C.C.E., 18 août 2016, n° 173.265

Louvain-La-Neuve

Le permis unique peut encore attendre : la Directive 2011/98 n’est pas invocable par un étranger désireux de régulariser son séjour par le travail.

Le Conseil du contentieux des étrangers considère que les dispositions de la Directive 2011/98, dite directive « permis unique », relatives à la procédure de demande unique et à la délivrance d’un permis unique combinant permis de séjour et permis de travail n’ont pas d’effet direct. Malgré le retard de la Belgique dans la transposition de ladite directive, le requérant, souhaitant régulariser son séjour sur base d’un contrat de travail, demeure ainsi soumis à la procédure dédoublée. Par ailleurs, le C.C.E. confirme le large pouvoir d’appréciation du Secrétaire d’Etat en matière de régularisation de séjour par le travail, en l’absence de critères objectifs.

Directive 2011/98/UE – Permis unique séjour/travail – Non-transposition – Absence d’effet direct – Régularisation du séjour par le travail – Demande non-fondée.

A. Les faits et décision du C.C.E.

Les faits de la cause sont relativement simples et peuvent être résumés comme suit. Le requérant, d’origine philippine, est arrivé régulièrement sur le territoire belge le 19 avril 1997, muni d’un visa court séjour. Le 16 décembre 2009, il introduit une demande d’autorisation de séjour sur base de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980. Cette demande fait suite à l’adoption par le gouvernement fédéral d’une instruction relative à la régularisation du séjour des étrangers en juillet 2009 dont les exigences principales étaient l’ancrage local durable et le travail. Le 8 mars 2012, l’Office des étrangers (OE) rejette la demande du requérant et lui notifie également un ordre de quitter le territoire. Ces décisions ont toutefois été annulées par le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.) le 1er décembre 2015. La nouvelle décision adoptée par l’OE, faisant l’objet du recours dans l’affaire commentée, est à nouveau négative.

L’OE justifie sa décision négative en considérant que les motifs invoqués au soutien de la demande de régularisation sont insuffisants. Le requérant s’est notamment prévalu de la longueur de son séjour sur le territoire belge, depuis 1997, de son intégration, en témoigne sa connaissance des langues nationales, de la présence de membres de sa famille en Belgique et, enfin, de sa volonté de travailler. L’OE estime néanmoins que le demandeur est à l’origine du préjudice qu’il invoque et qu’aucun élément ne permet de justifier la délivrance d’une autorisation de séjour.

Concernant la volonté du requérant de travailler en Belgique, question qui nous intéresse particulièrement, celui-ci apporte la preuve d’un contrat de travail. L’OE fait toutefois valoir qu’à défaut d’autorisation de travail préalable, délivrée par la région compétente, une autorisation de séjour ne peut être délivrée.

La question dont est saisi le C.C.E. concerne ainsi la délivrance d’un titre de séjour régularisant la situation de l’intéressé sur base du travail. A l’heure actuelle, en vertu du régime général, tout ressortissant d’un pays tiers (hors UE) souhaitant travailler en Belgique doit obtenir une autorisation de séjour et un permis de travail suivant une procédure dédoublée. Alors que l’autorisation de séjour se sollicite auprès de l’OE ou d’un poste diplomatique ou consulaire belge à l’étranger, la demande d’autorisation de travailler se fait auprès de la région compétente. Or, l’Union européenne a adopté, en décembre 2011, une directive visant à instaurer une procédure de demande unique débouchant sur la délivrance d’un titre combiné autorisant à la fois le séjour et le travail (directive « permis unique ») .

La Belgique n’ayant toujours pas transposé cette directive, la partie requérante invoque l’effet direct de certaines dispositions de celle-ci. Les articles 4 et 6 de la directive prévoient que les Etats membres ne peuvent plus, à l’instar de ce qui se fait en Belgique, dissocier le traitement de la demande de permis de travail du traitement de la demande de séjour. Le requérant fait ainsi valoir que, la directive eut-elle été transposée, la situation aurait été différente. Le C.C.E. juge néanmoins que les dispositions invoquées n’ont pas d’effet direct vertical dès lors que la mise en œuvre de la procédure de permis unique nécessite des mesures d’exécution interne de la part des autorités concernées, alors même que certaines dispositions peuvent être considérées comme claires et précises (conditions de l’effet direct d’une directive une fois le délai de transposition ayant expiré).

Le requérant invoque également le fait que la directive « permis unique » énonce que toute décision de rejet d’une demande de délivrance du permis unique doit reposer sur des critères prévus par le droit européen ou national, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 confère un pouvoir discrétionnaire d’appréciation large à l’administration, contraire à la directive selon la partie requérante. Sur ce deuxième point, le C.C.E. estime, d’abord, qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur les décisions de refus de permis de travail. Ensuite, le contrôle de légalité opéré par le C.C.E. concernant la demande de séjour ne lui permet pas de substituer sa décision à celle de l’administration. Or, le Secrétaire d’Etat compétent dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il statue sur une demande de régularisation fondée sur l’article 9bis. En outre, en raison de la jurisprudence du Conseil d’Etat, le Secrétaire d’Etat chargé de la politique de migration n’est pas tenu par les critères établis lors de la régularisation de 2009, à savoir, notamment, un ancrage local durable et un contrat de travail.

Un second moyen est pris de la violation de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 (dite directive « retour ») mais nous ne nous y attarderons pas.

B. Éclairage

On l’a dit, la Belgique n’a toujours pas transposé la directive permis unique, presque trois ans après la date limite de transposition. Les travailleurs étrangers demeurent ainsi soumis à une procédure dédoublée : l’octroi d’un titre de séjour relève du fédéral alors que la délivrance d’un permis de travail est une compétence régionale. Face à un tel système, existant dans plusieurs Etats européens, ladite directive a été adoptée en vue de simplifier la procédure. Les formalités et les autorités impliquées devraient ainsi être réduites, au bénéfice non seulement des travailleurs et de leur employeur mais aussi de l’administration. S’adressant à un guichet unique, l’employeur ou le travailleur[1], doit pouvoir déposer une demande de permis couvrant à la fois le séjour et l’accès au travail, et débouchant sur un acte administratif unique.[2] L’article 5 de la directive précise également que l’autorité compétente, désignée par chaque Etat membre, statue sur la demande complète.

Avant d’analyser la décision du C.C.E. à proprement dite, celle-ci nous offre l’occasion de revenir sur les raisons du retard belge dans la transposition de la directive permis unique.

Le retard pris par la Belgique ne peut se comprendre sans aborder la sixième réforme de l’Etat. Avant la dernière réforme institutionnelle, les régions étaient uniquement compétentes pour l’ « application des normes concernant l’occupation des travailleurs étrangers »[3]. Le pouvoir des régions se limitait alors à délivrer ou retirer les permis de travail et les autorisations d’occupation, selon les conditions et dans les limites fixées par le pouvoir fédéral, sans réellement pouvoir développer une politique d’immigration économique distincte. Ainsi, l’accès des étrangers au territoire et au marché de l’emploi étaient en grande partie règlementés au niveau fédéral, le pouvoir des régions étant largement cadenassé.

Suite à la sixième réforme de l’Etat, les régions sont désormais exclusivement compétentes en matière d’occupation des travailleurs étrangers et de permis de travail, « à l’exception des normes relatives au permis de travail délivré en fonction de la situation particulière de séjour des personnes concernées (permis de travail C) »[4]. L’Etat fédéral demeure toutefois, en vertu de sa compétence résiduelle, compétent pour l’accès au territoire et pour l’octroi des titres de séjour. La nouvelle répartition, pour le moins bancale, des compétences rend donc la transposition de la directive permis unique plus compliquée puisque celle-ci concerne aussi bien des compétences fédérales que fédérées. On comprend mieux pourquoi la Belgique a accumulé un tel retard pour mettre en place une procédure de demande unique et désigner une autorité compétente statuant sur la demande complète. Toutefois, l’architecture institutionnelle d’un Etat membre ne justifie, en aucun cas, le retard pris dans la transposition d’une directive européenne.

Revenons-en maintenant à la décision commentée. Le requérant entre effectivement dans le champ d’application de la directive permis unique puisque, en vertu de son article 3, celle-ci s’applique aux « ressortissants de pays tiers qui demandent à résider dans un Etat membre afin d’y travailler ». Cette disposition n’exige pas que l’étranger se trouve à l’étranger au moment de l’introduction de sa demande. L’article 4 de ladite directive énonce que les Etats membres décident si la demande de permis unique doit être introduite par le travailleur ou son employeur et, dans le premier cas, si la demande peut non seulement être introduite depuis un pays tiers ou sur le territoire de l’Etat membre dans lequel le ressortissant étranger se trouve légalement. L’article 5 de la directive prévoit, pour sa part, que les Etats membres désignent l’autorité compétente pour recevoir et statuer sur la demande ainsi que délivrer le permis unique. Par conséquent, on voit mal comment la directive permis unique pourrait avoir un effet direct vertical puisqu’elle confère une faculté d’appréciation aux Etats membres. Pour cette raison, l’intervention des autorités nationales semble nécessaire et ce, comme l’affirme le C.C.E., quand bien même certaines des dispositions de ladite directive pourraient être considérées comme « précises ». En outre, même en admettant que la Belgique permette aux ressortissants étrangers d’introduire une demande depuis la Belgique, la directive prévoit que ces personnes doivent se trouver légalement sur le territoire. Il apparait donc difficile pour une personne ayant introduit une demande de régularisation sur base du travail de bénéficier des dispositions de la directive permis unique.

Passons au deuxième argument soulevé par la partie requérante, à savoir le manque de critères objectifs pour l’application de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980. En ce qui concerne la recevabilité d’une demande fondée sur cette disposition légale, le requérant doit faire preuve de l’existence de « circonstances exceptionnelles » qui rendent impossible ou particulièrement difficile le retour de l’étranger dans son pays d’origine. A cet égard, l’autorité compétente (l’OE) dispose d’un large pouvoir d’appréciation et le C.C.E. a déjà jugé que l’intégration, la longueur du séjour, les possibilités d’emploi et le fait d’en avoir exercé un ne sont pas des circonstances exceptionnelles[5]. Les conditions de fond pouvant conduire à une décision de régularisation ne sont pas davantage définies par la loi, conférant un large pouvoir discrétionnaire au Secrétaire d’Etat. Par conséquent, comme l’invoque la partie requérante, la jurisprudence du Conseil d’Etat (refusant de prendre en compte les critères établis par la circulaire de 2009 et appliqués lors de la dernière phase de régularisations) conjuguée à l’inertie du législateur aboutissent à une procédure d’octroi de permis de séjour et de travail fondée sur un pouvoir discrétionnaire de l’administration, de sorte qu’aucun critère objectif n’est établi, contrairement au prescrit de l’article 8 de la directive. Bien que le C.C.E. défende le pouvoir discrétionnaire de l’administration et l’absence de critères de régularisation en rejetant, notamment, les demandes fondées sur les principes généraux de droit administratif, tels que le principe de confiance légitime ou de prévisibilité, la directive « permis unique », en son article 8, énonce que toute décision de rejet d’une demande de permis unique doit être motivée et fondée sur les critères prévus par le droit de l’Union ou par le droit national. La question se pose alors de savoir si cette disposition a un effet direct.

Non seulement la directive prévoit certaines garanties procédurales en faveur du demandeur d’un permis unique mais le pouvoir discrétionnaire du Secrétaire d’Etat ne lui permet pas, par ailleurs, d’ajouter une condition à la loi ni de se limiter à une position de principe contraire à l’obligation de motivation formelle des actes. En l’espèce, l’OE considère que la volonté de travailler du demandeur dont témoigne l’apport d’un contrat de travail ne peut justifier la délivrance d’une autorisation de séjour à l’intéressé puisque ce dernier ne dispose d’aucune autorisation de travail. Or, l’obtention d’une autorisation de travail peut être perçue comme imposant une condition supplémentaire non prévue par l’article 9bis. En outre, l’intéressé étant en séjour irrégulier, la région compétente refusera d’octroyer une autorisation d’occupation et un permis de travail faute d’être en séjour légal[6]. La directive « permis unique », une fois transposée, devrait mettre fin aux situations tarabiscotées dans lesquelles les différentes autorités compétentes se renvoient la balle ainsi qu’au possible décalage dans le traitement des demandes relatives l’une au séjour et l’autre au travail, situations génératrices d’insécurité juridique et d’instabilité pour la personne étrangère[7]. La directive vise précisément à simplifier la procédure tout en garantissant que celle-ci soit transparente et équitable. Quant à la position de principe de l’administration, la motivation en l’espèce rappelle celle ayant donné lieu à un arrêt d’annulation de la part du C.C.E. car la motivation « ne permet nullement de comprendre la raison pour laquelle […] la partie défenderesse [l’Etat belge] estime que, à tout le moins, la durée du séjour du requérant et son intégration ne sont pas de nature à lui permettre d’obtenir une autorisation de séjour »[8]. Pour ces motifs, nous estimons que des critères objectifs, ainsi que le prévoit l’article 8 de la directive « permis unique », devraient être adoptés dans une loi afin de préciser les situations dans lesquelles une régularisation par le travail est possible, à défaut le pouvoir discrétionnaire de l’administration se transforme en pouvoir arbitraire.

     J-B.F.

C. Pour aller plus loin

Pour lire l’arrêt :

C.C.E., 18 août 2016, n° 173.265.

Document législatif :

Directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre.

Pour citer cette note : J-B. Farcy, « Le permis unique peut encore attendre : la Directive 2011/98 n’est pas invocable par un étranger désireux de régulariser son séjour par le travail », Newsletter EDEM, octobre 2016.


[1] En vertu de l’article 4 de la directive, les Etats décident si la demande de permis unique est introduite par le ressortissant d’un pays tiers ou par son employeur.

[2] Articles 4 et 5 de la directive.

[3] Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, M.B., 15 août 1980, art. 6, §1er, IX, 3° (ancien).

[4] Article 6, §1, IX, 3° de la loi spéciale du 8 août 1980, nouveau.

[5] C.C.E., 30 septembre 2014, n° 130.549; 28 novembre 2013, n° 114.608.

[6] C.E., 23 octobre 2007, n° 176.046, Gonzalez Hernandez.

[7] Voy. par exemple: C.C.E., 31 août 2016, n° 173.790; Une incertitude demeure toutefois quant à l’issue d’une demande de régularisation par le travail puisque le directive n’envisage pas explicitement la situation des « sans-papiers ».

[8] C.C.E., 20 mars 2013, n° 99.287.

Publié le 07 juin 2017