Les robots bâtisseurs

« Comment bâtir autrement ? » Le Professeur Pierre Latteur avait apporté une première réponse à cette question voici quelques temps : ce passionné de drones avait en effet initié des recherches sur la manière dont ceux-ci pourraient être utilisés sur un chantier de construction (podcast uclouvain). Il apporte aujourd’hui une autre réponse : après les drones bâtisseurs, voici les robots bâtisseurs !

C’est une petite vidéo qui a connu son succès parmi les professionnels de la construction et les architectes…7000 vues en 10 jours sur Linkedin : on y voit un robot qui ne sait plus où donner du bras pour entailler des troncs d’arbre (vidéo Youtube). Présenté de la sorte, la performance ne semble ni très extraordinaire ni très novatrice. Elle risque pourtant de connaître des prolongements très intéressants. Mais pourquoi s’intéresser à la manière dont un robot peut entailler un tronc d’arbre ?

La réponse vient de l’impasse dans laquelle se trouve la construction en bois. Certes, il existe de plus en plus de maisons individuelles dont l’ossature est en bois. Mais guère de grandes constructions comme des immeubles de bureaux, des centres commerciaux, etc. « Cela est essentiellement dû au fait que les ouvrages en bois sont plus chers que ceux en béton, explique le Professeur Latteur (Ecole Polytechnique de Louvain, responsable du pôle génie civil et environnemental), car le bois est un matériau qui subit de nombreuses transformations. Quand il arrive à la scierie, il vaut 100 euros/m3 ; une fois transformé en bois lamellé-collé ou contre-croisé, il vaudra jusqu’à 1000 euros/m3, alors que le béton coûte 500-600 euros/m3. C’est une différence significative. »

Utiliser des troncs d’arbres

De là est né un projet en partenariat avec l’entreprise Mobic de Harzé : si l’on veut construire en bois, il faut proposer du bois pas trop transformé, moins cher que le béton. A la limite…des troncs d’arbres. Mobic vient ainsi de construire à Pairi Daiza 10ha de carports (7.000 places de parking !) en troncs d’arbres, surmontés de 62.750 panneaux photovoltaïques. Fort de cette expérience, persuadé que le bois doit se transformer le moins possible, Pierre Latteur et Mobic ont lancé un projet de recherche il y a un an. Un doctorant, Julien Geno, a été engagé, à mi-temps au sein de l’entreprise et à mi-temps à l’université pour développer des moyens de conception et construction de structures assemblées avec des troncs d’arbres (Doctorat en entreprise financé par le SPW recherche).

Le surcoût du bois n’explique cependant pas tout, il existe depuis toujours. Dès lors pourquoi ne pas avoir imaginé cette solution « robotisée » depuis longtemps ? Et pourquoi n’a-t-on pas envisagé plus tôt de construire des grands bâtiments avec des troncs d’arbres ? « Il y a deux raisons à cela, explique Pierre Latteur. D’une part les logiciels de conception paramétriques, logiciels particuliers qui ne sont plus seulement des logiciels de dessin mais des logiciels dans lesquels tous les paramètres de l’objet sont implémentés, n’étaient tout simplement pas développés. La seconde raison est l’arrivée des robots, lente mais sûre, dans le monde de la construction. Le partenaire industriel du projet, Mobic, est toujours la seule entreprise en Belgique à fabriquer des structures préfabriquées en bois avec des robots. Mais elle les a fait venir de l’industrie automobile et a dû les reprogrammer. »

Trois étapes

Le système a été développé en un an par un étudiant ingénieur civil des constructions, Justin Goosse, dans sa thèse de maîtrise qu’il vient de terminer. On peut le décrire en trois étapes. Tout d’abord, tous les troncs d’arbres sont modélisés par photogrammétrie (technique qui permet de reconstituer des modèles 3D à partir de simples photos) et tous les modèles ainsi obtenus sont placés dans une base de données. Ensuite, vient la phase de conception de la structure et des entailles en tenant compte des modèles des troncs (le système reconnaît les troncs les plus adaptés en fonction de la position dans la structure, des entailles à faire, etc.). Dernière étape ; le robot se met au travail et effectue les entailles dans les troncs. Tous cela se fait avec une grande facilité pour l’utilisateur : ainsi, par exemple, si l’on veut modifier la profondeur d’une entaille, il suffit de déplacer un curseur sur l’écran de contrôle.

« Nous devons maintenant continuer à développer le logiciel avant une quelconque idée de commercialisation, conclut le professeur Latteur. Il a en effet été conçu pour une structure particulière, celle qu’on voit sur la vidéo. Il nous faut maintenant le rendre compatible avec n’importe quelle structure. »

Henri Dupuis

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Robot bâtisseur

Bâtir avec des drones

Coup d’œil sur la bio de Pierre Latteur

Voir des entreprises être associées aux recherches de Pierre Latteur ne surprend pas ceux qui connaissent son parcours. Diplôme d’ingénieur civil des constructions en poche (UCLouvain 1994), études au cours desquelles le jeune étudiant fait un détour de 6 mois en Erasmus à la prestigieuse Université technologique de Delft aux Pays-Bas, il va pourtant commencer sa carrière … dans la recherche, comme ingénieur de recherche au sein du Laboratoire de Génie Civil de l’UCLouvain. Le temps de décrocher son doctorat en ingénierie à la VUB (2000) sur l’optimisation des structures (déjà !). Mais aussi, et c’est significatif, le temps de fréquenter le cabinet d’architectes bien connu Samyn&Partners, de quoi se ménager un accès à la profession d’architecte. Et le temps enfin d’être chercheur invité à la non moins prestigieuse Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse). Comme s’il fallait garder deux fers au feu.

C’est pourtant d’abord le secteur privé qui l’emporte avec sept années passées au sein de l’entreprise bruxelloise SETESCO en tant qu’ingénieur de structures et chef de projet. Tout en donnant des cours à l’ECAM, l’Ecole des Arts et Métiers de Bruxelles, et devenant Professeur associé à temps partiel à l’ULiège, fonction qu’il occupe encore aujourd’hui. Toujours ce mouvement de balancier entre le monde académique et celui de l’entreprise. En 2006, on aurait pu dire que le choix était fait : Pierre Latteur devient en effet Directeur du bureau d’études en stabilité de Tractebel Developement Engineering (à l’époque, GDF-SUEZ). Un poste sans nul doute convoité qu’il quitte pourtant en 2013 pour céder à l’appel de l’UCLouvain où il devient professeur au sein de l’Ecole Polytechnique. Depuis 2015, il y est responsable du pôle génie civil et environnemental. Amateur de jardinage, Pierre Latteur est aussi un infatigable voyageur qui aime les randonnées et les bateaux. Sans oublier bien sûr le pilotage de drones pour lequel il a obtenu une licence de classe 1 voici deux ans !

Publié le 27 octobre 2020