Empêcher l’hypertrophie cardiaque

Des chercheurs de l’UCL ont découvert un nouveau mécanisme à l’œuvre dans l’hypertrophie cardiaque. Ce qui pourrait ouvrir la voie à un traitement plus ciblé de ce phénomène aux conséquences néfastes pour la santé.

Le moins que l’on puisse dire du cœur, c’est qu’il ne chôme pas ! Il bat en moyenne 100 000 fois par jour. À chaque battement, il éjecte l’équivalent en sang d’une tasse d’expresso. Et quand il doit faire davantage d’effort pour expulser ce sang, à cause de l’une ou l’autre pathologie, notre muscle cardiaque se développe, comme n’importe quel muscle. « L’hypertrophie cardiaque est une augmentation anormale de la taille du cœur », explique le Pr Luc Bertrand, chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCL. « Ce phénomène est la conséquence d’une maladie cardiovasculaire ou, plutôt, une adaptation du cœur aux conséquences de cette maladie. » 

Causes et conséquences de l’hypertrophie cardiaque

Principales causes de ce phénomène adaptatif : l’hypertension artérielle et les valvulopathies. Bien que nous ne disposions pas de chiffres précis, plusieurs milliers de Belges sont directement concernés. En effet, près d’un quart de la population souffre ou souffrira d’hypertension. Un hypertendu sur deux s’ignore et seule la moitié des patients diagnostiqués sont traités. Parmi ces derniers, 10 à 20 % ne répondent pas à leur traitement. Autant de personnes qui peuvent donc développer une hypertrophie cardiaque. Les conséquences sont loin d’être anodines. « Le cœur hypertrophié s’affaiblit et le patient finit par souffrir d’insuffisance cardiaque », explique le Pr Bertrand. « Non seulement les symptômes (essoufflements, fatigue importante, etc.) altèrent fortement la qualité de vie, mais, à terme, l’insuffisance cardiaque menace la vie même puisque le cœur peut tout bonnement s’arrêter ! » Contrer l’hypertrophie cardiaque est donc un enjeu vital. 

Quand les cellules du cœur grandissent

Contrairement à d’autres cellules du corps, celles du cœur, les cardiomyocytes, ne se multiplient pas. Par contre, elles peuvent augmenter de volume. Comment ? « Pour que le cœur continue à fonctionner le plus normalement possible, notre corps sécrète certaines hormones », explique le Pr Bertrand. « Ces hormones vont se fixer sur des récepteurs présents à la surface des cardiomyocytes et, via plusieurs signaux, leur transmettent grosso modo le même message : “Grossissez !” Les cardiomyocytes obéissent à cet ordre de plusieurs façons. Les 2 voies principales sont une augmentation de la synthèse des protéines et l’expression de gènes spécifiques. Notre équipe a récemment découvert une 3e voie : l’O-GlcNAcylation (O-G). Ce terme un peu barbare désigne un processus par lequel une molécule dérivée du sucre (glucose) vient se rajouter aux protéines. Ce qui modifie le fonctionnement desdites protéines qui font alors grossir les cardiomyocytes. » Les chercheurs ont d’abord découvert que l’hypertrophie cardiaque va de pair avec une hausse de l’O-G. Et vice-versa : si on diminue l’O-G, le développement hypertrophique s’interrompt.  

                                                                 

 

Des alternatives au « général AMPK » ?

Parallèlement, l’équipe du Pr Bertrand a démontré que l’activation pharmacologique d’une protéine, l’AMPK, pouvait inhiber l’O-G. « L’AMPK est connue depuis une trentaine d’années et est notamment utilisée comme cible dans le traitement du diabète. Cette protéine s’exprime dans toutes nos cellules. Sa mission : les protéger en cas de menace. Les expériences que nous avons menées ont révélé que l’activation pharmacologique de l’AMPK inhibe l’O-G… ce qui bloque l’hypertrophie cardiaque. » (1).   
L’AMPK serait donc la cible d’un nouveau traitement de l’hypertrophie ? Pas si vite ! L’AMPK est comme un général chargé de défendre le fort (la cellule) en interrompant certaines activités et/ou en enclenchant des mécanismes de défense divers. « L’AMPK régule plusieurs dizaines de voies moléculaires et cellulaires différentes », poursuit le Pr Bertrand. « De plus, une fois stimulée, elle s’active dans toutes les cellules du corps, pas seulement dans celles du cœur. Raisons pour lesquelles nous ne pourrions sans doute pas l’utiliser pour traiter l’hypertrophie cardiaque : l’AMPK a une action trop globale ! Elle risquerait de provoquer des effets secondaires dans d’autres tissus et organes du corps en perturbant le fonctionnement normal d’un trop grand nombre de cellules différentes. »  

                                                  

Vers de nouveaux traitements ciblés ?

Cela dit, maintenant que le lien entre AMPK, O-G et hypertrophie cardiaque est établi, les scientifiques peuvent approfondir et affiner leurs recherches. « Il existe peut-être d’autres molécules qui, comme les activateurs de l’AMPK, peuvent inhiber l’O-G, mais de façon plus ciblée, circonscrite aux cardiomyocytes. Nous devons également identifier précisément la ou les protéines “O-GlcNAcylée(s)” qui, dans ces cellules cardiaques, font que celles-ci s’hypertrophient. Nous avons d’ores et déjà plusieurs pistes et avons obtenu un financement du FNRS en ce sens. » Affaire à suivre, donc !   

 

Candice Leblanc

 

(1) R. Gélinas et al., « AMPK activation counteracts cardiac hypertrophy by reducing O-GlcNAcylation » in Nature Communications, janvier 2018 : https://www.nature.com/articles/s41467-017-02795-4

 

Coup d'oeil sur la bio de Luc Bertrand

1991               Master en zoologie à l’Université de Namur
1997               Doctorat en sciences biologiques à l’Université de Namur
1997-2000      Postdoctorat FNRS à l’Institut De Duve (UCL)
1998               Postdoctorat à l’Université de Dundee (Écosse)
2000-03          Postdoctorat UCL à l’Institut De Duve 
2003-15          Chercheur Qualifié du FNRS
2003-11          Chargé de cours à l’UCL
Depuis 2003   Chef d’équipe au Pôle de recherche cardiovasculaire de l’IREC (UCL)
2007                Lauréat du Prix Camille et Germaine Damman de la Fondation de recherche cardiologique
Depuis 2009    Professeur invité à l’Université de Namur
Depuis 2011    Professeur de biochimie à l’UCL
Depuis 2015    Maître de recherche du FNRS

Les recherches du Pr Bertrand ont été principalement financées par le FRNS, l’UCL et les Cliniques universitaires Saint-Luc. 
 

Publié le 27 février 2018