Maxime Lambrecht a créé une chaine YouTube pour vulgariser le droit d’internet, la propriété intellectuelle et les théories de la justice. Cette initiative a été récompensée par le prix Wernaers pour la vulgarisation scientifique. L’occasion de revenir avec lui sur un sujet qui fâche : le droit d’auteur sur les plateformes en ligne.
La liberté sur internet fait l’objet de débats passionnés. Fake news, cyberharcèlement, incitation à la haine, apologie du terrorisme, bulle de filtres qui brossent nos opinions dans le sens du poil… Les raisons de débattre ne manquent pas ! Cette année, c’est la directive européenne sur les droits d’auteur qui a cristallisé l’attention. Et plus particulièrement son article 17 (anciennement article 13) sur l’« utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne ». Les plus connues de ces plateformes étant YouTube, Facebook, Twitter et Instagram.
Quand les plateformes jouent les gendarmes
De nombreux utilisateurs consomment ou diffusent, parfois illégalement, des (extraits d’) œuvres musicales, photographiques, cinématographiques ou même littéraires. La plupart de ces œuvres(1) sont couvertes par le droit d’auteur. L’Union européenne veut donc que les plateformes tentent de négocier des accords avec tous les ayants droit. À défaut d’accord, elles devraient contrôler davantage les contenus. Or, le seul moyen d’exercer ce contrôle à grande échelle est de le faire via des algorithmes. Des algorithmes qui filtrent les contenus que les utilisateurs veulent mettre en ligne et bloquent ceux susceptibles de contrevenir à la législation.
Selon Maxime Lambrecht, professeur invité à l’UCLouvain, c’est là que le bât blesse. « En confiant ce rôle de gendarme aux plateformes – qui, pour rappel, sont des entreprises privées –, on leur donne trop de pouvoir. Cela pose problème à plusieurs niveaux. En premier lieu celui de rendre des comptes à la société. Il y a actuellement une grande opacité autour des algorithmes de filtrage. Comment sont-ils conçus ? Sur base de quels critères ? Comment fonctionnent-ils ? Nous n’en savons rien. »
Censure et autocensure
Ce que l’on sait, par contre, c’est que le filtrage algorithmique censé préserver les droits d’auteur opère en amont de la mise en ligne. Si une plateforme bloque un contenu, c’est simple, il n’est pas publié. « Cette censure préalable est très problématique », commente Maxime Lambrecht. « Certes, l’utilisateur dispose de recours. Mais, dans les faits, il les utilise peu. De plus, le censeur a un pouvoir d’inertie. C’est-à-dire qu’il peut décider de ne pas donner suite à ce recours ou alors dans les délais qu’il détermine lui-même… » qui entraine un autre effet pervers : les utilisateurs bien informés sur les limites de la plateforme ont tendance à s’autocensurer. Pour le meilleur ou pour le pire.
Les algorithmes n’ont pas d’humour
Aujourd’hui, presque plus personne ne conteste le droit des créateurs à contrôler la commercialisation, la diffusion ou la (ré)utilisation de leurs œuvres. Mais même en dehors d’internet, les différentes législations prévoient des exceptions au droit d’auteur. Le droit à la parodie et à la satire, par exemple. « Internet regorge de contenus transformatifs », rappelle le juriste. « Il s’agit de contenus qui détournent ou transforment des contenus existants dans un but humoristique ou artistique. C’est le cas des remix, du mashup, des gifs animés, etc. Moi-même, sur ma chaine YouTube, j’utilise fréquemment des références à la culture populaire. Malheureusement, les algorithmes n’ont pas d’humour ! Ils ne différencient pas utilisation frauduleuse (un plagiat, par exemple) et utilisation parodique. Bloquer la seconde est une autre entorse à la liberté d’expression. »
Certes, la liberté d’expression totale est à l’origine de nombreuses dérives sur internet. Pour Maxime Lambrecht, ces défis doivent être relevés, mais pas au détriment des principes démocratiques les plus élémentaires. « Internet conserve un formidable potentiel émancipateur. C’est un outil qui augmente la liberté réelle des individus. Liberté de s’exprimer, de s’informer, de se cultiver, d’entreprendre… Ces libertés méritent d’être protégées. »
La liberté d’expression, valeur par défaut ?
La directive européenne sur le droit d’auteur doit encore être implémentée dans les législations nationales. Maxime Lambrecht y voit une opportunité d’interpréter judicieusement les articles de la directive et d’y mettre les garde-fous nécessaires. « Je prône le “free speech by design”. Autrement dit, la liberté d’expression par défaut. Les plateformes doivent démontrer qu’elles respectent la liberté d’expression. Leurs algorithmes doivent être conçus de façon à identifier et tenir compte des exceptions aux droits d’auteur. Objectif : empêcher que des contenus légitimes ne soient supprimés par facilité ou excès de zèle. Enfin, les plateformes doivent pouvoir expliquer leurs décisions algorithmiques. » Un challenge : à l’heure où les ordinateurs apprennent par eux-mêmes grâce à l’intelligence artificielle, les concepteurs ont de plus en plus de mal à comprendre l’évolution de leurs propres algorithmes…
Candice Leblanc
Notes (1) En Belgique, le droit d’auteur court jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur. Au-delà, ses œuvres entrent dans le domaine public.
Coup d’œil sur la bio de Maxime Lambrecht
Maxime Lambrecht est professeur invité à l’UCLouvain depuis 2014, chercheur associé à la chaire Hoover, et collaborateur scientifique FNRS au JurisLab de l’ULB. Il est aussi enseignant conférencier à l’École de Recherche graphique. Il est titulaire d’un diplôme de licencié en droit et d’un certificat universitaire en éthique économique et sociale, obtenus en 2008 à l’UCLouvain, et d’un diplôme de bachelier en philosophie obtenu aux Facultés universitaires Saint-Louis en 2009. Il est docteur en sciences juridiques de l’UCLouvain depuis 2015. Il est spécialisé en éthique et droit d’internet, en théories de la justice et en propriété intellectuelle. |