C.J.U.E., arrêt J.N., C-601/15, ECLI:EU:C:2016:84

Louvain-La-Neuve

Rétention des demandeurs d’asile en droit européen : « primauté » de l’effectivité de retour.

La Cour de justice de l’Union européenne examine la compatibilité d’une limitation du droit des demandeurs d’asile à la liberté et à la sureté garantie par la directive accueil avec l’Article 6 de la Charte. Elle adopte une interprétation qui affirme que la refonte restreint la faculté des Etats membres de placer un demandeur d’asile en rétention. Elle confirme l’applicabilité au droit d’asile de sa jurisprudence, issue d’autres domaines du droit européen, quant aux contours des notions de protection de la « sécurité nationale » et d’ « ordre public ». Or, la CJUE semble procéder à un examen superficiel de la compatibilité des limitations au droit à la liberté avec la CEDH et sa jurisprudence. La préoccupation de la CJUE paraît être davantage l’effectivité de la procédure de retour que des considérations relatives au droit à la liberté.

Art. 5 CEDH – Arts. 6, 52 Charte – Cons. 15-18, 20, 35 et Arts. 2, 8 Directive 2013/33/UE – Arts. 2, 9 Directive 2013/32/UE – Arts. 7, 8, 11 Directive 2008/115/CE – Placement en rétention des demandeurs d’asile – Protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public – Séjour régulier – Droit de rester dans un État membre – Procédure de retour – Validité de la limitation.

A. Arrêt

La question préjudicielle, posée à la Cour de justice de l’Union européenne par le Raad van State néerlandais, porte sur la compatibilité avec l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la CDFUE) de la limitation au droit des demandeurs d’asile à la liberté et à la sureté prévue par la directive accueil. Le requérant, M. N., avait été condamné à vingt-et-une reprises pour une série d’infractions (principalement des vols) à des amendes ou des mesures privatives de liberté d’un maximum de trois mois en vingt ans. Malgré le fait qu’il avait fait l’objet d’une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée après le rejet de sa troisième demande d’asile, il n’a pas quitté le territoire néerlandais. Alors qu'il purgeait sa peine en 2015 pour vol et méconnaissance de l’interdiction d’entrée, il a introduit une quatrième demande d’asile. Après sa sortie de détention criminelle, il a fait l’objet d’une rétention administrative en tant que demandeur d’asile basée sur la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public.  

Un premier recours contestant sa rétention administrative est rejeté par le Tribunal de première instance de la Haye. Par la suite, il introduit un recours devant le Raad van State avançant que sa rétention était contraire à l’article 5(1)(f) de la CEDH qui ne permet une privation de liberté qu’à des fins d’éloignement et qu’il se trouvait en séjour régulier depuis l’introduction de sa quatrième demande d’asile. Le Conseil d’état néerlandais décide de surseoir à statuer et demande à la Cour de justice d’analyser la validité de l’article 8(3)(3) de la directive accueil qui permet la privation de liberté « lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige » avec l’Article 6 de la Charte énonçant le droit à la liberté et la sécurité de personne. Le Raad van State souligne que les limitations qui peuvent légitimement être portées aux droits garantis par l’article 6 de la Charte ne peuvent excéder les limites permises par la CEDH, telles qu’interprétées par la Cour eur. D.H., en particulier dans l’arrêt Nabil et autres contre Hongrie[1].

La Cour commence par rappeler les relations entre la CEDH et le droit de l’Union. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure, ainsi que le texte de l’article 6(3) TUE, selon lequel les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. Elle rappelle également l’article 52(3) de la Charte qui dispose que les droits contenus dans celle-ci, correspondant à des droits garantis par la CEDH, ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention. Néanmoins, elle souligne que tant que l’Union n’y a pas adhéré, le CEDH ne constitue pas un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union. Par conséquent, la validité du droit européen doit être analysée uniquement au regard des droits fondamentaux garantis par la Charte. Ensuite, la Cour note que l’affaire concerne une limitation de l’exercice du droit à la liberté, consacré à l’article 6 de la Charte. Conformément à l’article 52(1) de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel, ainsi que le principe de proportionnalité. Selon ce dernier, des limitations ne peuvent être apportées à l’exercice de ces droits et de ces libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

La Cour estime qu’en espèce, ces exigences sont respectées. La limitation est issue d’une directive qui est un acte législatif de l’Union. Elle n’affecte pas le contenu essentiel du droit à la liberté, vu qu’elle est permise seulement sur la base d’un examen individuel, dans les circonstances exceptionnelles visées à cette même disposition, ces circonstances étant par ailleurs encadrées par l’ensemble des conditions figurant à la directive 2013/33/UE (ci-après directive accueil). Les notions de la sécurité nationale et de l’ordre public répondent effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ainsi qu’à la protection des droits et des libertés d’autrui. La Cour réfère spécifiquement au droit de toute personne à la sureté. Le placement en rétention est, par sa nature même, une mesure apte à protéger le public du danger que peut constituer le comportement d’une telle personne. Néanmoins, vu la gravité de l’ingérence que constitue une telle mesure de rétention au droit de liberté, les limitations de l’exercice de celui-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire. Plus spécifiquement, la Cour souligne les garanties énoncées par la directive accueil, ainsi que sa jurisprudence dans les domaines du retour et de la liberté de circulation des citoyens européens concernant l’invocation des notions de sécurité nationale et d’ordre public.

Appliquant le principe de proportionnalité en espèce, la Cour remarque que les motifs du placement en rétention du requérant au principal tiennent, essentiellement, aux infractions qu’il a commises sur le territoire néerlandais ainsi qu’au fait qu’il a fait l’objet d’une décision de quitter ce territoire, assortie d’une interdiction d’entrée d’une durée de dix ans, devenues définitives. La Cour précise que sa rétention n’a eu aucune incidence sur son droit de rester aux fins de l’examen de sa demande d’asile. Ensuite la Cour rappelle que les Etats Membres doivent assurer l’effectivité de la directive 2008/115/CE (ci-après directive retour). Elle note que selon la pratique nationale, l’introduction d’une demande d’asile par une personne faisant l’objet d’une procédure de retour a pour effet de rendre caduque de plein droit toute décision de retour qui aurait précédemment été adoptée dans le contexte de cette procédure. Elle souligne que cette pratique compromet l’effectivité de la directive retour. Par contre, il résulte tant du devoir de loyauté des États membres[2], que des exigences d’efficacité énoncées notamment au considérant 4 de la directive retour, qu’après le rejet en première instance de la demande de protection internationale, une procédure de retour doit être reprise au stade où elle a été interrompue.

Ensuite, la Cour examine la compatibilité de cette limitation avec le droit à la liberté de la personne énoncée à l’article 5(1) CEDH et la juge compatible. Citant un passage de l’arrêt Nabil de la Cour eur. D.H., elle estime que la rétention d’une personne ayant introduit une demande d’asile pourrait être qualifiée de détention « en vue d’une expulsion », puisqu’un éventuel rejet de cette demande peut ouvrir la voie à l’exécution des mesures d’éloignement déjà décidées. Partant, la Cour conclut qu’en l’espèce la situation tombe sous le champ d’application de l’article 5(1)(f), seconde partie, de la CEDH qui prévoit la rétention d’une personne « contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».

B. Éclairage

Nous analysons l’arrêt sous trois axes : la construction du régime de la rétention des demandeurs d’asile en droit européen (sous-section i) ; l’examen par la Cour de la compatibilité des normes européennes avec la CEDH (sous-section ii) ; et, les dangers que l’interprétation donnée par la Cour à la directive retour présente (sous-section iii).

i - La rétention des demandeurs d’asile en droit européen : l’affirmation d’un cadre restreint

La Cour affirme que les garanties issues de la Charte, ainsi que de la législation européenne révisée, établissent un cadre restreint. Les références aux principes dégagés par la jurisprudence antérieure de la Cour renforcent ces garanties. Premièrement, la Cour applique par analogie son raisonnement de l’affaire Digital Rights Ireland[3], pour conclure que vu la gravité de l’ingérence que la rétention présente au droit de liberté, les limitations à l’exercice de celui-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire. Il mérite d’être souligné que selon la Cour eur. D.H., l’Article 5(1)(f) de la CEDH ne prévoit une application du principe de nécessité que si le droit nationale l’exige[4]

La Cour fait référence aux garanties prévues dans la législation européenne révisée. La directive accueil stipule que « les demandeurs ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles définies de manière très claire dans la présente directive »[5]. Elle rappelle que « nul ne doit être placé en rétention pour le seul motif qu’il demande une protection internationale »[6]. Par contre, la directive contient une liste exhaustive des motifs.[7] Elle impose aux Etats Membres de procéder à une appréciation au cas par cas, respectant les principes de proportionnalité et de nécessité[8]. Les autorités nationales sont également censées examiner préalablement si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées[9]. En outre, une série des garanties procédurales est énoncée concernant la décision initiale, ainsi que le droit à un recours effectif.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement l’invocation de notion de l’ordre public, la Cour a jugé que la notion d’« ordre public » suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société[10]. Pour ce qui concerne la notion de la sécurité nationale, la Cour a tiré des enseignements de sa jurisprudence concernant la libre circulation de citoyens qui contient la notion de la ‘sécurité publique’. Cette notion couvre la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure et partant, l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires[11].

La Cour apporte alors des précisions précieuses aux autorités nationales concernant le respect du principe de nécessité quand ces notions sont invoquées. Une telle invocation n’est possible qu’à la condition que le comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné[12]. Telle était l’approche adoptée également par l’Avocate Générale Sharpston qui a évoqué l’exemple d’un ressortissant d’un pays tiers appartenant à une association qui soutient le terrorisme international ou soutenant une telle association. Elle a conclu qu’ « une telle appartenance, si elle est dûment établie, pourrait suffire à établir la nécessité d’une mesure de rétention au titre de la disposition litigieuse »[13]. Par contre, elle a noté qu’elle ne partage pas le point de vue de la Commission selon lequel la disposition litigieuse permettrait à un État membre de placer des demandeurs d’asile en rétention s’ils font partie d’un afflux massif et soudain de migrants menaçant l’ordre interne de cet État et sa capacité à faire face à un tel afflux[14]. Même si la Cour n’a pas évoqué cette hypothèse spécifique, son raisonnement qui est basé sur le comportement individuel du demandeur ne laisse pas de doutes sur l’impossibilité d’utiliser ce motif pour autoriser une détention systématique de tout demandeur d’asile dans de cas d’un afflux massif.

ii -L’examen de la compatibilité des normes européennes avec la CEDH : une analyse superficielle 

Le point de vue selon lequel, malgré le contenu de l’article 6(3) TUE ainsi que 52(3) de la Charte, la CEDH ne constitue pas encore un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union, et qu’aucun des deux articles ne forme une base afin d’appliquer les dispositions de la CEDH directement, a été exprimé par la Cour à plusieurs reprises. Il a été repris dans son Avis 2/13 sur l’adhésion de l’Union à la CEDH[15], mais avait déjà été exprimé précédemment[16]. Cette posture n’est ni réservée exclusivement au domaine de l’asile, ni réservée exclusivement à la CEDH. La Cour a adopté une position similaire dans l’affaire Qurbani concernant la Convention de Genève quand elle a conclu que : « la Cour ne saurait être compétente pour interpréter directement l’article 31 de cette convention, non plus que tout autre article de celle-ci »[17]. Elle a observé que :

[l]e fait que l’article 78 TFUE précise que la politique commune en matière d’asile doit être conforme à la convention de Genève et que l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne souligne que le droit d’asile est garanti dans le respect de cette convention et du protocole relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967 n’est pas de nature à remettre en cause le constat d’incompétence de la Cour[18].

De ce qui précède,  il nous semble que même si cette position est certainement « formaliste », elle n’est pas motivée par opportunisme dans la présente affaire[19].

Ceci dit, l’analyse de la Cour sur le point de la compatibilité avec la CEDH laisse beaucoup à désirer[20]. La Cour n’a pas avancé qu’il n’était pas du tout nécessaire d’examiner la compatibilité de l’article 6 de la Charte avec les motifs exhaustifs de l’Article 5(1) CEDH. Elle a plutôt procédé à une analyse extrêmement superficielle, avant de conclure que ‘le législateur de l’Union n’a pas méconnu le niveau de protection offerte par cette article’.

Vu l’énumération exhaustive des limitations au droit de liberté contenues dans l’Article 5 CEDH, les motifs de sécurité nationale ou de l’ordre public ne peuvent être invoqués que s’ils tombent sous le champ d’application d’une de ces exceptions. La Cour eur. D.H. a clairement indiqué dans l’affaire A. et autres que :

[l]a Cour ne souscrit pas à la thèse du Gouvernement selon laquelle l’article 5 § 1 de la Convention doit s’interpréter comme autorisant la recherche d’un juste équilibre entre le droit à la liberté individuelle et l’intérêt de l’Etat à protéger sa population contre la menace terroriste. Cette thèse contredit non seulement la jurisprudence de la Cour relative à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, mais aussi le principe voulant que les alinéas a) à f) de cette disposition contiennent une liste exhaustive des exceptions au droit à la liberté et que seule une interprétation étroite de celles-ci soit compatible avec les buts poursuivis par cet article. Lorsqu’une détention sort des limites de ces alinéas fixées par la jurisprudence de la Cour, on ne peut l’y ramener en invoquant la nécessité de mettre en balance les intérêts de l’Etat et ceux des détenus[21].

En l’espèce, la CJUE avance que la rétention de M.N. tombait sous le champ d’application de l’article 5(1)(f) second membre de phrase, de la CEDH. Pour ce qui concerne l’articulation entre les régimes d’asile et de retour, la Cour eur. D.H. examine exhaustivement le contenu de la loi nationale. Elle a, donc, conclu dans le passé que le fait qu’un demandeur ne pouvait être expulsé avant l’examen de la demande d’asile faisait que sa détention était lors dépourvue de fondement en droit interne[22]. Dans Nabil cette Cour a rappelé cette jurisprudence[23]. Il est vrai que la Cour eur. D.H. a observé que :

[...] l’existence d’une procédure d’asile en cours n’implique pas par elle-même que la rétention d’une personne ayant introduit une demande d’asile n’est plus mise en œuvre «en vue d’une expulsion», puisqu’un éventuel rejet de cette demande peut ouvrir la voie à l’exécution des mesures d’éloignement déjà décidées[24].

Néanmoins, elle a également observé que cette détention doit être compatible avec la loi nationale et nullement arbitraire[25]. Ensuite, elle a observé que les autorités hongroises n’ont pas tiré les conséquences du fait qu’une demande d’asile avait été déposée. Examinant la législation nationale, la Cour eur. D.H. a conclu qu’afin de prolonger la rétention, les autorités devraient examiner si le dépôt de la demande avait pour objet de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour, ainsi que de vérifier l’impossibilité d’appliquer des mesures moins coercitives. Soulignant qu’un tel examen n’a pas eu lieu, la Cour avait condamné la Hongrie pour violation de l’article 5(1) de la CEDH.

La CJUE en procédant a une lecture sélective de la jurisprudence de la Cour eur. D.H., a très rapidement conclu, qu’en l’espèce, la procédure de retour doit être reprise au stade où elle a été interrompue en raison du dépôt d’une demande de protection internationale rejetée en première instance, même si la procédure est toujours « en cours ». Ce constat est problématique. La Cour n’a pas analysé suffisamment quelle est l’incidence du fait que selon la législation européenne un demandeur d’asile est en séjour légal durant l’examen de sa demande[26], et ainsi que selon la législation nationale le dépôt de la demande d’asile a rendu caduque de plein droit toute décision de retour. Elle n’a pas non plus examiné la recevabilité de ce motif (i.e. sécurité nationale ou ordre public) dans les cas où une décision de retour n’a pas était adoptée. Par contre, l’Avocat Général, adoptant une approche de principe, a examiné si ces motifs rendent dans les champs d’application des autres limitations prévus dans l’Article 5(1) de la CEDH[27].

iii. Les écueils de la « primauté » de l’effectivité de retour

Le raisonnement de la CJUE est imprégné par le souci d’assurer l’effectivité de la politique de retour. Pour rappel, la Cour a jugé que selon une interprétation téléologique de la directive retour, les autorités nationales doivent seulement suspendre, mais pas annuler, une décision de retour pendant l’examen d’une demande d’asile. En l’espèce, les autorités néerlandaises avaient fondé la menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur la base de l’obligation de retour qui incombait à M. N. conjointement avec ses condamnations pénales.

Un danger apparent est une application extensive de cette jurisprudence qui pourrait conduire à l’invocation de ce motif de rétention vis-à-vis des demandeurs d’asile sans antécédents criminels, ou ayant un antécédent criminel exclusivement basé sur des infractions liées à l’immigration, quand la législation nationale criminalise ces types d’infractions. Consciente de ces potentielles conséquences, l’Avocat Général a observé que :

[l]a circonstance qu’un demandeur a fait l’objet d’une décision de retour, précédemment au dépôt de sa demande d’asile, voire a été condamné pour s’être soustrait à cette décision, est, en soi, étrangère au constat selon lequel ledit demandeur constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité nationale ou l’ordre public dans l’État membre concerné[28].

Concernant l’imposition d’une interdiction d’entrée, elle a noté qu’elle est « susceptible de fournir un indice » mais n’est pas en soi déterminante[29]

La Cour n’a pas examiné ces hypothèses. D’autres auteurs ont remarqué qu’une telle interprétation pourrait « motiver » les autorités nationales à notifier automatiquement des décisions de retour aux nouveaux arrivants, avant qu’ils aient eu la possibilité de demander l’asile[30]. Si une interprétation extensive de la notion de sécurité nationale ou d’ordre public devait prévaloir, l’adoption d’une décision de retour sera suffisante pour répondre au critère d’individualisation, de sorte que presque tous les demandeurs d’asile pourraient être concernés. En outre, une telle interprétation peut nuire à l’effectivité de la législation européenne sur l’asile qui contient une disposition spécifique concernant la rétention des demandeurs d’asile en processus de retour[31].

iv. Conclusions 

Le raisonnement de la CJUE dans J.N. a, d’une part, bien cadré les notions de sécurité nationale et d’ordre public, notions qui semblaient juridiquement vagues. Cependant, en essayant d’assurer l’effectivité de la politique de retour, la Cour a peut-être créé un autre écueil, qui est l’instrumentalisation de la rétention des demandeurs d’asile afin d’opérationnaliser leur « futur » retour. Les dangers sont bien réels et attestés par des évolutions actuelles. Le 22 mars, le HCR a suspendu une partie de ces opérations dans des soi-disant « hotspots » quand il est apparu qu’un régime de détention systématique de tous les nouveaux arrivants y était applicable[32]. Il est souhaitable que la CJUE nuance son raisonnement afin de ne pas ébranler l’effectivité du régime d’asile en faisant « primer » l’effectivité de la politique de retour européen.

L.T.

C. Pour aller plus loin

Consulter l’arrêt :

Arrêt J.N., C-601/15, ECLI:EU:C:2016:84.

Prise de position de l’Avocat Général Sharpston dans l’affaire J.N., C-601/15, ECLI:EU:C:2016:85.

Jurisprudence :

- Avis 2/13, ECLI:EU:C:2014:2454.

-Arrêt Qurbani, C-481/13, ECLI:EU:C:2014:2101.

- Arrêt Zh. et O., C‑554/13, ECLI:EU:C:2015:377.

- Arrêt H.T., C‑373/13, ECLI:EU:C:2015:413.

- Arrêt Digital Rights Ireland Ltd, C‑293/12 et C-594/12, ECLI:EU:C:2014:238.

- Arrêt Åkerberg Fransson, C-617/10, ECLI:EU:C:2013:280.

- Arrêt Kamberaj, C-571/10, ECLI:EU:C:2012:233.

-Arrêt Tsakouridis, affaire C‑145/09, ECLI:EU:C:2010:708.

- Cour eur. D.H., 2 septembre 2015, Nabil et autres c. Hongrie, req. n°62116/12.

- Cour eur. D.H., 25 septembre 2012, Ahmade c. Grèce, req. n°50520/09.

- Cour eur. D.H., 7 juin 2011, RU c. Grèce, req. n°2237/08.

- Cour eur. D.H., 19 février 2009, A. et autres c. Royaume-Uni, req. n°3455/05.

Doctrine :

-S. PEERS, « Detention of asylum-seekers: the first CJEU judgment », EU Law Analysis,  9 mars 2016.

-C. PEYRONNET, « Rétention des demandeurs d’asile et droit à la liberté et à la sûreté : Les errements stratégiques de la Cour de justice », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 18 mars 2016.

- L. TSOURDI, « EU Reception Conditions : A Dignified Standard of Living ? », in V. Chetail, P. De Bruycker & F. Maiani (dir.), Reforming the Common European Asylum System : The New European Refugee Law, Martinus Nijhoff Publishers, 2016.

- L. TSOURDI, « Asylum Detention in EU Law : Falling Between Two Stools? », 35(1) Refugee Survey Quartely, 2016, 7.

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « Rétention des demandeurs d’asile en droit européen : vers la « primauté » de l’effectivité de retour ? », Newsletter EDEM, mars 2016.

 


[1] Cour eur. D.H., 2 septembre 2015, Nabil et autres c. Hongrie, req. n°62116/12.

[2] Voy. TUE, Article 4(3).

[3] Voy. arrêt Digital Rights Ireland Ltd, C‑293/12 et C-594/12, ECLI:EU:C:2014:238.

[4] Voy., Cour eur. D.H., 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, req. n°22414/93 ainsi que Cour eur. D.H., Saadi c. Royaume-Uni, req. n°13229/03, 29 janvier 2008.

[5] Voy., directive accueil, considérant 15.

[6] Ibid., voy. également directive accueil, article 8(1).

[7] Voy. directive accueil, article 8(3).

[8] Voy. directive accueil, article 8(2).

[9] Ibid.

[10] La Cour a fait référence aux arrêts Zh. et O., C‑554/13, ECLI:EU:C:2015:377 concernant la politique de retour ainsi que H.T., C‑373/13, ECLI:EU:C:2015:413 concernant la révocation du titre de séjour d’un réfugié reconnu.

[11] La Cour a fait référence à l’arrêt Tsakouridis, C‑145/09, ECLI:EU:C:2010:708.

[12] Arrêt commenté, point 67.

[13] Prise de position de l’Avocat Général Sharpston dans l’affaire J.N., C-601/15, ECLI:EU:C:2016:85, point 92.  

[14] Ibid., point 96.

[15] Avis 2/13, ECLI:EU:C:2014:2454.

[16] Voy., arrêt Åkerberg Fransson, C-617/10, ECLI:EU:C:2013:280 , point 44 ainsi que l’arret Kamberaj, C-571/10, ECLI:EU:C:2012:233, point 62.

[17] Arrêt Qurbani, C-481/13, ECLI:EU:C:2014:2101, point 24.

[18] Ibid., point 25.

[19] Voy. contre C. PEYRONNET, « Rétention des demandeurs d’asile et droit à la liberté et à la sûreté : Les errements stratégiques de la Cour de justice », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 18 mars 2016.

[20] Arrêt commenté, points 77-81.

[21] Cour eur. D.H., 19 février 2009, A. et autres c. Royaume-Uni, req. n°3455/05. 

[22] Voy. Cour eur. D.H., 25 septembre 2012, Ahmade c. Grèce, req. n°50520/09, paras. 142-144 ainsi que Cour eur. D.H., 7 juin 2011, RU c. Grèce, req. n°2237/08, paras. 88-96.

[23] Voy., Nabil et autres, arrêt précité, para. 35.

[24] Ibid., para 38.

[25] Ibid.

[26] Voy. L. TSOURDI, « Asylum Detention in EU Law : Falling Between Two Stools? », 35(1) Refugee Survey Quartely, 2016, 7, 11-13.

[27] Voy. prise de position de l’Avocat Général précitée , points 116-126.

[28] Voy. prise de position de l’Avocat Général précitée , point 100.

[29] Ibid., points 111-112.

[30] S. PEERS, « Detention of asylum-seekers: the first CJEU judgment », EU Law Analysis,  9 mars 2016.

[31] Voy. directive accueil, Article 8(3)(d).

Publié le 09 juin 2017