Présentation projet de thèse d'Angela Ocampo Carvajal

Présentation projet de thèse

Transformations globales, tensions locales. Sur les utilisations politiques du droit et des droits dans les conflits environnementaux. Le cas colombien.

En quête de justice, les mouvements socio-environnementaux investissent les arènes juridiques pour résoudre les différends sur les biens communs. Des litiges stratégiques aux consultations populaires, de la reconnaissance de nouveaux sujets de droits, aux actions en justice auprès des institutions internationales, les recours au droit font de plus en plus partie de l’arsenal de ces mouvements dans différentes parties du monde. Ce projet de recherche cherche à comprendre les usages, les appropriations et les transformations que l'utilisation des discours et des outils de type juridique produisent dans les mouvements socio-environnementaux. En comparant trois cas, il cherche à comprendre les potentialités et les limites des stratégies judiciaires pour le changement socio-environnemental. 

Environnement, société et mobilisations juridiques

Actuellement, la pression et l'épuisement des biens communs ainsi que l'affaiblissement des systèmes de protection sociale imposent une critique de la rationalité économique dominante au niveau mondial, et aussi des États, peu outillés et peu démocratiques. Cette crise s'exprime de manière éclatante dans les conflits environnementaux qui prolifèrent aujourd'hui, en particulier dans les pays du Sud. En effet, la dynamique des économies extractives, le plus souvent d'origine transnationale, perturbe et reconfigure l'accès et la jouissance des biens communs pour diverses populations. Ces processus d'exploitation et de dépossession transforment également les dynamiques sociales, culturelles et territoriales en créant des conditions d'inégalité, de contamination et de déplacement forcé.

Ces dernières années, les efforts de résistance des territoires, ainsi que les initiatives visant à réglementer et à tenir les entreprises transnationales responsables des dommages et des impacts générés par leur activité, ont pris des formes juridiques. Les mouvements socio-environnementaux s'engagent de manière critique dans le droit national et international [des droits de l'homme et de l'environnement], ses cadres, ses discours et ses espaces pour la résolution des conflits sur les biens communs. Nous observons des processus complexes et multi-scalaires de juridicisation, par lesquels l'utilisation de différents discours, cadres et outils fondés sur le droit sont réappropriés et recréés dans des dynamiques d'action collective afin d'articuler des demandes qui ne cherchent pas seulement à faire reconnaître des droits sociaux, économiques ou culturels particuliers, mais qui visent également des transformations sociales et politiques plus profondes.

Les processus de résistance environnementale articulent souvent une pluralité de notions, de moralités et d'ontologies (concernant les biens communs, la relation entre les humains et la nature, les industries extractives, la propriété, les droits, la souveraineté et le développement). Le droit et les droits deviennent donc des arènes de lutte, où les acteurs en jeu - à savoir, l'État, les sociétés transnationales et nationales, et les communautés en résistance - luttent politiquement pour fixer les significations juridiques, politiques et sociales.

Il est souvent avancé que les batailles juridiques menées par les mouvements sociaux risquent de dépolitiser les luttes sociales. Pourtant, les mouvements sociaux environnementaux semblent persister dans la croyance en la capacité du droit à provoquer le changement ou, au moins, à statuer sur la responsabilité des préjudices commis par les entreprises nationales, transnationales ou l'Etat et les institutions publiques concernées. Nous nous interrogeons sur cette persistance en nous questionnant également sur les limites des stratégies juridiques dans une perspective comparée.

Du local au global

Dans le contexte du capitalisme globalisé, les dégâts sont ressentis surtout sur un plan local. Cependant, ils sont transnationaux dans leur processus de production. À partir de ce constat, cette recherche se déroule dans un contexte particulier – celui de la Colombie – inscrit dans des réalités et tendances régionales latino-américaines similaires, tout en visant à mieux comprendre les transformations globales à travers des réalités locales et contextualisées.

À travers trois cas locaux de mobilisation juridique, la recherche explore trois stratégies différentes basées sur le droit.

  1. Les mobilisations juridiques pour la défense du Páramo de Santurbán illustrent la lutte d'un mouvement socio-environnemental principalement urbain qui cherche à protéger une source d'eau douce contre les effets, en termes d'approvisionnement et de contamination, des perspectives des intérêts miniers transnationaux à ciel ouvert et souterrains (canadiens et émiriens). Très tôt, les acteurs sociaux engagent des processus de contentieux stratégiques d'abord pour définir les justes limites géographiques du páramo et dénoncer l'attribution de licences environnementales aux entreprises impliquées. Actuellement, avec l'évolution du contexte politique, la stratégie se tourne vers une revendication plus intégrale à travers d’une récente "action populaire" qui implique la reconnaissance de l'écosystème intégral en relation avec les différentes populations potentiellement affectées - les intérêts urbains ayant été particulièrement centraux jusqu'à récemment.
  2. Le référendum citoyen juridiquement contraignant de Cajamarca implique des communautés de paysans qui cherchent à déclarer un territoire libre d'exploitation minière par l'appropriation et la mise en œuvre d'un mécanisme participatif garanti par la Constitution colombienne (de 1991) aux municipalités en reconnaissance du droit de déterminer l'avenir social et économique d'un territoire donné. Une stratégie réussie qui crée un précédent juridique important, générant une cascade de nombreuses initiatives similaires à l'échelle nationale et régionale. Néanmoins, le mouvement socio-environnemental de Cajamarca a du mal à défendre les résultats positifs du référendum et à les rendre juridiquement efficaces.
  3. Les accords municipaux en tant que cadres participatifs dans la ceinture "dorée" d'Antioquia engagent de nombreuses municipalités dans mise en question de la légalité des titres miniers et des licences environnementales dans la région. Dans sa composition, le mouvement social regroupe des jeunes, des paysans et des communautés indigènes. Une méthode plus participative et délimitée localement a été choisie, tirant les leçons des expériences précédentes de mobilisations légales. La particularité de ce cas réside dans les processus parallèles qui cherchent à établir un "droit propre" et des pratiques de gouvernance plus authentiques pour protéger le territoire des intérêts miniers stratégiques d'une société transnationale sud-africaine.

Cette recherche montre que, dans ce contexte particulier, les mobilisations juridiques dans les luttes socio-environnementales sont traversées par le contexte actuel de transition du conflit armé interne vers la paix (suite à la signature de l'accord de paix de La Havane entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC en 2016). Cette transition se déroule dans un scénario complexe marqué par la reconfiguration des conflits et de la violence dans certains territoires qui ne peuvent être lus uniquement à partir de l'héritage et des dynamiques sédimentées du conflit armé interne. En même temps, les mobilisations sociojuridiques en faveur de la défense des biens communs remettent en question les normes dominantes et la légalité de la planification territoriale post-conflit, fondée sur des impératifs imposés par la poursuite de l'insertion de la Colombie dans l'économie mondialisée et à laquelle s'opposent des propositions alternatives, « populaires » ou « bottom-up », qui cherchent à concrétiser la "paix territoriale".

Au croisement des écologies politiques et des études sociojuridiques

Cette recherche est de nature qualitative. Nous travaillons dans une perspective compréhensive où nous cherchons à comprendre les expériences des acteurs participant aux mouvements socio-environnementaux à travers leur propre récit et expériences vécues. Il s'agit également d'une recherche interdisciplinaire à la croisée des chemins entre les écologies politiques, les théories des mouvements sociaux et les études sociojuridiques.

L'écologie politique, en tant que domaine de recherche en plein essor et profondément diversifié, s'interroge sur la relation entre l'économie, la politique, la société et la nature, avec un intérêt particulier pour la reconnaissance des diverses valeurs, pratiques et ontologies, des récits politiques dominants et des dynamiques de pouvoir multi-scalaires, ainsi que des changements, transformations et luttes entre la « gestion » de la nature et les droits des personnes.

Dans cette optique, la recherche met en avant les mobilisations juridiques dans les conflits socio-environnementaux, sur la base d'une compréhension critique du droit. Cette perspective remet en question l'idée que le droit est objectif et neutre et interroge les implications de ses utilisations politiques dans les luttes socio-environnementales, en soulignant, à travers les trajectoires spécifiques des acteurs impliqués dans la lutte - leaders de mouvements sociaux, membres et avocats militants - la spécificité historique et sociale des revendications juridiques et des droits énoncés montrant la contingence et la vie du droit et des droits sur le terrain, à travers les acteurs et leurs relations socio-environnementales. Les discours sont croisés avec l'analyse des textes constitutionnels et politiques, ainsi que des documents officiels des mouvements sociaux en question.

Publié le 10 mai 2021