La Cour d’assises, a fait l’objet, au cours de la législature 2014-2019, à l’initiative du ministre de la Justice Koen Geens, d’un projet qui, en introduisant une correctionnalisation systématique de tous les crimes, entraînait, à l’exception des délits de presse et des délits politique, sa suppression de facto. Annulé par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 décembre 2017, le projet du ministre de la Justice se présente néanmoins comme le point d’orgue d’une remise en question récurrente, par une partie du monde politique et des acteurs de justice, d’une institution qui a pour particularité première d’ouvrir aux citoyens, au sein du jury d’assises, l’exercice de la justice. La cour d’assises, à ce titre, est questionnée, pour ainsi dire, depuis sa création elle-même. Et l’arrêt du 21 décembre 2017 ne marque certainement pas le terme de ce processus. On relèvera d’ailleurs que, dans le prolongement du projet Geens, une proposition de suppression de la cour d’assises été déposée à la Chambre au mois de mai 2020.
Imposée dans l’espace belge sous le régime français en 1811, au lendemain de l’entrée en vigueur du Code pénal impérial, le régime hollandais la maintient tout en supprimant le jury. La Constitution que se donne la Belgique en 1831, dans son approche libérale, renouant avec le régime français, le restaure. Profondément ancrée dans le contexte des Lumières, consacrée par la révolution, déclinant dans la dimension judiciaire la prééminence du peuple souverain, l’institution de la « juridiction populaire » ne peut être appréhendée qu’au regard du contexte socio-politique dans laquelle elle est mobilisée. A ce titre, au plus haut point, la cour d’assises révèle la société qui la mobilise et qui s’y donne à voir. Que dit la cour d’assises du 19e et du 20e siècle à l’historien ? Du droit, de la justice mais aussi de la société de son temps ? Et que peuvent dire les historiens du droit et de la justice qui puissent interpeler les acteurs du débat contemporain ?
Loin des avancées de l’historiographie française, les historiens du droit et de la justice n’ont pas encore, en Belgique, présenté de travail synthétique sur la cour d’assises. À la fois lacunaire et fragmentaire, cette historiographie se caractérise par la présence de quelques études approchant certaines dimensions de la juridiction criminelle mais dont les limites temporelles, spatiales ou thématiques font obstacle à une vision d’ensemble de l’institution. La juridiction criminelle avec jury a fait l’objet d’une approche assez soutenue aux cours des années 1980 et 1990 en ce qui concerne son organisation et son activité sous le régime français, dans les Départements réunis (e.a. Dupont-Bouchat, 1988 ; Rousseaux, 1990 ; Rousseaux 1998) ; Ce premier mouvement de l’historiographie, centré sous la justice criminelle au cours de la période française, se prolonge aujourd’hui dans un projet de recherche qui intègre le cas belge dans l’ensemble européen (Berger, e.a 2014). Si ce n’est une étude qui s’étend à la fois sur les dernières années de la période hollandaise et sur les premières années de la période qui suit l’indépendance, comparant l’activité de la juridiction criminelle avec et sans jury (Maquet, 2021), les travaux qui portent sur la cour d’assises au cours de la période qui s’ouvre avec le rétablissement du jury, après l’indépendance de la Belgique, restent trop peu nombreux. Des études ambitieuses ont cependant été réalisées, selon un angle particulier, qu’elles aient été centrées sur un crime spécifique, comme le crime d’empoisonnement (Septon, 1996) ou centrées sur les délits de presse (Delbeke, 2012), ou encore articulées autour des acteurs de la cours d’assises au cours d’une période délimitée, la Belle-Epoque (De Burchgraeve, 2018). Ces trois études d’une certaine ampleur – trois thèses de doctorat – contribuent à mettre en avant l’intérêt d’un élargissement et d’un approfondissement de l’étude de la juridiction criminelle en Belgique. D’autres ouvrages ont été consacrés sur une période très spécifique, qui a très largement mobilisé les cours d’assises, celui de la répression de l’incivisme après la Première guerre mondiale (Rousseaux, Van Ypersele 2003 ; Rousseaux, Van Ypersele, 2008). Enfin, on relèvera l’un ou l’autre contributions issue de travaux de fin d’études en relation étroite avec la cour d’assises (Gerling, Rousseaux, 2010 ; Didier, 2014).
On relèvera que, malgré une historiographie lacunaire s’agissant de l’époque contemporaine après 1830 – une seule des trois thèses citées ayant été publiée – la cour d’assises a fait l’objet de nombreux mémoires et travaux d’étudiants, au sein des centres de recherches en histoire ou en droit, que ce soit dans les universités flamandes ou les universités francophones, des mémoires ou travaux qui présentent des approches diverses et complémentaires, quantitatives et qualitatives : sur l’activité générale d’une cour d’assises au cours d’une période donnée, sur l’activité d’une cour d’assises au cours de l’une des période de guerre, ou après la guerre, centrée sur la répression de l’incivisme, sur un crime ou une catégorie spécifique de crimes jugés en assises, ou sur l’activité du jury ou, envisageant un domaine plus pointu, sur la place de l’expertise médicale dans le procès d’assises. D’une manière plus générale, la cour d’assises figure en bonne place dans l’arrière-fond de nombreuses études produites dans le domaine de l’histoire du droit et de la justice, que ce soit les travaux sur l’histoire de la peine ou que ce soit les travaux sur l’histoire des professions judiciaires, comme les magistrats ou les avocats.
Ces lacunes et ce caractère parcellaire, éparpillé, de l’historiographie nous invitent à engager une initiative de réunion et de synthèse des résultats de recherche mais aussi à questionner certaines de ses dimensions qui seraient restées dans l’ombre. Il s’agira de permettre une vision d’ensemble significative de la juridiction criminelle avec jury. La multiplication des approches et des objets de recherche, associant la dimension quantitative et qualitative, la dimension macro et micro-historique, contribuera à l’intérêt de la journée. La démarche devra permettre d’enrichir la connaissance historique et pourquoi pas le questionnement contemporain sur la juridiction criminelle et le rôle du jury. µ
Cette journée d’études conduira à la publication d’un ouvrage sur la cour d’assises en Belgique aux 19e et 20e siècles.
Les propositions de contributions (maximum 500 mots) devront être envoyées par mail à l’adresse edouard.delree@ulb.be pour le 14/02/2022 au plus tard. Les contributions seront envoyées aux participants avant la journée d’études en vue de leur discussion.
Voorstellen kunnen ook in het nederlands verzonden worden. Proposals can also be sent in English
Comité organisateur
Jérôme de Brouwer (ULB)
Xavier Rousseaux (UCLouvain)
Édouard Delrée (ULB)
Françoise Muller (UCLouvain)