ils rencontreront la chanteuse Sugar (Marilyn Monroe)... À la croisée des genres tant cinématographiques qu’identitaires, le réalisateur Billy Wilder joue subtilement avec l’ambiguïté des propos pour contrer la censure du Code Hays encore en vigueur dans les années 50. Some like it hot reste un indémodable du cinéma américain grâce aux talents du trio de stars qui nous emmène, entre quiproquos et intermèdes musicaux, dans leurs aventures rocambolesques. Encourageant notamment la réflexion autour de l’objectification du corps de la femme, cette œuvre reste plus que jamais d’actualité.

Un film de Billy Wilder, avec Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon, USA, 1959, 120 min., v.o. sous-titr.fr., noir & blanc.

> Séance 7 (13/02/24) Elephant Man

Après l’avant-gardiste Eraserhead (1977) et son bébé monstrueux, le deuxième long métrage de Lynch poursuit une exploration de la déformation des corps qui caractérisera l’œuvre du cinéaste culte. On retrouve aussi dans The Elephant Man une atmosphère cauchemardesque dans une environnement industriel, mais le récit se livre cette fois sous la forme plus accessible d’une fable humaniste aux accents mélodramatiques, dans la lignée de Freaks de Todd Browning (1932). Inspiré de l’histoire vraie de Joseph Merrick, bête de foire devenue un prodige médical dans l’Angleterre victorienne, Elephant Man signe le portrait poignant d’un homme sensible et intelligent condamné à habiter un corps spectaculairement difforme, martyrisé par la société de la révolution industrielle dont il apparait en même temps comme le fruit. Ce corps hors norme qui attise notre curiosité depuis le titre du film, Lynch prend le temps de nous le révéler d’abord à travers le regard des autres personnages, avec un sens du hors champ très maitrisé, mettant à nu un voyeurisme omniprésent et oppressant qui est aussi le nôtre.

Un film de David Lynch, avec John Hurt, Anthony Hopkins, Anne Bancroft, USA, 1980, 124 min., v.o. sous-titr.fr., noir & blanc.

> Séance 8 (27/02/24) アキラ [Akira]

Akira se déroule en 2019, dans un futur post-apocalyptique, dans la ville de Néo-Tokyo, reconstruite après une catastrophe nucléaire. Le film suit les aventures de Kaneda et de son ami Tetsuo, tous deux membres d’un gang de motards. Lors d’une bataille avec une bande rivale, Tetsuo tombe sur un mystérieux enfant aux pouvoirs psychiques appelé Akira. Tetsuo commence alors à développer des pouvoirs psychiques terrifiants. Il est capturé par le gouvernement, qui cherche à l’étudier, mais ses pouvoirs sont incontrôlables. Kaneda se lance dans une course contre la montre pour sauver son ami et empêcher une nouvelle catastrophe.

Un film de Katsuhiro Ōtomo, animation, JAP, 1988, 124 min., v.o. sous-titr.fr., couleurs.

Suivi de 鉄男 [Tetsuo]

Testuo, The Iron Man est un film expérimental de science-fiction et d’horreur qui explore l’obsession malsaine d’un homme, surnommé “Le Fétichiste du Meta”, pour la fusion de l’homme et de la technologie. Le film, sans dialogue et principalement en noir et blanc, plonge les spectateurs dans une esthétique brute et viscérale.

Un film de Shin’ya Tsukamoto, avec Shin’ya Tsukamoto, Kei Fujiwara, Nobu Kanaoka, JAP, 1989, 67 min., v.o. sous-titr. fr., noir & blanc.

> Séance 9 (12/03/24) Orlando

Adaptant le roman de Virginia Woolf, publié en 1928, la réalisatrice britannique Sally Potter présente et prolonge ce récit qui traverse les genres, les lieux et les époques, de la période élisabéthaine au XXe siècle. Ces variations épiques et méditatives sur le thème de la métamorphose questionnent le corps en ses déclinaisons masculines et féminines, comme reflets scintillants de l’histoire du monde, trajectoires étranges, étoiles filantes dans une nuit cosmique. Assumant son rôle axial, ligne conductrice au sein de cette spirale spatio-temporelle, Tilda Swinton fait merveille par sa capacite à traduire toute la puissance d’une chair mutante, entre manque et accomplissement.

Un film de Sally Potter, avec Tilda  Swinton, Billy Zane, Jessica Swinton, GBR, 1992, 94 min., v.o. sous-titr.fr., couleurs.

> Séance 10 (26/03/24) Pina

La grande chorégraphe Pina Bausch, la “dame de Wuppertal”, géniale inventeuse d’une “danse-theatre” (Tanztheater) expressionniste, a fasciné de nombreux cinéastes, de Akerman à Almodovar en passant par Fellini. Elle a réalisé elle-même un film en 1989 et projetait d’en créer un autre avec son ami Wenders, dans l’idée d’une communion entre la danse et le cinéma, quand un cancer l’a foudroyée en 2009. Wenders, cinéaste de l’errance et des faux mouvements, s’est alors lancé dans un film-hommage au mouvement danse – l’un des plus puissants depuis The Red Shoes de Powell et Pressburger (1948) – et à son pouvoir d’exaltation des corps, loin de toute convention. Pina est aussi un éloge de la technique cinématographique au service d’un autre art. L’utilisation novatrice de la 3D déploie les mouvements des danseurs dans un espace en relief qui semble partagé avec le nôtre : ces corps qui dansent entre la chute et la grâce nous touchent profondément.

Un film de Wim Wenders, avec Pina Bausch, Malou Airaudo, ALL, 2011, 106 min., v.o. sous-titr.fr., couleurs, 3D.

LES SEANCES ont lieu le mardi et commencent à 19h30 au Cinéscope, Grand Place - Louvain-la-Neuve.

Au début de chaque séance, un·e spécialiste in- troduit le film et donne quelques clefs de compré- hension pour mieux saisir le sens et la portée de l’œuvre projetée.

En pratique

Entrée : 6,00€ / 4,00€ avec la carte UCLouvain (étudiant·es et membres du personnel)

Infos : www.uclouvain.be/ culture www.facebook.com/cine- clublouvainlaneuve

Le CinéClub LLN est le fruit d’une collaboration entre UCLouvain Culture, l’IAD, COMU, le Cinéscope, le Spott et Louiz.

Publié le 03 octobre 2023