Des chercheurs en psychologie de l’UCLouvain ont démontré que les techniques de nudging peuvent influencer positivement les comportements alimentaires. Y compris quand il s’agit d’augmenter la consommation d’un légume « oublié ».
Bien manger est la clé d’une bonne santé. Pourtant, nombreux sont ceux et celles qui peinent à appliquer les principes d’une alimentation saine, variée et équilibrée. Or, il est possible d’amener les gens à privilégier des aliments sains. Non pas en cherchant à les convaincre ou en leur interdisant certains types de nourriture. Mais en faisant en sorte que, parmi plusieurs options, ils choisissent d’eux-mêmes ce qui est bon pour leur santé.
Qu’est-ce que le nudging ?
Le concept de nudging(1) a été développé par Richard Thaler, prix Nobel d’économie 2017, et Cass Sunstein. Il s’agit d’un ensemble de techniques qui visent à influencer les comportements en modifiant l’environnement. « Dans le nudging, le choix est plutôt inconscient, car la personne est influencée sans qu’elle s’en rende compte », explique Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain. « C’est comme le placement de produit dans le secteur agroalimentaire. Cette technique de marketing consiste à placer ledit produit dans l’environnement immédiat du consommateur, à portée de main. C’est le cas, par exemple, des sucreries disposées près des caisses de supermarché, juste à hauteur des enfants… »
Du nudging pour une alimentation (plus) saine
Ces mêmes techniques peuvent-elles être utilisées dans le but d’encourager la consommation de fruits et légumes ? « Étrangement, dans ce contexte, le nudging est peu utilisé et très peu étudié », répond Valérie Broers, docteure en psychologie, qui a consacré sa thèse à ce sujet(2). « En passant en revue la littérature sur le sujet, je n’ai recensé qu’une vingtaine d’articles sur le nudging des fruits et légumes. Nous avons donc mené des expériences de nudging à l’UCLouvain. Il en ressort qu’il est tout à fait possible d’induire des changements significatifs dans les choix alimentaires. Y compris pour un légume aussi peu familier que les salsifis ! »
La notion de familiarité joue un rôle prépondérant dans nos choix (alimentaires). Plus un aliment est connu, plus on en consomme. Or, le salsifis fait partie des légumes « oubliés ». Pour le remettre au goût du jour, Valérie Broers a tenté une expérience au sein même des restaurants universitaires de l’UCLouvain…
« Nudger » les salsifis
Au menu de ces restaurants figuraient six soupes de légumes différentes. Avant l’expérience, celle aux salsifis n’était choisie que par 11 % des consommateurs de soupes. Pendant une semaine, Valérie Broers a alors proposé la soupe au salsifis en dégustation. Cette méthode de nudging a considérablement augmenté la demande ! En effet, cette semaine-là, 43 % des consommateurs de soupe ont commandé celle aux salsifis. Et la semaine suivante, alors que l’intervention était terminée, ils étaient encore 19 % à faire ce choix. « C’est presque le double du score de départ ! », commente le Pr Luminet. « Ce qui suggère que, non seulement le nudging est efficace pour augmenter la consommation d’un aliment sain, mais que ce choix peut aussi perdurer dans le temps. »(3)
Le salsifis, champion des légumes prébiotiques
Le salsifis n’a pas été choisi par hasard. Ce légume racine est considéré comme un prébiotique(4). En effet, il est très riche en inuline (17 g/100 g de salsifis), un type de fibres alimentaires dont raffolent certains probiotiques. Raison pour laquelle le salsifis intéresse beaucoup les chercheurs du Louvain4Nutrition et particulièrement les équipes impliquées dans Food4Gut(5). Et pour cause : consommée en quantité suffisante - environ 12 g par jour, soit l’équivalent de 70 g de salsifis -, l’inuline peut modifier le microbiote intestinal en favorisant la prolifération de probiotiques. Or, certains de ces probiotiques, comme l’Akkermansia, ont un effet protecteur avéré contre l’obésité et les troubles métaboliques associés (diabète, hypertension artérielle, etc.).
Cerise sur le gâteau, le salsifis est cultivé et facilement cultivable en Belgique. Il pourrait donc s’inscrire dans une production agricole locale, en circuit court. Bref, le salsifis gagne à être connu… et davantage consommé.
Candice Leblanc
(1) Ce terme vient de l’anglais « to nudge » qui peut être traduit par « donner un coup de pouce ». (2) Valérie Broers, « A taste for the unfamiliar: Investigating the individual and environmental determinants of prebiotic vegetable consumption ». Thèse soutenue publiquement en 2019 à l’UCLouvain. (3) Voir les résultats complets dans V. Broers et al., « Investigating the conditions for the effectiveness of nudging: Cue-to-action nudging increases familiar vegetable choice » in Food Quality and Preferences, vol. 71, janvier 2019 (4) Les artichauts, les topinambours et, dans une moindre mesure, les oignons sont riches en inuline. (5) Food4Gut est un programme de recherche multidisciplinaire et interuniversitaire. Son objectif : prouver que la consommation de nutriments prébiotiques peut contribuer à lutter contre l’obésité et les troubles métaboliques associés (diabète, hypertension artérielle, etc.).
Coup d’œil sur la bio d'Olivier Luminet
Olivier Luminet est professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain et directeur de recherche FNRS à l’Institut de recherches en sciences psychologiques (IPSY) depuis 2014. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie, obtenu en 1998 à l’UCLouvain. Un de ses principaux domaines de recherche porte sur les liens entre les émotions et la santé. |
Coup d’œil sur la bio de Valérie Broers
Valérie Broers est chercheuse en psychologie. Elle est titulaire d’un Master en psychologie sociale et de la santé, obtenu en 2014 à l’Université d’Utrecht (Pays-Bas) où elle a été assistante de recherche de 2013 à 2014. Elle a obtenu le grade de docteure en psychologie à l’UCLouvain en 2019. Sa thèse sur le nudging a été financée par Food4Gut, programme d’excellence de la Région wallonne. |