Adeline Müller

CENTAL Louvain-La-Neuve

Comment es-tu arrivée au CENTAL ?

J'ai commencé mes études supérieures à la haute école HENALLUX à Bastogne, section normale secondaire français et français langue étrangère. Pendant ces trois années d’études, un domaine de recherche m’intéressait particulièrement : la linguistique. C'est pourquoi j'ai décidé de réaliser une année de passerelle avant de commencer le master en linguistique avec la finalité spécialisée en traitement automatique du langage (TAL), ici, à l’UCLouvain.

Comme tous les étudiants du master TAL, je participais aux séminaires du CENTAL, pour découvrir différentes facettes de mon futur métier. Avec ma formation de professeure de français, j'ai été particulièrement intéressée par un séminaire donné par Sophie Roeckhaut à propos d’Ortalia, une plateforme qui dispense des dictées en ligne avec correctifs automatiques et explication des erreurs. Pour mon stage, j’ai donc directement pensé à ce projet, et j'ai travaillé au CENTAL sur la classification de dictées selon les différents niveaux de difficulté (orthographique et de lisibilité).

 

Quels sont les projets sur lesquels tu as collaboré ?

Après mon master, j'ai été engagée pour travailler sur le projet « Louvain Speech and Language Database » (Financement institutionnel / Louvain 2020), qui avait pour but de récolter et de normaliser les corpus oraux du centre de recherche Valibel, de manière à ce qu'ils puissent être partagés à terme avec d’autres chercheurs.

J'ai aussi travaillé à plusieurs reprises sur le projet AMesure, qui est un projet de Thomas François et Cédrick Fairon subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Cette plateforme permet de  télécharger un texte administratif et d'attribuer automatiquement un score de lisibilité. Le système détecte les passages potentiellement compliqués et donne également des conseils pour les simplifier.

Ensuite, j’ai été engagée sur le projet ANA (« Academisch Nederlands voor Anderstaligen ») de Philippe Hiligsmann et Pauline Degrave, pour créer un site web rassemblant différentes astuces pour rédiger des articles en néerlandais académique.

Alors que je travaillais sur ce projet, une bourse de doctorat a été obtenue par le Professeur Thomas François. Le sujet était proche de AMesure, en lien avec la simplification automatique des textes de spécialité. J’ai passé un entretien et, depuis lors, j'ai commencé ma thèse de doctorat.

 

Peux-tu présenter plus précisément ton projet de thèse ?

J’ai la chance d’avoir obtenu une bourse du FSR (Fonds Spéciaux de Recherche) de l’UCLouvain, pour mes 4 ans de thèse.

Ma thèse a pour sujet la simplification automatique de textes administratifs. Le but est que ces textes soient facilement compréhensibles par le grand public en créant un outil d’aide à la rédaction claire pour faciliter le travail des rédacteurs dans les administrations. Ces personnes n’ont pas forcément conscience de la complexité de leurs textes et un outil comme celui-ci pourrait les aider.

« les rédacteurs dans les administrations n’ont pas forcément conscience de la complexité de leurs textes »

Je me suis très rapidement intéressée au domaine de la rédactologie, qui est un domaine interdisciplinaire. Dans cet immense domaine, je m’intéresse plus particulièrement au « plain language » ou « rédaction claire » en français. Mes questions de recherche principales se concentrent sur les critères qui rendent un texte de spécialité clair ou non. Qu’est-ce qui influence l’efficacité communicationnelle d’un texte ? Quelles sont les difficultés spécifiques aux textes de spécialité ? Quelles sont les caractéristiques du texte sur lesquelles les rédacteurs professionnels se concentrent plus particulièrement ou pour lesquelles ils auraient le plus besoin d’aide ? Etc.

 

« Mes questions de recherche principales se concentrent sur les critères qui rendent un texte de spécialité clair ou non »

 

Comment se passent tes recherches ?

Mon projet s’insère dans trois domaines de recherche différents : les recherches en linguistique sur les textes de spécialité, les recherches en rédactologie sur le plain language et les recherches sur la simplification automatique de textes.

Sur la base d'une revue de littérature portant sur les caractéristiques linguistiques des textes de spécialité et sur la rédactologie, j’ai réalisé une enquête auprès de rédacteurs professionnels lors d’un séjour de recherche à l’Université Laval, au sein du Groupe Rédiger dirigé par Isabelle Clerc. Le questionnaire était alimenté par mes découvertes en matière de rédaction claire, accompagné d’un exercice de simplification d’extraits de textes issus de mon corpus. J’ai pu découvrir, par exemple, que l’efficacité relationnelle (c'est-à-dire faire en sorte de garder une bonne relation entre les participants de la communication) est très importante pour les rédacteurs professionnels, parfois plus que certaines questions de lisibilité du texte. J'ai ensuite réalisé la même enquête de terrain en Belgique, avec des rédacteurs fonctionnels, qui n’ont donc pas forcément de connaissances en matière de rédaction claire. 

 

« l’efficacité relationnelle est très importante pour les rédacteurs professionnels, parfois plus que certaines questions de lisibilité du texte »

 

Parallèlement à ces enquêtes, j’ai synthétisé une vingtaine de guides de rédaction claire.  En liant la rédactologie et les recherches sur les textes de spécialité, j’ai pu établir une typologie en cinq niveaux des caractéristiques linguistiques des textes de spécialité influant sur l’efficacité communicationnelle (les conseils portant sur les aspects lexicaux, syntaxiques, sur la structure du texte, sur le visuel du texte et concernant les aspects relationnels). Parfois, les deux domaines sont sur la même longueur d’onde : tout est fait pour que le texte soit facilement compréhensible par le lecteur. Parfois, ils ne sont pas du tout d’accord, comme sur la question de l’utilisation de termes techniques. Au vu de ces différences, j’ai confronté cette typologie à un corpus de textes administratifs produits par différentes administrations belges francophones. C’est une analyse hybride : en partie manuelle, en partie automatique. 

Aujourd'hui, je continue la détection automatique des phénomènes linguistiques pour créer une inferface d'aide à la rédaction claire. Ensuite, il me restera à tester mon système auprès des rédacteurs : est-ce que ça les aide dans leur travail ?

 

Si tu devais identifier des plus-values pour la recherche scientifique et/ou la société, quelles seraient-elles ?

Ma recherche a une visée sociétale assez claire. Si les textes administratifs sont plus clairs, un plus grand nombre de personnes seront susceptibles de les comprendre.

D’un point de vue recherche, mon travail se situe à l'intersection de trois domaines de recherche qui, bien qu'assez proches, ne sont pas explicitement connectés entre eux. Le fait que je m'intéresse à des textes dans le domaine administratif (et donc de nombreux domaines de spécialité) en français est aussi une plus-value, car beaucoup de recherches portent sur l’anglais ou sur la simplification de textes généraux.