Projets de recherche

Louvain-La-Neuve

1. Identité introuvable et universel démultiplié

La caractérisation philosophique de l’Europe en termes d’universalité a été elle-même précédée d’une caractérisation politique de l’Europe en termes d’universalité : c’est toute l’histoire du Projet de paix perpétuelle dont on peut légitimement penser qu’il est à l’origine du projet contemporain d’unification européenne.

De l’universalité philosophique à l’universalité de la liberté en passant par une universalité de la paix et une universalité du Salut, c’est à rencontrer une universalité démultipliée que nous engage l’histoire de la notion d’Europe. Notion d’Europe et non pas Europe parce que précisément, l’Europe est plurivoque, polysémique, insaisissable. Universalité démultipliée parce que cette universalité, vecteur de liberté, est tout sauf l’uniformité indifférente : le propre de l’universel européen est que l’universel n’a de sens qu’à travers sa reconnaissance des différences. Cet axe se comprend donc comme une recherche sur la plurivocité de l’universel.

2. Universalisme critique, critique de l'universalisme

Du point de vue de la théorie morale, nous vérifierons l’hypothèse suivante : si la question de l’universalisme a toujours été si essentielle à la constitution de l’identité européenne (comme cela apparaît dans ce que l’on appelle l’universalisme des droits de l’homme), c’est parce qu’un préjugé lie indissolublement le jugement pratique à l’universalisme. Ce préjugé veut qu’on ne puisse acquérir un point de vue critique sur la réalité qu’à partir de l’universel. Il ne définit certes pas une identité européenne, mais plutôt une attitude typiquement européenne : celle qui consiste d’une part à faire de l’Europe la détentrice de l’universel — premier préjugé —, celle qui consiste d’autre part à faire de cet universel le passage obligé d’un point de vue critique en général — deuxième préjugé. Cet axe de recherche se comprend donc comme l’élaboration d’une critique philosophique de l’universalisme.

3. Condition humaine et monde(s) / Human condition and world(s)

Le sens de notre condition humaine sera interrogé d’un double point de vue, d’une part celui de son historicité, d’autre part celui de la spécificité de ses ancrages contextuels et de ses adhésions culturelles (chacun étant susceptible de « faire monde » selon des guises diverses). En quel sens la pensée et la civilisation européennes contribuent-elles à ces questions et à ces perspectives ? Par-delà les pratiques particulières d’ancrage, nous interrogerons aussi la visée d’un monde commun par les processus intégrateurs qui mettent en jeu le concept de monde dans la pluralité de ses acceptions : mondialisation économique, technologique, politique et les défis pour l’éducation qui y sont liés ; devenir-monde comme processus cosmologique de mondification interrogé à partir de la phénoménologie – Husserl, Heidegger, Fink, Patočka, Lévinas, Merleau-Ponty, Barbaras etc. – ou de la philosophie de la nature et de la technique – Jonas, Simondon –, la place de l’imaginaire dans la création des mondes – Arendt, Cassirer, Castoriadis, etc.
Des travaux en anthropologie philosophique, phénoménologie du corps, cosmologie phénoménologique, philosophie de la technique, philosophie et phénoménologie de la nature et de la vie, éthique de la responsabilité et de l’interculturalité seront mobilisés, afin de réfléchir à la question de la situation et du devenir de l’humanité contemporaine dans le monde.

The meaning of our human condition is to be reflected upon from a two-sided approach, on the one hand by taking into account the historicity of such a condition, on the other hand by asking what is specific about its contextual roots and its cultural affiliations, and how in each case it is possible to make a world emerge. In what sense did European thinking and the European civilization contribute to these topics and perspectives? Beyond cultural particularism, we shall also take up the question of how to aim at a shared world through processes of integration that all imply the concept of world in its various meanings: globalization (economical, technological, political, and their related educational challenges); world-becoming seen as a cosmological process of “worlding” (mondification, Welten) through phenomenological approaches (Husserl, Heidegger, Fink, Patočka, Levinas, Merleau-Ponty, Barbaras, etc.) and philosophy of nature and technology (Jonas, Simondon, etc.), the place of the imagination in creating new worlds (Arendt, Cassirer, Castoriadis, etc.). Works in philosophical anthropology, phenomenology of the body, phenomenological cosmology, philosophy of technology, philosophy and phenomenology of nature and life, ethics of responsibility, multiculturality and interculturality shall be mobilized, with a view to reflect on the question of the situation and evolution of humanity in the contemporary world.

4. Mémoire et histoire partagée

Lorsque l’Europe se souvient d'elle-même elle décrit son histoire partagée, ses dialogues et ses conflits, mais surtout elle dégage ses enjeux moraux et politiques actuels et futurs en se voulant fidèle à cette vocation du lien multifocal. Elle s'identifie donc comme une multiplicité, c’est-à-dire une synthèse de différenciation et de distinction ; et ne se résout pas dans l’identité d’une unité qui serait elle une synthèse de recouvrement ou de fusion. Nous voyons dans cette identité de différenciation une mémoire normative : il s’agit de comprendre comment l’Europe s’est construite et quelles logiques la font se retourner contre elle-même ou amplifier son identité. Cet axe est donc dédié à cette mémoire diffractée, et à ses effets sur l’identité morale de l’Europe d’aujourd’hui.

5. Bioéthique européenne

Pour penser les conditions d'un discours normatif ancré à chaque fois dans des contextes historiques et philosophiques particuliers, il s’agira d’anticiper et de révéler les dissensus axiologiques et épistémologiques qui surgissent face aux avancées scientifiques. La philosophie pratique dans laquelle s'inscrira la réflexion bioéthique dans le Groupe mettra à l’épreuve les conditions culturelles, logiques, et normatives émergeant des discours éthiques pluriels, inhérents à nos démocraties pluralistes. Concrètement, nous mènerons une réflexion pragmatique et interdisciplinaire sur l'éthique de la recherche dans les rapports Nord-Sud, mais aussi sur les conditions d'une éthique sociale avec les acteurs internationaux de la bioéthique globale qui nous force à penser les conditions d'un universel concret. La collaboration avec le futur « Centre de Biodroit et Bioéthique » de l'École de Santé Publique fournira les éléments descriptifs à ces analyses normatives et réflexives, qui seront à leur tour confrontées à celles d'autres centres de bioéthique européens, anglo-saxons et africains. On insistera aussi sur l’intérêt de maintenir nos liens avec l’Association européenne des centres d’éthique médicale — association dont le Centre d’études bioéthiques de l’UCL fut l’un des cofondateurs il y a plus de 20 ans ­ qui anime un réseau important de centres de recherches et qui organise chaque année une réunion internationale dans l’un des centres associés. Cet axe se comprend donc comme une recherche sur la contextualisation des principes de la bioéthique.