L'architecture durable s'use-t-elle ?

01 février 2024

8h30-17h

Tournai

rue du Glategnies 6

Sujet

L’architecture durable s’use-t-elle ? Posée de manière apparemment paradoxale, la question est celle des rapports entre architecture, durabilité et usure. Si, en théorie, il paraît tomber sous le sens que l’architecture est faite pour durer, se doit aujourd’hui d’être durable, et est destinée à être usée, en pratique, cela ne va pas sans soulever de nombreuses interrogations, tensions et contradictions.

Qu’il s’agisse de l’évaluation des durabilités mécanique et environnementale d’un matériau de construction, ou des dilemmes entre maintenance, rénovation et (re)construction, l’architecture durable est aujourd’hui prise dans de multiples ambiguïtés. La première de celles-ci peut être cherchée dans la duplicité de la notion de durabilité elle-même. Et pourtant, il y a urgence à prendre le temps de trouver les conditions de notre installation dans la durée, par-delà la soutenabilité d’un système économique et productif à laquelle renvoi la notion le développement durable (Vivien 2003). L’usure agit ici comme révélateur en plaçant la question de la durabilité de l’architecture à l’épreuve de la trace des usages et du temps qui passe.

Le champ ouvert à investigation est vaste. Lors d’un séminaire tenu en avril 2022, Pierre Caye (philosophe, CNRS-ENS), Nicolas Coeckelberghs (architecte, BC Materials), Matthieu Delatte (architecte, Karbon’ Architecture), Michaël Ghyoot (architecte, Rotor) et Yaprak Hamarat (designer-chercheuse, ULg) l’ont investigué en trois temps : la technique, l’économie et l’esthétique. Croisant lectures académiques et retours de pratiques, ce séminaire propose quelques linéaments offerts à de plus amples développements.

Dans le premier temps, celui de la technique, Pierre Caye distingue le bon usage qui produit l’usure, du mésusage qui produit la destruction, et qui caractérise le système productif contemporain. Il rappelle ainsi que la technique ne peut être entendue comme effacement du symbolique. Au contraire, elle doit être au service de la construction d’un temps symbolique, la durée, qui est non l’effet, mais le principe du développement « durable ». L’architecture joue ici un rôle essentiel, car elle nous aide à nous temporaliser, à nous installer dans le temps. Elle nous aide ainsi à construire la durée, non par sa monumentalité ou sa pérennité, mais, plus simplement et radicalement, par la dilatation du présent permise par la dilatation spatiale. Pierre Caye nous invite à penser et à produire une architecture constituant des abris, des îlots, des asiles, des arches nous permettant de débrayer la mobilisation totale du système productif contemporain et de nous en extraire pour (re)trouver une familiarité avec le monde.

Partant de l’expérience de BC Materials, Nicolas Coeckelberghs prolonge ces réflexions en s’intéressant aux moyens d’une architecture durable, et plus particulièrement aux difficultés rencontrées pour la diffusion de la terre crue hors des pratiques de niche. Si les matériaux régénératifs, comme la terre crue, rencontrent un regain d’intérêt pour leurs qualités environnementales, ceux-ci sont généralement plus susceptibles d’usure et de détérioration que les matériaux conventionnels. Sans que cela constitue un problème technique, il semble que ce soient avant tout les habitudes qui constituent ici un frein majeur à la transformation des pratiques. Nicolas Coeckelberghs invite dès lors à repenser nos habitudes en termes de confiance, que ce soit entre les intervenants de la construction ou envers les matériaux et les ressources mis en œuvre selon des procédés non standardisés.

Dans le deuxième temps, celui de l’économie, Matthieu Delatte met en évidence deux biais de l’approche économique classique dans le domaine de la construction. Le premier est la considération exclusive du coût financier au détriment des coûts sociaux et environnementaux. Ces derniers tendent à être soit invisibilisés, comme l’illustre la solution « verte » des panneaux solaires, soit réduits à une valeur financière, comme dans la monétarisation des services écosystémiques. Le deuxième biais porte sur la séparation faite à la fois entre les différents postes d’une construction et les différentes phases de vie de celle-ci. Matthieu Delatte invite dès lors à se saisir des méthodes comptables et des procédures de détermination des équivalences financières, trop souvent déconsidérées alors qu’elles véhiculent un ensemble de présupposés sur les valeurs.

Dans le troisième temps, celui de l’esthétique, Yaprak Hamarat interroge les propriétés d’une esthétique écologiste. Considérant l’esthétique comme l’ensemble des expériences sensibles, elle suggère que l’usure, en manifestant les traces du temps et de l’usage, y occupe une place particulière. Or l’esthétique héritée du Modernisme valorise le lisse, le non-assemblage, le mono-matériau. L’usure y est associée au désordre et à la souillure, à la fragilité et à l’impermanence, à la maladie et à la mort. Si, comme le suggère Descola, l’ontologie de nos sociétés se caractérise par la mise à distance de la nature, il s’agirait dès lors de reconsidérer l’usure pour sa contribution à une réconciliation « par-delà nature et culture ».

Partant de l’esthétisation de l’usure que proposait l’exposition Usus/Usures à la Biennale de Venise en 2010, Michaël Ghyoot constate que l’effet de l’usure peut être considéré de façon très contrastée selon les situations. De la patine à la dégradation, les distinctions s’opèrent à la fois selon des critères objectifs et selon des jugements subjectifs. Transformer ces derniers par une attention et un regard renouvelés sur le monde qui nous entoure ouvre à une valorisation du déjà-là et de ses spécificités, à contre-pied d’un attrait consumériste pour le neuf et le générique. Il invite donc à chercher les conditions propices à un tel renouvellement.

Appel à contributions

Sur la base de ces réflexions, un appel à contribution est ouvert, tant aux chercheur∙euses qu’aux praticien∙nes, pour une journée d'étude sur le site tournaisien de l’institut LAB de l'Université catholique de Louvain. Les contributions portent sur les rapports entre architecture, durabilité et usure sur un plan technique, économique ou esthétique, soit les trois plans envisagés lors du précédent séminaire, et sont invitées à prolonger ou discuter les pistes qui y ont été esquissées.

Modalités pratiques

Contact

Elie Pauporté

UCLouvain – LAB – Institut de recherche de Louvain pour le Territoire, l'Architecture, l'Environnement Bâti
6, rue du Glategnies
7500 Tournai

Dates

Manifestation d’intérêt : abstract de maximum 2 500 signes envoyé par mail pour le 02/10/2023 au plus tard.
Contributions complètes : maximum 20 000 signes, à transmettre par mail pour le 15/12/2023 au plus tard.

Adresse d’envoi : elie.pauporte@uclouvain.be

Lieu

UCLouvain – Faculté LOCI – faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme - 6, rue du Glategnies - 7500 Tournai - information d’accès

>> Inscription à la journée d'études

Date & horaire

Date de la journée d’étude : 01/02/2024.

Horaire (sous réserve de confirmation ultérieure) :

  • 8h30 accueil
  • 9h – 10h30 1re session
  • 10h30 – 10h45 pause
  • 11h – 12h30 2e session
  • 12h30 – 13h45 repas
  • 13h45 – 15h15 3e session
  • 15h15 – 15h30 pause
  • 15h30 – 17h conclusion et clôture