Nicolas Maigret, artiste en résidence 2017-2018

Nicolas Maigret
Artiste en résidence 2017-2018

A l’occasion de l’année Louvain 2017-2018 consacrée aux mondes numériques, le prochain artiste accueilli en résidence à l’UCLouvain sera Nicolas Maigret, un artiste numérique français qui développe depuis plus de 15 ans une pratique expérimentale du son et des images électroniques.

Nicolas Maigret s’intéresse aux dispositifs numériques : l’intelligence artificielle, les algorithmes, les objets connectés, etc. Il tente de rendre tangibles des réalités qui restent cachées dans les interstices des technologies. « Avec le passage au numérique, il y a une mise à l’écart entre ce qui est opérant dans ces objets et ce qui est visible de l’extérieur. En tant qu’artiste, mais cela pourrait être le travail d’un théoricien, cela m’intéresse de rendre visible et expériençables ces logiques internes. » Nicolas Maigret s’interroge donc sur ces objets, sur ce qu’ils opèrent dans notre quotidien, sur ce qu’on pense qu’ils font, sur ce qu’ils font sans l’annoncer… Il peut parfois se montrer très critique comme dans le projet Disnovation qu’il a initié (disnovation.org) ou à travers le collectif Art of Failure qu’il a co-fondé ou par le livre The Pirate Book co-écrit avec Maria Roszkowska.

Explorer les boites noires du numérique
Dans cet exercice de « rendre visible », il y a aussi chez l’artiste une véritable volonté de transmettre. S’il ne prend pas le numérique pour acquis, s’il le met en doute, s’il révèle ce que les technologies changent dans notre vie, c’est avant tout pour que les publics puissent « comprendre », « s’approprier ces logiques », « trouver du sens ». Cette volonté d’accessibilité va structurer le séminaire qu’il construit pour les étudiants de l’UCLouvain. A travers des moments de réflexion, parfois alimentés par des scientifiques, des mises en pratique où les étudiants pourront apprendre concrètement, il souhaite leur « donner des clés de connaissance ». Les réalisations des étudiants seront des traductions tangibles de cette exploration des boites noires des technologies avec « les moyens du bord ». Un peu comme Aram Bartholl[1] qui crée des sculptures à base de captcha[2] ou Erica Scourti[3] qui compose de la poésie à partir des suggestions que son smartphone lui soumet quand elle écrit ses SMS.

Finalement, les étudiants eux-mêmes deviendront des vulgarisateurs des connaissances acquises lors du séminaire. Ce séminaire artiste en résidence, Nicolas Maigret le voit comme « un laboratoire commun dans lequel je me mettrai moi-même, comme les étudiants, en situation d’apprentissage, de doute, d’exploration. Il n’y a pas d’un côté celui qui apporterait le savoir et ceux qui tenteraient de le comprendre, de se l’approprier, de le mettre à l’épreuve. Je veux sortir de ce modèle d’apprentissage. Nous allons plutôt essayer, ensemble, de tirer du sens, de produire des expériences et des formes. »

En collaboration avec TRANSCULTURES

[1] http://www.datenform.de/areyouhumaneng.html
[2] Ces suites de lettres et de chiffres que vous devez reproduire sur un site internet afin de prouver que vous n’êtes pas un robot.
[3] https://vimeo.com/133554414

 

Entretien avec Nicolas Maigret

Vous commencez votre résidence d’artiste à l’UCLouvain et votre travail avec les étudiantsQu’avez-vous envie de leur transmettre ?
L’environnement numérique prend une place de plus en plus importante dans nos quotidiens. Tous les secteurs de la vie humaine sont progressivement affectés par ces mutations technologiques. Parmi ces systèmes numériques, certains peuvent paraître assez simples (l’ouverture d’une porte avec un badge, etc.) mais la plupart d’entre eux sont le résultat de boites noires, c’est-à-dire des systèmes technologiques opaques et complexes dont le fonctionnement n'est pas directement intelligible : les moteurs de recherche, les systèmes de recommandations d’achats, les optimisations de parcours, les parcours GPS, etc. Bien souvent, les règles de fonctionnement de ces systèmes sont délibérément tenues secrètes ou rendues opaques par les grands groupes qui les développent.
Ces systèmes ont une influence très importante sur nos vies et nos manières de vivre ensemble en tant que société. Le moindre changement dans ces algorithmes peut avoir un impact à long terme ou assez vaste sur la société. L’idée est, avec les étudiants, d’explorer ces boites noires.

Comment allez-vous travailler ? Qu’allez-vous faire avec les étudiants ?
Nous leur avons proposé d’identifier des types de boites noires qui les entourent et qui les interpellent dans leur quotidien. Ensuite, nous définirons des méthodes pour révéler ou détourner ces boites noires : on peut imaginer, par exemple, révéler la manière dont fonctionne un moteur de recherche simplement en effectuant énormément de recherches de manière méthodique et en notant les types de résultats que l’on obtient, les types de biais, les types d’aberrations, de travers, etc. L’idée est de donner aux étudiants des méthodes pour pouvoir faire des investigations de ces boites noires. Enfin, ils travailleront par groupes afin de développer une série de scénarios, de tests, de prototypes et d’actions qui serviront à rendre le résultat de leur recherche partageable avec le public.

« Les systèmes numériques sont des boîtes noires dont le fonctionnement n’est pas directement intelligible… »

Quels étudiants ont choisi de suivre votre séminaire ?
Le background des étudiants est très divers. Ils proviennent de toutes les années : un thésard en philo, des chercheurs en intelligence artificielle, des étudiants en linguistique, en anthropologie… Cela crée une diversité et une richesse dans les échanges qui est assez intéressante. L’Université semble un environnement assez bienveillant et confortable pour les étudiants. Le modèle utopique et un peu insulaire de la ville nous intéresse. C’est un contexte particulier…

Comment en êtes-vous venu aux arts numériques ?
C’est venu assez vite, dès la fin des années 1990. Cela me paraissait évident : les zones de frictions et d’enjeux dans les mutations de la société se passait du côté du numérique/technologique.

Pour vous, c’est le rôle d’un artiste : se situer dans ces ‘zones de frictions’ ?
Oui, ce n’est pas la définition que tout le monde donnerait mais c’est évident : s’interroger sur les frictions, les mutations et les enjeux de société, c’est le cœur de ce qui m’intéresse en tant qu’artiste.

Les arts numériques, c’est quoi exactement ? Qu’est-ce qui définit l’art numérique ?
Souvent, on associe ‘arts numériques’ à l’utilisation des nouvelles technologies. Nous, nous interrogeons plutôt sur la place du numérique dans la société: l’objet de notre travail, ce sont les mutations du numérique.

Qu’est-ce qui vous touche dans cet art ?
Des changements majeurs sont en train d’avoir lieu. Du point de vue politique, social, géographique, écologique… à tous ces niveaux, il y a un impact direct de la globalisation, de la mise en réseau, de l’idéologie des start-ups… Ce n’est pas juste technologique ; ce sont des changements profonds et essentiels de société. Et le grand public peut -à certains moments- passer à côté de ces enjeux.

Vous travaillez beaucoup en collectif ? Qu’est-ce qui vous pousse à travailler à plusieurs ?
Nous abordons des sujets complexes, en réunissant des expertises et des parcours complémentaires : comme ceux d’un anthropologue, d’une designer, d’un programmeur, d’un artiste, d’un historien, etc. Travailler ensemble crée des dynamiques d’enrichissement. Cela permet aussi de penser des enjeux de travail, de recherches au-delà d’un intérêt individuel. De penser une recherche comme un enjeu collectif.

Que pourra-t-on voir à l’exposition ‘Écritures numériques’?
J’y présente trois projets, menés avec le Collectif ‘Transculture’.

  • Black Lists est un projet d’encyclopédie des adresses web restreintes ou interdites à travers le monde. Nous avons récupéré d’énormes listings commerciaux utilisés pour filtrer les réseaux. Ces millions d’adresses permettent de faciliter le filtrage et la restriction sur des réseaux collectifs. Nous en avons fait une encyclopédie, présentée comme un annuaire, en 13 tomes de 666 pages chacun. Ce sont donc des toutes petites adresses, organisées en colonne par ordre alphabétique que l’on peut consulter.
  • Ensuite, le projet Shanzhai Archeology. C’est à Shenzhen, en Chine, que sont produits la majorité des appareils technologiques au monde. L’essentiel de ces productions sont visibles ici, en Occident, au travers des grandes marques standardisées : ce sont des tablettes, des téléphones, des ordinateurs, des routers, etc. Mais il y a aussi une autre pants de production qui était destiné au marché asiatique ou de différents pays comme l’Inde, le Mexique, le Ghana, etc. Ces technologies alternatives cristallisent un imaginaire technologique complètement autre…
  • Le dernier se nomme Predictive Art Bot. Nous nous sommes intéressés à la manière dont les réseaux sociaux et les médias en ligne affectent nos imaginaires et la société en général. Nous avons créé un algorithme qui surveille les tendances émergentes, les nouveaux jargons, les mots-clés, les nouveaux sujets… et qui produit des concepts ou des idées pour des œuvres d’art. Cet algorithme fabrique des idées et des concepts artistiques. Il court-circuite l’imaginaire artistique car il produit, en flux tendu et en direct, des propositions artistiques sur la base des flux de tendance et de sujets qui résonnent sur les réseaux.

Si vous deviez choisir un objet important pour vous, quel serait-il ?
Je prendrais la machine à vapeur : le brevet de la machine à vapeur est considéré comme le moment charnière qui aurait fait entrer la civilisation dans l’aire de l’anthropocène, période où l’influence de l’homme devient le paramètre le plus marquant de l’évolution terrestre.  

Une phrase, une citation ou une personne qui vous inspire ?
Kate Crawford. Elle a mis en place un groupe de recherche qui s’appelle Artificiel intelligence Now, qui explore les enjeux éthiques et politiques qui entourent le développement de l’intelligence artificielle.