Hans Jonas (1903-1993), une philosophie des seuils

Résumé :

La philosophie de Hans Jonas semble tout entière dédiée au dépassement des dualismes et des ruptures qu’ils entraînent. La notion de seuil permet de comprendre comment il parvient concrètement à penser les distinctions sans séparation, c’est-à-dire comment son monisme n’engage pas l’indistinction ontologique, la réduction épistémologique ou la confusion des espèces. Lui-même utilise la notion de seuil au sens strict ou à travers des termes comme transanimal (pour parler de l’humain et défendre son humanisme), transtechnique (pour désigner des questions éthiques), ou transéthique (pour désigner l’impératif du bien commun), transmoral (ce qui dépasse la morale vers la sainteté). Les seuils sont présents dans sa philosophie lorsqu’il pense la vie et les niveaux au sein de son évolution. C’est ainsi que la différence entre végétal et animal résiste, la différence anthropologique comme trans-animale, la différence entre nature et culture, la vie humaine comme capable de reconnaître des valeurs à partir des fins dans l’être, la noblesse de la vue par rapport aux autres sens, la distinction des périodes de l’histoire de l’humanité, les images de l’homme, les changements décisifs au sein de l’histoire de la philosophie ou de l’histoire des sciences, les sauts épistémologiques ou technologiques, la liberté qui devient ambiguë avec l’humain, la différence entre le devenir et l’histoire, entre le savoir et le pouvoir, entre le pouvoir et le devoir, le seuil entre philosophie et mythe, etc.

Ces seuils sont-ils statiques ou dynamiques ? Peut-on parler d’une dialectique des seuils ? S’agit-il de seuils ontologiques ou phénoménologiques, et dans ce cas est-ce à la conscience humaine ou à la vie corporelle qu’ils apparaissent tels ? Comment observer le processus par lequel ces seuils peuvent s’inverser en frontière, en séparation voire en opposition par l’action ou par la pensée ? Comment penser les seuils de la transition ?

Telles sont les questions que nous aborderons durant le colloque.

La problématique se déclinera en 4 demi-journées qui se spécialiseront sur un aspect des seuils :

1. Les seuils de l’histoire et de l’histoire de la philosophie : époques, paradigmes et esprit du temps

2. Les seuils méthodologiques : phénoménologie, herméneutique, spéculation

3. Les seuils du vivant : métabolisme, végétal, animal, humain et au-delà

4. Les seuils de l’action : imaginer, philosopher, agir individuellement et collectivement

Abstract :

Hans Jonas's philosophy seems entirely dedicated to the overcoming of dualisms and the ruptures they entail. The notion of threshold allows us to understand how he concretely manages to think distinctions without separation, that is to say how his monism does not involve ontological indistinction, epistemological reduction or the confusion of species. He himself uses the notion of threshold in a strict sense or through terms such as transanimal (to speak of the human and his humanism), transtechnical (to designate ethical questions), or transethical (to designate the imperative of the common good), transmoral (that which goes beyond morality to sanctity). The thresholds are present in his philosophy when he thinks of life and the levels within its evolution. Thus the difference between plant and animal resists, the anthropological difference as trans-animal, the difference between nature and culture, the human life as capable of recognizing values from the ends in the being, the nobility of the sight compared to the other senses, the distinction of the periods of the history of the humanity, the images of the man, the decisive changes within the history of the philosophy or the history of the sciences, the technological or epistemological leaps, the freedom which becomes ambiguous with the human, the difference between the becoming and the history, between the knowledge and the power, between the power and the duty, the threshold between philosophy and myth, etc.

Are these thresholds static or dynamic? Can we speak of a dialectic of thresholds? Are they ontological or phenomenological thresholds, and in this case do they appear as such to the human consciousness or to the bodily life?

How can we observe the process by which these thresholds can be inverted into a border, into a separation or even into an opposition by action or by thought? How to think about the thresholds of transition? These are the questions we will address during the conference.

The problematic will be declined in 4 half-days which will specialize on an aspect of the thresholds:

1. The thresholds of history and the history of philosophy: epochs, paradigms and the spirit of the age

2. Methodological thresholds: phenomenology, hermeneutics, speculation

3. The thresholds of the living: metabolism, plant, animal, human and beyond

4. The thresholds of action: imagining, philosophizing, acting individually and collectively

Résumé :

Dans cette intervention j’étudierai la manière dont Jonas aborde le traitement des problèmes de l’anthropocène. Je tenterai de montrer que sa problématologie rencontre une tradition de philosophie politique anglo-saxonne, celle des « wicked problems », des problèmes pernicieux. Ce qui se joue au croisement de ces deux problématologies, c’est le statut épistémologique des problèmes et des solutions. Face aux problèmes de l’anthropocène, peut-on espérer de véritables solutions ou seulement, ce que j’appellerai des « issues ». Et le cas échéant, quelle serait la valeur de telles issues ainsi ménagées ? Peut-on les concevoir comme des seuils, des seuils de soulagement, d’acceptabilité, de complexité ? Pour penser la technique et ses conséquences, Jonas multiplie les seuils : les seuils à franchir, les seuils où l’on peut s’arrêter et les seuils où il faut s’arrêter.

Abstract :

In this talk I will study the way Jonas approaches the treatment of the problems of the Anthropocene. I will try to show that his problemology meets a tradition of Anglo-Saxon political philosophy, that of "wicked problems". What is at stake at the crossroads of these two problematics is the epistemological status of problems and solutions. Faced with the problems of the Anthropocene, can we hope for real solutions or only for what I will call " outcomes "? And if so, what would be the value of such outcomes? Can we conceive them as thresholds, thresholds of relief, of acceptability, of complexity? To think about technique and its consequences, Jonas multiplies thresholds: thresholds to be crossed, thresholds where one can stop and thresholds where one must stop.

Biographie :

Michel Fabre est Professeur émérite à l’Université de Nantes et au Centre de Recherche sur l’Éducation de Nantes (CREN), co-rédacteur en chef de l’ARPHÉ (Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation) et rédacteur en chef adjoint de Recherches en Éducation. Il codirige, le séminaire « Questions Socialement Vives » de l’équipe SAVE (Savoir et valeur) du CREN. Ses travaux concernent la philosophie de l’éducation et l’épistémologie des savoirs scolaires. Publications récentes : Qu’est-ce que problématiser?, Paris, Vrin, 2017. collection « qu’est-ce que ? ». Éducation et (Post) Vérité : l’épreuve des faits. Paris : Hermann, 2019 ; Un avenir problématique. Éducation et responsabilité d’après Hans Jonas. Dijon : Raison et passions, 2021. L’éducation au politique. Les problèmes pernicieux. Londres : Éditions ISTE, 2022.

Michel Fabre is Professor Emeritus at the University of Nantes and at the Centre de Recherche sur l'Education de Nantes (CREN), co-editor of ARPHÉ (Annual of Research in Philosophy of Education) and associate editor of Recherches en Éducation. He co-directs the seminar “Questions Socialement Vives” of the SAVE (Savoir et valeur/Knowledge and Value) team of the CREN. His work concerns the philosophy of education and the epistemology of school knowledge. Recent publications: Qu'est-ce que problématiser?, Paris, Vrin, 2017 ; Éducation et (Post) Vérité : l’épreuve des faits.

Paris : Hermann, 2019 ; Un avenir problématique. Éducation et responsabilité d’après Hans Jonas. Dijon : Raison et passions, 2021. L’éducation au politique. Les problèmes pernicieux. Londres : Éditions ISTE, 2022.
 

Abstract :

The meaning of the noun “threshold” or “limen” (Lat. “limen”; Fr. “seuil”; It. “soglia”; Ger. “Schwelle”; Port. “soleira” or “limiar”) evidences a paradox, since it implies a discontinuity in the spatial-temporal continuity, while simultaneously establishing a relationship between here and beyond, inside and outside, before and after. Hans Jonas turned the challenge posed by this paradox into an ontological and methodological opportunity. As a result, in various works Jonas uses the hermeneutical key provided by the notion of “threshold” to shed light on the essential potentiality of life. This liminal and potential dynamic appears in the qualitative diversity of life, as well as in its bond with death, in the human difference from other living beings, and in the relationship between individual and collective deeds.

Résumé :

Le sens du substantif "seuil" ou "limen" (Lat. "limen" ; Fr. "seuil" ; It. "soglia" ; Ger. "Schwelle"; Port. "soleira" ou "limiar") présente un paradoxe, puisqu'il implique une discontinuité dans la continuité spatio-temporelle tout en établissant une relation entre l'ici et l'au-delà, l'intérieur et l'extérieur, l'avant et l'après. Hans Jonas a transformé le défi posé par ce paradoxe en une opportunité ontologique et méthodologique. Ainsi, dans différentes œuvres, Jonas utilise la clé herméneutique fournie par la notion de "seuil" pour mettre en lumière la potentialité essentielle de la vie. Cette dynamique liminale et potentielle apparaît dans la diversité qualitative de la vie, ainsi que dans son lien avec la mort, dans la différence humaine avec les autres êtres vivants et dans la relation entre les actes individuels et collectifs.

Roberto Franzini Tibaldeo (PhD in Science of Culture and in Philosophy) is Professor adjunto of philosophy at the Pontifícia Universidade Católica do Paraná (Curitiba, Brazil). From 2015 to 2018 he served as F.R.S.-FNRS Chargé de recherche (Postdoctoral researcher) at the Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgium), and from 2010 to 2015 he was Assegnista di ricerca (Research fellow) in Political Philosophy at the Scuola Universitaria Superiore Sant’Anna (Pisa, Italy). Among his research interests: continental philosophy (esp. Hans Jonas), ethics and politics of responsibility, philosophy of education (esp. philosophy for children/communities), interculturality, landscape studies.

Roberto Franzini Tibaldeo (docteur en sciences de la culture et en philosophie) est professeur adjoint de philosophie à la Pontifícia Universidade Católica do Paraná (Curitiba, Brésil). De 2015 à 2018, il a été Chargé de recherche F.R.S.-FNRS à l'Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve), et de 2010 à 2015, il a été Assegnista di ricerca (Chargé de recherche) en philosophie politique à la Scuola Universitaria Superiore Sant'Anna (Pise, Italie). Parmi ses intérêts de recherche : la philosophie continentale (en particulier Hans Jonas), l'éthique et la politique de la responsabilité, la philosophie de l'éducation (en particulier la philosophie pour les enfants/communautés), l'interculturalité, les landscape studies.
 

Résumé : 

Entre un paradigme du vivant (le métabolisme) et un phénomène « désindividué », le végétal apparait chez Jonas comme une altérité aux contours mouvants. D’où un certain malaise épistémologique : comment concilier (ou ne pas concilier) l’ontologique et le phénoménal ? Pourtant, la question végétale ne permet-elle pas plutôt de percevoir une problématique générale chez Jonas, à savoir celle du vivant dialectique, voire celle de la dialectique des rapports au sein du vivant ?

Abstract :

Between a paradigm of the living (metabolism) and a "de-individualized" phenomenon, the vegetal appears to Jonas as an otherness with moving contours. Hence a certain epistemological discomfort : how to reconcile (or not to reconcile) the ontological and the phenomenal? However, does the vegetal question not rather allow us to perceive a general problematic in Jonas, namely that of the dialectical living, or even that of the dialectic of relationships within the living?

Joseph Baraka Bangana : après ses études philosophiques et théologiques à l’Université Catholique du Congo (RDC), il est actuellement doctorant en philosophie à l’UCLouvain/ISP. Il s’intéresse à la philosophie du végétal qu’il étudie notamment à partir de la biologie philosophique de Hans Jonas.

Joseph Baraka Bangana : after his philosophical and theological studies at the Catholic University of Congo (DRC), he is currently a PHD student in philosophy at the UCLouvain/ISP. He is interested in the philosophy of vegetal which he studies in particular from the philosophical biology of Hans Jonas.

Résumé :

Notre propos vise à caractériser la pensée jonassienne de la continuité et de la différence selon une double perspective. La première est celle dessinée actuellement par les défenseurs des formes de vie non humaines. Cette entreprise de défense s’appuie soit sur une stratégie d’épaississement des frontières (J. Derrida), soit sur une critique de la théorie de la similitude entre les êtres humains et les vivants non humains (G. Francione), soit sur une mise en avant d’un dénominateur commun (les capacités (notamment celle de souffrir), l’égale considération des intérêts, etc.). La seconde perspective est celle de la recherche menée sur les êtres vivants que Jonas a d’ailleurs abordée dans plusieurs de ses écrits. Le point de départ de sa réflexion s’ancre dans des réalisations ou des hypothèses scientifiques qui se proposent de franchir des seuils (génétiques, reproductifs, etc.). A partir de quelques exemples contemporains de recherche scientifique, nous testerons la fécondité épistémologique et éthique de certaines conclusions jonassiennes.

Abstract :

Our aim is to characterize Jonasian thinking on continuity and difference from two perspectives. The first is the one currently pursued by defenders of non-human life forms. This defense is based either on a strategy of thickening the boundaries (J. Derrida), or on a critique of the theory of similarity between human beings and non-human living beings (G. Francione), or on an emphasis on a common denominator (capacities (particularly that of suffering), equal consideration of interests, etc.). The second perspective is that of research carried out on living beings, which Jonas addressed in several of his writings. The starting point of his thinking is rooted in scientific achievements or hypotheses that propose to cross thresholds (genetic, reproductive, etc.). Based on a few contemporary examples of scientific research, we will test the epistemological and ethical fruitfulness of some of Jonas's conclusions.

Marie-Geneviève Pinsart est professeure de philosophie et d’éthique à l’Université Libre de Bruxelles. Elle travaille des questions de philosophie contemporaine, de philosophie des techniques et de bioéthique. Elle a publié de nombreux articles sur Hans Jonas et notamment les ouvrages suivants : Hans Jonas et la liberté. Dimensions théologiques, ontologiques, éthiques et politiques (Vrin 2002) ; H. Jonas : Nature et responsabilité, G. Hottois et M.-G. Pinsart (coord. scient.) (Vrin, 1993).

Marie-Geneviève Pinsart is professor of philosophy and ethics at the Université Libre de Bruxelles. She works on issues of contemporary philosophy, philosophy of technology and bioethics. She has published numerous articles on Hans Jonas, including the following works Hans Jonas et la liberté. Dimensions théologiques, ontologiques, éthiques et politiques (Vrin 2002) ; H. Jonas : Nature et responsabilité, G. Hottois et M.-G. Pinsart (coord. scient.) (Vrin, 1993).
 

Résumé : 

Mon intervention portera sur les premiers travaux de Jonas sur le gnosticisme. Il suivra l'indication ultérieure de Jonas selon laquelle son travail sur le gnosticisme a été inspiré par la philosophie heideggérienne, qui comporte des éléments gnostiques, en d'autres termes - que le gnosticisme n'était pas seulement l'objet mais aussi la méthode de sa recherche. L'exposé montrera comment ce passage entre objet et savoir, le mouvement à travers le seuil qui sépare et unit l'objet et le sujet, constitue le cœur de l'ouvrage de Jonas sur le gnosticisme : à la fois du récit historique qu'il fournit de la pensée gnostique (son objet), et de l'opération herméneutique qui le sous-tend (sa subjectivité, sa procédure de savoir).

Abstract : 

My talk will focus on Jonas's early work on Gnosticism. It will follow Jonas's later indication that his work on Gnosticism was inspired by Heideggerian philosophy, which contains Gnostic elements, in other words - that Gnosticism was not only the object but also the method of his research. The presentation will show how this passage between object and knowledge, the movement across the threshold that separates and unites the object and the subject, constitutes the heart of Jonas' work on Gnosticism: both of the historical account he provides of Gnostic thought (its object), and of the hermeneutical operation that underlies it (its subjectivity, its procedure of knowledge).

Elad Lapidot est professeur d'études juives à l'université de Lille. Il a enseigné la philosophie, la pensée juive et le Talmud à l'université de Berne, en Suisse, ainsi qu'à la Humboldt Universität et à la Freie Univeristät à Berlin. Parmi ses publications : Jews Out of the Question. A Critique of Anti-Anti-Semitism (Albany : SUNY Press, 2020), traduction en hébreu avec introduction et commentaire (avec R. Bar) de la Phänomenologie des Geistes de Hegel, Vol. 1 (Tel Aviv : Resling Publishing, 2020), Heidegger and Jewish Thought. Difficult Others, dirigé avec M. Brumlik (Londres/New York : Rowman & Littlefield, 2018), et Etre sans mot dire : La logique de 'Sein und Zeit' (Bucarest : Zeta Books, 2010).

Elad Lapidot is Professor of Jewish Studies at the University of Lille. He has taught philosophy, Jewish thought and Talmud at the University of Bern, Switzerland, as well as at the Humboldt University and the Freie Univeristät in Berlin. His publications

Include: Jews Out of the Question. A Critique of Anti-Anti-Semitism (Albany: SUNY Press, 2020), Hebrew translation with introduction and commentary (with R. Bar) of Hegel's Phänomenologie des Geistes, Vol. 1 (Tel Aviv: Resling Publishing, 2020), Heidegger and Jewish Thought. Difficult Others, edited with M. Brumlik (London/New York: Rowman & Littlefield, 2018), and Etre sans mot dire : La logique de 'Sein und Zeit' (Bucharest: Zeta Books, 2010).
 

Abstract :

In conversation with theologians, Hans Jonas always emphasized that he was not a theologian, but a philosopher. But as important as this demarcation was to him, as a philosopher he was interested in religion and religions. His philosophical-existentialist interpretation of gnosis led him to the thesis that this form of religious thought was nihilistic at its core. Countering this nihilism subsequently became the central concern of Jonas' philosophy. In his philosophical biology, he sought an ontological justification of the value of all life. In his reflection on man's responsibility for the future of life, he drew the ethical consequences from this thinking. On this path of thought, he was not afraid to think beyond the limits of the knowable, against the mainstream of contemporary philosophy. Metaphysical and religious thinking belonged for him to the possibilities of human reason. Not to make use of this possibility would be, according to Jonas, a betrayal of the history of human thought and a renunciation of valuable orientations, which nevertheless remain conjectures.

Only once Jonas explicitly crosses the boundary of philosophy, which is so important to him: "The concept of God after Auschwitz" is described by him as speculative theology, which, however, allows itself to be irritated by philosophy. Jonas was able to cross this border because he was always close to it.

Résumé :

Lors de ses entretiens avec des théologiens, Hans Jonas a toujours souligné qu'il n'était pas théologien, mais philosophe. Mais si cette délimitation était importante pour lui, il s'intéressait tout autant à la religion et aux religions en tant que philosophe. Son interprétation philosophique et existentialiste de la gnose l'a conduit à la thèse selon laquelle cette forme de pensée religieuse était fondamentalement nihiliste. S'opposer à ce nihilisme est devenu par la suite la préoccupation centrale de la philosophie de Jonas. Dans sa biologie philosophique, il a cherché une justification ontologique de la valeur de toute vie. Dans sa réflexion sur la responsabilité de l'homme pour l'avenir de la vie, il a tiré les conséquences éthiques de cette pensée. Sur ce chemin de pensée, il n'a pas hésité à aller à l'encontre du courant dominant de la philosophie contemporaine et à penser au-delà des limites du connaissable. Pour lui, la pensée métaphysique et religieuse faisait partie des possibilités de la raison humaine. Ne pas utiliser cette possibilité serait, selon Jonas, une trahison de l'histoire de la pensée humaine et un renoncement à des orientations précieuses, qui restent néanmoins des suppositions.

Une seule fois, Jonas franchit explicitement la frontière de la philosophie qui lui est si chère : "Le concept de Dieu après Auschwitz" est qualifié par lui de théologie spéculative, qui se laisse toutefois troubler par la philosophie. Jonas a pu franchir cette frontière parce qu'il s'en est toujours approché.

Michael Bongardt is a professor of philosophical anthropology, philosophy of culture and social philosophy and a member of the Hans Jonas Institute at the University of Siegen/Germany. He is the co-editor of the Hans Jonas textbook. M. Bongardt, H. Burkhart, J.-S. Gordon, J. Nielsen-Sikora (Hg.), Hans Jonas Handbuch. Leben-Werk-Wirkung, J. B. Metzler, Berlin, 2021.

Michael Bongardt est professeur d'anthropologie philosophique, de philosophie de la culture et de philosophie sociale, il est membre de l'Institut Hans Jonas à l'Université de Siegen/Allemagne. Il a co-dirigé le manuel Hans Jonas. M. Bongardt, H. Burkhart, J.-S. Gordon, J. Nielsen-Sikora (Hg.), Hans Jonas Handbuch. Leben-Werk-Wirkung, J. B. Metzler, Berlin, 2021.

Abstract:

Norbert Wiener’s cybernetics – i.e., the science of communication and control in the animal and the machine – has been extremely influential in the study not only of artificial systems, but also of biological phenomena. Its transversal application to both organic and digital entities is a direct outcome of its methodological presuppositions. Through the core notion of feedback, cybernetics explicitly aims at accounting for machine and organic behaviour alike. No hard threshold separates organisms from artificial systems here. Rather, machines are envisaged as images of living things. Even though many dissimilarities can be identified on a “pictorial” level, no difference separates the two on the more important “functional” level. The cybernetic framework, thus, rests on the claim that there is continuity between machines and organisms: both are to be understood by reference to the same concepts, and only differences of degrees apply. This stands in stark opposition to Jonas’s philosophical analysis, which insists instead on life’s uniqueness and essential irreducibility to any logics of mere exteriority. In my contribution I intend to discuss the critique of cybernetics that Jonas offers in The Phenomenon of Life as an attempt at restoring a conceptually sound threshold between organic life and its technological imitations. I also argue that Jonas’s ideas might positively contribute to the current philosophical debate on Artificial Intelligence, in which similar issues resurface.

Résumé :

La cybernétique de Norbert Wiener - c'est-à-dire la science de la communication et du contrôle chez l'animal et la machine - a exercé une influence considérable sur l'étude des systèmes artificiels, mais aussi des phénomènes biologiques. Son application transversale aux entités organiques et numériques découle directement de ses présupposés méthodologiques. Grâce à la notion centrale de rétroaction, la cybernétique vise explicitement à rendre compte du comportement de la machine comme de celui de l'organisme. Aucun seuil strict ne sépare les organismes des systèmes artificiels. Au contraire, les machines sont envisagées comme des images des êtres vivants. Même si de nombreuses dissemblances peuvent être identifiées au niveau "pictural", aucune différence ne sépare les deux au niveau "fonctionnel", qui est plus important. Le cadre cybernétique repose donc sur l'affirmation qu'il existe une continuité entre les machines et les organismes : les uns et les autres doivent être compris par référence aux mêmes concepts, et seules des différences de degré s'appliquent. Ceci est en opposition totale avec l'analyse philosophique de Jonas, qui insiste au contraire sur l'unicité de la vie et son irréductibilité essentielle à toute logique de simple extériorité. Dans ma contribution, j'ai l'intention de discuter de la critique de la cybernétique que Jonas propose dans Le Phénomène de la vie comme une tentative de rétablir un seuil conceptuel solide entre la vie organique et ses imitations technologiques. Je soutiens également que les idées de Jonas pourraient contribuer positivement au débat

philosophique actuel sur l'intelligence artificielle, dans lequel des questions similaires refont surface.

Fabio Fossa (PhD, University of Pisa) is a post-doctoral researcher at the Department of Mechanical Engineering of the Politecnico di Milano, Italy. His main research areas are philosophy of technology, robot and AI ethics, applied ethics, and the philosophy of Hans Jonas. His current research deals with the philosophy of artificial agency and the ethics of automated vehicles. He is Editor-In-Chief of the Italian Journal InCircolo – Rivista di filosofia e culture and a member of META – Social Sciences and Humanities for Science and Technology.

Fabio Fossa (PhD, Université de Pise) est chercheur post-doctoral au département d'ingénierie mécanique de l’Université Polytechnique de Milan (Politecnico), Italie. Ses principaux domaines de recherche sont la philosophie de la technologie, l'éthique des robots et de l'IA, l'éthique appliquée et la philosophie de Hans Jonas. Ses recherches actuelles portent sur la philosophie de l'agentivité artificielle et l'éthique des véhicules automatisés. Il est rédacteur en chef de la revue italienne InCircolo - Rivista di filosofia e culture et membre de META - Social Sciences and Humanities for Science and Technology.
 

Abstract:

The Philosophy of Technology proposed by Hans Jonas (presented in its general lines, as a project to be developed) is marked by a vision of the thresholds of Western history, mainly in its pre-modern (technology as a vocation) and modern (technology as power) differences. For Jonas, the 17th century is the threshold of this change, when the scientific and technological revolution that has lasted for four centuries took shape. Based on his critique of the illusions of Progress, the Technological Utopia and Meliorist goal in its relation to Nihilism, would it be possible to think that these limits have been overcome or that the 21st century, having radicalized this perspective through genetic engineering, digital technology, robotics and artificial intelligence, would have opened a new era and a new spirit of time? It is about understanding what Jonas calls the "progress syndrome."

Presentation :

La philosophie de la technologie proposée par Hans Jonas (présentée dans ses grandes lignes, comme un projet à développer) est marquée par une vision des seuils de l'histoire occidentale, principalement dans ses différences pré-modernes (la technologie comme vocation) et modernes (la technologie comme pouvoir). Pour Jonas, le XVIIe siècle est le seuil de ce changement, lorsque la révolution scientifique et technologique, qui dure depuis quatre siècles, a pris place. Sur la base de sa critique des illusions du Progrès, de l'utopie technologique et de la visée mélioriste dans son rapport au nihilisme, serait-il possible de penser que ces limites ont été dépassées ou que le XXIe siècle, ayant radicalisé cette perspective grâce au génie génétique, à la technologie numérique, à la robotique et à l'intelligence artificielle, aurait ouvert une nouvelle ère et un nouvel esprit du temps ? Il s'agit de comprendre ce que Jonas appelle le "syndrome du progrès".

Professor at the Graduate Program in Philosophy at PUCPR, where he research on ethics and political philosophy. He is a CNPq researcher, with post-doctoral studies at the University of Exeter (UK) and at the Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgium). He is the author of several articles and books, among which are Comprender Hans Jonas (Vozes, 2014), Negação e Poder: do desafio do niilismo ao perigo da tecnologia (EDUCS, 2018), as well as having co-organized with Eric Pommier Vocabulário Hans Jonas (EDUCS, 2019) and Transumanismo: O que é, quem vamos ser (EDUCS, 2020). He is coordinator of the Hans Jonas Brazil Center and founder of the Hans Jonas Chair at PUCPR. He lives in Curitiba, Paraná, southern Brazil.

Professeur au programme d'études supérieures en philosophie de la PUCPR, où il mène des recherches sur l'éthique et la philosophie politique. Il est chercheur au CNPq et a effectué des études postdoctorales à l'Université d'Exeter (Royaume-Uni) et à l'Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique). Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages, parmi lesquels Comprender Hans Jonas (Vozes, 2014), Negação e Poder: do desafio do niilismo ao perigo da tecnologia (EDUCS, 2018), ainsi que d'avoir coorganisé le Vocabulário Hans Jonas (EDUCS, 2019) et Transumanismo: O que é, quem vamos ser (EDUCS, 2020). Il est coordinateur du Centre Hans Jonas Brésil et fondateur de la Chaire Hans Jonas à la PUCPR. Il vit à Curitiba, Paraná, dans le sud du Brésil.
 

Résumé :

Il s’agira d’analyser la notion de seuil dans l’œuvre d’Hans Jonas à l’aune de sa pensée de la situation historique du sujet humain. La thèse que nous souhaitons défendre consiste à montrer qu’il n’y a pas de seuil à proprement parler d’une époque à une autre; en revanche, toute situation historique se situe au seuil de l’éternité. Chez Jonas, il n’y a en effet de vérité et de praxis que située dans une certaine historicité. Cependant, le passage d’une historicité à une autre est quant à lui incompréhensible : il n’y a pas de seuil mais un saut historial d’une époque à une autre. Ce qui se dessine dans l’éthique du futur et dans le principe responsabilité – à rebours d’une forme de solidarité inter-générationnel – c’est l’ouverture de l’homme par sa praxis à l’éternité de l’humanité par-delà son inscription dans une humanité particulière.

Abstract :

The aim of our talk is to analyze the notion of threshold in the work of Hans Jonas in the light of his thought on the historical situation of the human subject. Our thesis consists in showing that there is no threshold strictly speaking from one epoch to another; on the other hand, any historical situation is situated at the threshold of eternity. For Jonas, there is indeed no truth and praxis that is not situated in a certain historicity. However, the passage from one historicity to another is incomprehensible: there is no threshold but a historical leap from one era to another. What takes shape in the ethics of the future and in the principle of responsibility - in contrast to a form of inter-generational solidarity - is the opening of man by his praxis to the eternity of humanity beyond his inscription in a particular humanity.

Nicolas Antoszkiewicz est normalien et agrégé de philosophie en France, il est actuellement en année de recherche pré-doctorale à l'Université Catholique de Louvain et à l'Ecole Normale supérieure. Il a effectué son mémoire intitulé "Le passage de l'individu à la communauté chez Husserl. De la sortie héroïque à l'éternel retour du solipsisme" sous la direction de Renaud Barbaras. Ses domaines de recherche sont la phénoménologie du monde social et l'anthropologie phénoménologique et son travail porte plus particulièrement sur Husserl, Dufrenne, Arendt et Patočka.

Nicolas Antoszkiewicz is a normalien and agrégé de Philosophie in France, he is currently in his pre-doctoral research year at the Université Catholique de Louvain and at the Ecole Normale Supérieure of Paris. His master research is entitled "Le passage de l'individu à la communauté chez Husserl. De la sortie héroïque à l'éternel retour du solipsisme" under the supervision of Renaud Barbaras. His areas of research are the phenomenology of the social world and phenomenological anthropology and his work focuses on Husserl, Dufrenne, Arendt and Patočka.
 

Résumé :

Il s’agit de voir, d’une part, si et comment le principe de responsabilité de Jonas peut s’articuler avec les notions de justice environnementale, de délibération et de participation afin de proposer un concept de démocratie qui permette d’intégrer les exigences de l’éthique environnementale, d’autre part, de voir quelles médiations sont requises pour rendre ce concept « effectif ».

Abstract:

It is a question of seeing, on the one hand, if and how Jonas's principle of responsibility can be articulated with the notions of environmental justice, deliberation and participation in order to propose a concept of democracy that makes it possible to integrate the requirements of environmental ethics, and on the other hand, to see what mediations are required to make this concept "effective.

Eric Pommier est professeur de philosophie contemporaine à la faculté de philosophie de la Pontificia Universidad Católica de Chile, membre associé des Archives Husserl de Paris et auteur de La démocratie environnementale. Préserver notre part de nature (Paris, PUF, 2022), de La condition sensible. Chair, événement, Eros (Paris Hermann, 2022) et d’Ontologie de la vie et éthique de la responsabilité selon Hans Jonas (Paris, Vrin, 2013). Site personnel : http://www.ericpommier.com/

Eric Pommier is professor of contemporary philosophy at the Faculty of Philosophy of the Pontificia Universidad Católica de Chile, associate member of the Archives Husserl de Paris and author of La démocratie environnementale. Préserver notre part de nature (Paris, PUF, 2022), La condition sensible. Chair, événement, Eros (Paris Hermann, 2022) and Ontologie de la vie et éthique de la responsabilité selon Hans Jonas (Paris, Vrin, 2013).

Personal website : http://www.ericpommier.com/