06 octobre 2021
07 octobre 2021
De 09:00 à 16:30 (06/10) et de 09:30 à 12:00 (07/10)
Louvain-la-Neuve
En présentiel (Salle Jean Ladrière, Place Cardinal Mercier 14) - et en distanciel (Teams)
Présentation
La dimension de concrétude de la philosophie de Levinas provient d’un mode de philosopher qui est une recherche sous la trame conceptuelle de signes inconscients d’eux-mêmes et en superposition de signes enfouis à arracher au texte. Marlène Zarader a été la première à parler d’une « dette impensée » de Heidegger vis-à-vis des sources hébraïques de sa pensée. Levinas, lui, introduira dans son œuvre d’après-guerre, et depuis les premiers textes, secrètement, l’hébreu en traduction dans le discours philosophique, démarche restée longtemps inaudible dans le champ universitaire. Il s’agira pour nous lors de ce colloque de penser le sens de ce geste de réparation (tikkun) d’un texte oblitéré. Levinas, étant le philosophe qui a contribué au renouveau des études talmudiques en France, est rarement associé au concept de marranisme, par la séparation méthodologique qu’il a lui-même établie entre les deux modes de discours, théorique et haggadique, sans néanmoins les séparer, mais en les superposant en palimpseste, en exigeant une lecture d’en-deçà la représentation. Il évoque donc rarement le terme de marranisme, qui a fonction de méthode exégétique. Notre hypothèse est qu’il a néanmoins élaboré un marranisme philosophique en traduisant les concepts de la pensée hébraïque, tout en maintenant une séparation liante entre l’hébreu et le grec, afin de réparer la dette impensée de l’occident et ses conséquences tragiques. Sa langue philosophique résonne d’une pluralité de langues et ouvre à l’infinité de l’interprétation. L’exégèse hébraïque, dans laquelle le texte n’existe que par « la grâce d’une rencontre panim el panim » (face à face) entre le dit et le non-dit du texte, permet d’ouvrir au temps réversible de sa potentialité. Nous poserons qu’il ne suffit plus de dire dans cette perspective, et qu’il faut « énoncer en grec les principes que la Grèce ignorait ».
1. Nous voudrions à travers cette rencontre, à travers des lectures croisées de Levinas et de Derrida, de Levinas et Walter Benjamin ou Freud, interroger lors de ce colloque les modalités herméneutiques de ce travail de la langue dans sa polysémie, de traduction entre l’audible et l’inaudible, le visible et l’invisible, qui offrent une forme renouvelée et positive du marranisme, ou du néo-marranisme (tant ce mot est devenue un mot valise).
2. Il s’agira, lors de ces deux journées, d’éclairer la manière dont Levinas renouvelle le marranisme historique, à partir des évènements de la seconde guerre mondiale, qui ont profondément modifié son rapport à la culture de l’Universel abstrait.
3. Si Levinas est rarement cité dans la résurgence du « phénomène marrane » qu’a réinitié Derrida, il a séparé deux formes de langage et de référents, que ses lecteurs choisissent souvent d’ignorer et relèguent au corpus talmudique, ou au contraire amplifient son importance par rapport à sa philosophie comme mémoire à traduire pour réparer le monde. Nous lirons donc sa stratégie marrane comme une stratégie de réparation et de réélaboration du concept de justice, qui exige de redéfinir sa démarche à l’intérieur d’une ontologie de l’autrement (aher/ahrayout).
4. La réflexion croisée sur la démarche marrane interrogera le soupçon qui pèse sur la réception de l’œuvre de Levinas, qui était déjà le soupçon qui pesait sur chaque marrane depuis Spinoza. Le rapport ambigu de Levinas à Spinoza pourrait nous éclairer sur ce qu’il ne veut pas faire, c’est-à-dire rationaliser le rapport au religio.
Devra-t-on parler d’hybridation entre philosophie et théologie ou d’un retournement radical ?
Ce colloque consistera donc à interroger la stratégie marrane, qui dépasse le travail que Levinas opère sur les textes talmudiques, ou la manière dont ceux-ci enrichissent ses textes philosophiques. L’élaboration d’un lexique levinassien en traduction visera à ouvrir à un autre mode de lecture des textes de Levinas dits du « corpus philosophique » pour en ouvrir les frontières.
Levinas et son marranisme méthodologique, s’il se lit dans le cadre des valeurs républicaines auxquelles il souscrit, tout en gardant la matérialité de la langue hébraïque, est-il ce « théologien masqué » dont nous parlait déjà David Banon, ou plutôt le penseur de la diachronie du temps hébraïque et grec qui radicalise la pensée heideggérienne ? Nous interrogerons la stratégie de séparation liante entre les deux mondes qui féconde sa pensée marrane.
Il s’agira donc de penser ensemble, autour de cette hypothèse du concept de marranisme méthodologique, la question de savoir au-delà du savoir, comment penser, après les désillusions de l’universel abstrait de l’idée d’égalité, une forme de justice fondée sur une éthique de la relationalité qui renouvelle l’idée d’universalité ?
Levinas traduit-il toujours en langage philosophique comme langage de destination, pas seulement par souci pédagogique mais comme retournement critique d’une certaine philosophie occidentale ?
Ce « langage de l’inaudible, langage de l’inouï, langage du non-dit » (Levinas, 1961) est difficilement traduisible. Nous réfléchirons donc ensemble à la manière dont Levinas traduit une manière hébraïque sans spoliation ni contrebande de l’hébreu dans la philosophie, pour proposer le réveil de l’hébreu comme Altérité contre l’identité.
Mylène Botbol-Baum, pour le Comité Scientifique.