Poussière de silice, sa toxicité mise à nu

Bruxelles Woluwe

L’inhalation de poussière de silice dans les mines, les carrières ou encore les chantiers du bâtiment est à l’origine de maladies graves comme la silicose ou les cancers bronchiques. Bien qu’avérée, sa toxicité n’était jusqu’ici pas bien comprise. Dans une étude publiée dans PNAS nos chercheurs créent une petite révolution dans les connaissances sur cette toxicité et ouvrent des pistes pour la neutraliser.

Le mot “silice” ne vous dit peut-être rien, contrairement à la maladie qui lui est directement associée : la silicose. Cette maladie pulmonaire est provoquée par l’inhalation de poussières de silice cristalline dans les mines, les carrières, les percements de tunnel ou les chantiers du bâtiment. Le reste du temps, quand la silice n’est pas broyée sous la forme de poussières, elle ne présente pas de danger. Vous la trouverez par exemple dans les plans de travail en pierre artificielle de vos cuisines et n’est pas dangereuse comme telle. Cette forme naturelle de dioxyde de silicium (SiO2), dont le quartz est le plus connu, est l’un des minéraux le plus répandu dans l’écorce terrestre. “On en trouve partout”, explique Cristina Pavan, post-doctorante au Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP) dirigé par le Professeur Dominique Lison, “il y en a dans le sable, dans les roches, etc. Dans le monde entier, plusieurs dizaines de millions de travailleurs sont exposés à la silice et sont susceptibles de souffrir de pathologies chroniques comme la silicose, mais aussi des cancers bronchiques, des bronchites chroniques, des maladies auto-immunitaires, etc.” La chimiste d’origine italienne vient de publier un article aux résultats surprenants dans la revue scientifique PNAS.

Ce que l’on sait déjà

La silice a déjà fait couler beaucoup d’encre, et de nombreux scientifiques tentent encore de mieux la comprendre. On sait déjà, par exemple, qu’à l’état libre, la silice existe sous deux formes : une forme cristalline (le quartz, par exemple) qui est considérée comme la plus dangereuse, et une forme amorphe (la terre de diatomée, par exemple) qui est moins toxique. On sait aussi que la toxicité de la silice est très variable. Il y a des poussières plus ou moins toxiques que d’autres, ce qui reflète le caractère multiforme du dioxyde de silicium. C’est cette variabilité de toxicité que Cristina Pavan a décidé d’exploiter afin de mieux comprendre comment la silice exerce son effet toxique sur les poumons.

               

Poussière de quartz pur par broyage dans nos laboratoires

 
Que se passe-t-il à la surface ?

Jusqu’ici, les études à propos de la silice s’attardaient surtout sur son contenu et peu sur sa manière d’agir. Personne n’avait encore jamais clarifié les interactions qui s'opèrent à sa surface. C’est sur cet aspect que Cristina Pavan a réalisé d’intéressantes découvertes. A la surface des poussières de silice, il y a une série de structures moléculaires appelées silanols, composés de groupements Si-OH qui émergent à la surface des poussières, comme des cheveux courts sur un crâne. Ce qui a intéressé notre chercheuse, c’est la proximité de ces structures : “Certaines se situent très proches les unes des autres et interagissent entre elles. D’autres sont plus éloignées, et on parle alors de silanols isolés”, détaille la chimiste. En clarifiant les structures chimiques situées à la surface des particules de silice, Cristina Pavan a découvert ceci : les silanols presque isolés (« nearly-free silanols ») sont les plus dangereux. “Ces silanols-là ont des propriétés énergétiques qui les rendent capables d’interagir avec les membranes des cellules. Ils induisent ainsi de l’inflammation et expliquent donc l’effet toxique de certaines poussières de silice”, ajoute-t-elle. La chercheuse a ainsi démontré que les caractéristiques physico-chimiques et la manière d’interagir en surface de la silice déterminaient l’activité toxique de celle-ci.

Une mise en commun des compétences

Pour arriver à ces conclusions, Cristina Pavan a pu compter sur les compétences complémentaires de deux universités européennes : l’UCLouvain et l’Université de Turin. Du côté belge, ce sont les toxicologues qui ont contribué à cette étude. Du côté italien, ce sont les chimistes qui ont apporté leurs connaissances. Et Cristina Pavan, titulaire d’un master en chimie et en biologie pharmaceutique, a créé les ponts entre ces chimistes intéressés par la toxicologie et ces toxicologues intéressés par la chimie. L’équipe de Turin a caractérisé les propriétés physico-chimiques des poussières de silice. Pour cela, les chercheurs ont réalisé des analyses morphologiques (taille, forme, etc.) et, grâce à la spectroscopie infrarouge, ils ont décrit le mode d’interaction des silanols à la surface des particules de silice. “La lumière infrarouge permet de voir comment les silanols vibrent et donc comment ils sont positionnés les uns par rapport aux autres”, explique Cristina Pavan. De l’autre côté, l’équipe de l’UCLouvain a réalisé les mesures biologiques. “Nous avons utilisé des tests de réactivité avec des membranes modèles permettant d’évaluer la capacité des poussières de silice d’endommager les membranes cellulaires. Pour s’approcher du modèle du poumon, nous avons testé des cellules macrophages, responsables de l’activité inflammatoire induite par la silice, et avons finalement évalué le potentiel inflammatoire de la silice”, détaille la chercheuse.

Changement de perspective

Les conclusions de l’étude de Cristina Pavan ont changé la perspective qu’on se faisait sur la toxicité de la silice”, commente Dominique Lison, directeur du LTAP, “Avant, on croyait que les silices cristallines étaient dangereuses parce qu’elles étaient cristallines et que leur structure interne les rendait dangereuse. Or, Cristina a montré que ce n’est pas ce caractère cristallin qui est la source de la toxicité. C’est le broyage de ces silices cristallines qui crée une population de silanols réactifs qui expliquent sa toxicité. En outre, des ‘nearly-free silanols’ existent également à la surface de silices amorphes, ce qui modifie la perception antérieure que celles-ci étaient nécessairement peu toxiques parce que non-cristallines.

 

Penser à la silice de demain

Suite à cette découverte, Cristina Pavan et son équipe ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin : “Nous sommes déjà occupés à comprendre comment les silanols réactifs, responsables de la toxicité, sont générés pendant le broyage. Par ailleurs, nous savons que les silanols responsables de l’activité toxique ne sont pas toujours stables. Nous aimerions comprendre si les conditions atmosphériques, comme la température, pourraient avoir un rôle au niveau du stockage industriel de la silice”, détaille la chercheuse. Toutes ces recherches futures répondent à un objectif : trouver des processus qui peuvent minimiser la dangerosité des poussières de silice sur les lieux de travail. “En chauffant à très haute température (800 degrés), nous savons par exemple que la silice perd ses ‘nearly-free silanols’ et est moins dangereuse. Mais cela requiert beaucoup d’énergie et ce n’est pas industriellement rentable pour un matériau naturel qui ne coûte initialement rien”, explique Cristina Pavan. Enfin, en comprenant mieux les sites réactifs de surface et le processus de toxicité de la silice, de nouvelles applications industrielles de la silice pourraient aussi voir le jour...

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Cristina Pavan

Cristina Pavan est collaboratrice scientifique à l’UCLouvain à l’Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC), où elle vient de terminer trois années de post-doctorat au Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP) sous la supervision du Professeur Dominique Lison. Elle est maintenant chercheuse post-doctorale à l’Université de Turin, Département de Chimie, et au "G. Scansetti" Interdepartmental Centre for Studies on Asbestos and Other Toxic Particulates. Elle est titulaire d’un Master en Chimie et Technologies Pharmaceutiques et d’un Doctorat en Sciences Pharmaceutiques et Biomoléculaires, obtenus respectivement en 2012 et 2016 à l’Université de Turin. Depuis sa thèse de doctorat, elle étudie les bases chimiques de la toxicité de poussières de silice, toujours en étroite collaboration entre les équipes de UniTo et UCLouvain.

 
Article publié sur Science Today (UCLouvain), 27 octobre 2020

Publié le 27 octobre 2020