BAPH Symposium 14/06/2024

Deux membres de l’équipe de RESO étaient présentes lors du Symposium annuel de la Belgian Association of Public Health (BAPH)[1] sur le thème de la lutte contre les inégalités en santé publique

« Tackling inequities in public health »

Article préparé par Camille Guiheneuf et Léa Champagne

Le 14 juin dernier, c’est au U-Residence Brussels de la VUB que le symposium annuel du BAPH prenait place autour des enjeux liés aux inégalités en matière de santé, un thème unanimement identifié l’an dernier lors de la Conférence annuelle. Programme complet + présentations

Une fois le Symposium introduit par monsieur Brecht Devleesschauwer, président du BAPH, le premier conférencier, Patrick Deboosere, professeur de sociologie à la VUB et chercheur au sein de Brussels Institute for Social and Population Studies, a présenté la conférence : Comment l'équité est-elle devenue un thème majeur de la recherche et de la politique de santé publique en Belgique ?

C’est par un survol sociohistorique, soutenu par des chiffres et des données qualitatives, sur la notion d’espérance de vie et de santé populationnelle que la conférence s’est structurée. Une notion phare à retenir est celle de la théorie des causes fondamentales (« Fundamental Cause Theory ») : elle se base sur le constat que malgré une baisse de l'exposition aux différents facteurs de risque au cours des deux derniers siècles, des inégalités sociales de santé importantes sont toujours[2]. Cela montre toute l’importance d’une approche systémique des disparités socio-économiques de la mortalité.

Puis le deuxième invité, Wim Van Lancker professeur de sociologie et de politiques sociales à la KU Leuven (CESO) a proposé la conférence : La pauvreté (des enfants) en Belgique, une accumulation d'inégalités.

La position sociale des enfants ne s'explique pas entièrement par leurs talents et leurs efforts, mais surtout par la position sociale des parents, des grands-parents et même des générations précédentes. Le rôle du revenu et de l'éducation dans l'explication des schémas de mobilité sociale a souvent été étudié, mais ces facteurs ne semblent plus en mesure d'expliquer suffisamment le niveau remarquablement bas de mobilité sociale intergénérationnelle attesté par des études récentes. Le rôle de la richesse a trop souvent été négligé à cet égard. Wim Van Lancker n’a pas manqué de rappeler par la présentation de statistiques récentes que les différents types de « privations » des enfants, que ce soit en matière d’accès à une alimentation saine, à des vêtements adaptés, au matériel scolaire et à des espaces éducatifs de qualité, donnent systématiquement de mauvais résultats en matière de santé.

Au regard de ses nombreux travaux de recherche, le sociologue rapporte ces conclusions : alors que les taux de pauvreté infantile ont diminué ces dernières années sans que cette baisse soit permanente, la pauvreté des enfants persiste en Belgique ; dans le même temps, davantage d'enfants vivent dans le dénuement par rapport à de nombreux autres pays à revenu élevé en Europe ou en Amérique du Nord. Cela déclenche un cycle de désavantages qui n'est pas suffisamment atténué par l'existence de services de base de qualité tels que l'éducation et la santé, ou encore l’accès aux services de base de qualité tels que le logement et la garde d'enfants.

Et la troisième et dernière conférencière de la matinée, la médecin généraliste Hanna Ballout, également secrétaire générale de la SSMG (Société Scientifique de Médecine Générale), et travaillant à la Maison Médicale de Laeken :Quand les médecins généralistes luttent contre les inégalités en matière de santé : entre résilience et incertitudes.

"La pauvreté rend malade, la maladie rend pauvre". Hana Ballout est une médecin généraliste très impliquée dans la société : c’est par son engagement à différents niveaux et échelles pour plus d’équité sociale en santé qu’elle développe des pratiques d’inclusion dans le cadre de son travail de première ligne. Elle a été confrontée à différentes problématiques sociales telles que la prise en charge des femmes victimes de violences, les personnes LGBTQIA+ ayant fait face à des discriminations, parmi d’autres types d’enjeux et de populations. Elle mobilise par ailleurs les pratiques de santé les plus récentes (« evidence based ») pour approcher ces défis sanitaires et sociaux avec les meilleures compétences possibles et une vision des soins axée sur le patient. Elle s’active également pour améliorer la qualité de la formation des médecins, pour plus d’inclusivité et de qualité. Elle a mis en place différentes « solutions » pour atténuer les différentes contraintes ou barrières rencontrées par les patients venant à la Maison Médicale. Par exemple, en développant des consultations accessibles en quatre langues, en transmettant des informations simples et concrètes pour contrer le faible niveau de littératie, en élaborant des activités de santé communautaire pour rendre la promotion de la santé plus accessible, etc. Elle a également voulu passer d’un niveau plus individuel en allant vers la communauté via des collaborations avec des organisations locales. Ses messages-clés à « ramener à la maison » sont : les médecins généralistes peuvent travailler en réseau ; ils peuvent avoir un impact au niveau culturel, médical, social et financier ; le travail en multidisciplinarité est indispensable tout comme le développement d’interactions avec les différentes communautés ; enfin, le fait de commencer une consultation avec les priorités des patient·es est une approche gagnante pour toutes les parties !

L’après-midi, 3 sessions se sont déroulées en parallèle, une sur la thématique des populations vulnérables, la seconde sur les déterminants sociaux de la santé et les approches locales en santé publique et la dernière à laquelle nous avons assisté : l’accès, la qualité et l’utilisation des soins de santé.

Cette session s’est articulée autour de 4 présentations :

1. Les travailleurs et travailleuses en santé communautaire : amélioration de l’accès aux soins de santé pour les groupes socio-économiquement vulnérables. Une présentation de Houria Bounouch, Community Health Worker Intermut.

L’intervention portait sur la présentation du projet fédéral “Community Health Worker (CHW)”, projet qui défend l’importance de la présence des CHW sur le territoire belge pour améliorer l’accès aux soins de santé pour les personnes en situation de vulnérabilité. Leurs missions se déclinent en 8 actions :

  1. Créer des liens entre les individus, les communautés et les acteurs de santé.
  2. Fournir des informations, adaptées aux différentes cultures, sur la santé.
  3. Naviguer dans le système de soins de santé.
  4. Fournir un encadrement et un soutien social.
  5. Défendre les intérêts des individus et des communautés.
  6. Développer la littératie de santé au niveau individuel et collectif.
  7. Réaliser un travail de proximité.
  8. Participer à l’évaluation et à la recherche.

Houria Bounouch soulignait l'importance de reconnaître les CHW comme des acteur·ices essentiel·les du système de santé belge, car ils accompagnent les individus, préviennent les interruptions dans les parcours de soins, et aident à réduire les inégalités sociales de santé.

2. Les travailleurs et travailleuses en santé communautaire et leur rôle dans l’équité en santé : pas “sans” mais “comment”. Une présentation de Marie-Lise Nédée, Community Health Worker Intermut.

Marie-Lise Nédée nous a présenté son travail de recherche développé à partir d’un rapport de l’OMS qui présente des guidelines pour concevoir des politiques et un système de santé en faveur de l’optimisation des programmes de travailleurs et travailleuses de santé communautaire. Les disparités entre les programmes des pays du Nord global et du Sud global au travers du prisme de l’analyse politique ont été abordées.

3. Comment les pays membres de l’Union européenne peuvent assurer un accès abordable pour tous et toutes aux soins de santé ? Une présentation de Jessica Martini, European Social Observatory.

Jessica Martini a présenté les principaux résultats du rapport EuroHealth 2024 de l’Observatoire Social Européen. Elle a mentionné les évolutions positives parmi les pays membres en termes de décisions politiques dans le domaine de la santé (qui augmentaient depuis 2012), tout en démontrant que l’Union européenne exerce une influence sur les politiques de santé des États membres, alors que la santé est une compétence nationale. Cependant, les pays membres priorisent de plus en plus la soutenabilité fiscale de leur État, ce qui est à contre-courant des dépenses en santé, générant ainsi un impact négatif sur l’accès aux soins.

Enfin, Jessica Martini a relevé que malgré de nombreux engagements et de Chartes ratifiées en faveur de la couverture universelle des soins de santé (CUS), de nombreux progrès persistent. Cependant, des avancées notables sont constatées telles que la mise en place d’indicateurs pour assurer un suivi précis sur la CUS.

4. Concentration et volume des soins de santé en Belgique. Une présentation de Xavier Rygaert, de l’Agence interMutualiste.

Xavier Rygaert a présenté les tendances des dépenses en soins de santé en Belgique en s'appuyant sur les données de l’Agence InterMutualiste, illustrant ses propos avec de nombreuses statistiques. Il a particulièrement insisté sur les notions d’équité par rapport aux dépenses de l'État et des individus, montrant qu'une répartition uniforme des dépenses par l'État accroît les inégalités au sein de la population, car les besoins en santé ne sont pas les mêmes pour tous. De plus, il a souligné que des dépenses de santé plus faibles parmi certaines catégories socio-économiques ne reflètent pas nécessairement une meilleure santé, mais peuvent indiquer une incapacité à payer certains frais médicaux.

En conclusion, le Symposium annuel de la Belgian Association of Public Health a offert un espace de réflexif sur les inégalités en matière de santé. Les multiples présentations ont souligné la persistance de disparités socio-économiques, notamment en Belgique. Patrick Deboosere a souligné l'importance d'une approche systémique, tandis que Wim Van Lancker a mis en lumière le rôle de la position sociale des enfants dès la naissance. Hanna Ballout a présenté son travail, fondé sur les pratiques les plus récentes et une vision des soins centrée sur les patients. Les sessions de l'après-midi ont prolongé les discussions en se concentrant sur le rôle des professionnel·les de santé communautaire, les politiques de santé européennes et l’action de la Belgique sur l’équité en santé. Ensemble, ces discussions illustrent la complexité du phénomène et la nécessité de collaborations multidisciplinaires pour réduire les inégalités de santé.

[1] RESO est par ailleurs désormais membre du BAPH.

[2] Link BG, Phelan J (1995). Social conditions as fundamental causes of disease. J Health Soc Behav. 35(Spec No):80–94. https://doi.org/10.2307/2626958 PMID:7560851; Phelan JC, Link BG, Tehranifar P (2010). Social conditions as fundamental causes of health inequalities: theory, evidence, and policy implications. J Health Soc Behav. 51(1_suppl) Suppl:S28–40. https://doi.org/10.1177/0022146510383498 PMID:20943581