En mission pour l’ESA: former aux données satellites

Cette semaine, du 16 au 20 septembre à Louvain-la-Neuve, près d’une centaine de chercheurs soigneusement sélectionnés participent à l’ « Advanced Training in Land Remote Sensing», une formation à l’exploitation des données satellitaires acquises par la télédétection. Missionné par l’European Space Agency (ESA), le professeur Pierre Defourny, professeur à la Faculté des Bioingénieurs et responsable du Laboratoire d’environnemétrie et géomatique de l’Earth and Life Institute, est à la manoeuvre.

Flashback : en 2014, l’European Space Agency (ESA) lance une flotte de nouveaux satellites européens dans le cadre du programme Copernicus. Précédemment nommé Global monitoring for environment and security (GMES), ce programme, qui remonte originellement aux années 1990, est une initiative de l'Union européenne (UE) appuyée par l’ESA et l'Agence européenne pour l'environnement (AEE). Il vise à doter l'Europe d'une capacité opérationnelle et autonome d'observation de la Terre en tant que service d’intérêt général européen – soit pour tous un accès libre, plein et entier aux données récoltées. En d'autres termes, Copernicus doit permettre de rassembler l'ensemble des données obtenues à partir de satellites environnementaux et d'instruments de mesure au sol, pour produire une vue globale et complète de l'état de notre planète, publiquement.

Des satellites missionnés pour observer la Terre

Plus précisément, ce sont les satellites Sentinel-1A, sur Soyouz, et Sentinel-2A et Sentinel-3A, sur Rockot, qui sont partis cette année-là. Depuis cinq ans, ils ont récolté un volume inédit de données qui font aujourd’hui de l’Europe le leader mondial de l’observation de la Terre à des fins civiles.

Le Laboratoire d’environnemétrie et géomatique de l’UCLouvain mène depuis 2014 des projets de recherche pour le compte de l’ESA pour exploiter les données de la flotte de nouveaux satellites européens lancés dans le cadre du programme. Composé d’une vingtaine de chercheurs travaillant dans le domaine, un axe important relève du suivi par satellite de la production agricole. A leur tête, Pierre Defourny, professeur à l’Earth and Life Institute, responsable du laboratoire de géomatique, membre de la faculté des bioingénieurs et du Louvain4Space. « Notre laboratoire a été pionnier en matière de recherche sur les données des satellites Sentinel, explique le professeur. Leaders d’un consortium international Sen2Agri, nous avons développé un système de traitement des images satellites en open source, totalement libre d’accès, permettant l’exploitation des images en temps réel de manière quasi automatique à l’échelle de pays. »

« Au vu de ce que Sentinel-2A permettait de faire, la Direction générale de l’agriculture de la Commission européenne a souhaité qu’une étude soit menée dans le cadre de la future réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), ajoute-t-il. Notre laboratoire a été chargé de coordonner le consortium international Sen4CAP pour développer des méthodes exploitant au mieux les données Sentinel. Ces méthodes que nous continuons à développer sont mises en démonstration en temps réel dans huit pays européens – Italie, Roumanie, Lituanie, Pays-Bas, France, Espagne, Slovénie, Luxembourg. »

Une double casquette pertinente : géomatique et bioingéniérie

Pas étonnant, dès lors, que ce soit le professeur Defourny que l’Agence européenne a missionné pour organiser ce stage de formation intensive à l’exploitation des données satellitaires du 16 au 20 septembre à l’UCLouvain. Des doctorants, des post-doctorants, des spécialistes et experts des agences internationales ont répondu à l’appel à candidature de l’ESA. Chacun devant soumettre un dossier avec une affiche présentant leurs travaux. Une session de présentation de ces affiches sera d’ailleurs organisée le 17 septembre à l’UCLouvain, à l’auditoire SUD 01 Croix du sud, pour que étudiants et visiteurs puissent faire connaissance avec ces participants venus de 34 pays différents.

Parmi eux, des experts de la Food and Agriculture Organization (FAO), du World Food Programme, de l’International Maize and Wheat Improvement Center basé à Mexico, du Mahalanobis National Crop Forecast Centre à New Delhi et de CABI à Oxford en charge des questions phytosanitaires, tous intéressés par le caractère opérationnel de ces nouvelles méthodes de big data venus de l’espace. Des chercheurs américains, indiens, marocains et chinois spécialistes du suivi de la production agricole ou de la qualité de l’environnement dans leur pays côtoieront des spécialistes issus de centre régionaux tels que l’Observatoire du Sahara et du Sahel basé à Tunis, l’ICIMOD à Kathmandou, l’IGAD à Nairobi.

« Parmi tous ces profils internationaux, 92 ont été retenus pour participer à la formation, sur les plus de 200 candidatures que nous avons reçues », explique le professeur Defourny. Leur moteur ? « Être initié aux nouvelles méthodes d’interprétation des rayonnements électromagnétiques mesurés par ces satellites, ajoute-t-il. Tous ont pour objectif de pouvoir mieux exploiter des données qui sont aujourd’hui disponibles gratuitement en ligne… mais qui sont très complexes à analyser. »

Un training au rythme intense

Pendant plus de quatre jours, huit heures de formation, de 8h30 à 17h30. « La matinée sera consacrée à du théorique et l’après-midi à la pratique en salle info, poursuit le professeur Defourny. S’il fait suffisamment beau, nous irons prendre des mesures dans un champ voisin avec un drone et observer ce que nous dit le satellite afférent par rapport à ce champ. » Le principe est celui de la mise en pratique des notions théoriques dans les cas concrets de l’après-midi. « Nous invitons également des professeurs hollandais, italiens et français, à la pointe dans leur domaine, à se joindre à nous parmi l’équipe des formateurs coordonnée par Sophie Bontemps et moi-même », précise le responsable. Une visite à la start-up néo-louvaniste Aerospacelab complétera également le programme.

Une journée sera consacrée au pré-traitement des données qui permettent de s’affranchir des perturbations atmosphériques et de calibrer le signal enregistré en grandeur physique. De quoi permettre de comparer ensuite les données d’un satellite à l’autre, mais aussi de travailler dans le temps malgré la variabilité de la lumière incidente. Une autre session sera consacrée à comment inverser le signal satellitaire pour estimer des variables biophysiques : « Le signal enregistré en orbite nous apprend quelque chose du rayonnement et donc du fonctionnement des plantes, explique le professeur Defourny. A partir de ces données, nous pourrons traduire ce rayonnement en grandeurs qui décrivent la plante : quantité de matière verte, contenu en eau, surface foliaire, la teneur en azote,… Des variables biophysiques que l’on peut mesurer sur le terrain, désormais ici observables à l’échelle de la Terre.

Marie Dumas

 

Entretien

Comment ces experts utiliseront-ils ces données ?

Ces futurs experts de l’utilisation des données Sentinel pourront ensuite appliquer ces données dans un large scope de recherches et utilisations : estimer la production agricole à l’échelle d’un pays au fil de la saison, qualifier la qualité de la fertilisation en azote, détecter le stress hydrique… Des possibilités que l’on évoque depuis quarante ans mais que nous pouvons désormais réaliser de manière scientifique, en temps réel, à l’échelle d’un pays complet.

S’approche-t-on de la ferme « 2.0 » ?

Mais la ferme 2.0, ce n’est pas le futur… C’est le présent ! Nous faisons déjà beaucoup de choses technologiquement parlant dans nos exploitations agricoles. Lors de la dernière foire agricole de Libramont, un stand a remporté un beau succès : celui du projet BelCAM (Belgian Collaborative Agriculture Monitoring), une plateforme où tous les agriculteurs belges peuvent consulter la « radiographie par satellite » de leur champ. L’accueil du monde agricole fut extrêmement positif : le projet, que nous avons coordonné pendant plus de quatre ans, nous a amené à dialoguer avec les agriculteurs. Cette collaboration nous permet de répondre directement aux questions et à la demande, raccourcissant le lien entre la recherche et son application. C’est ce qui motive le plus les chercheurs : travailler sur des cas concrets, être dans le réel.

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Autre liens:

Sen4CAP

 

 

 

Coup d'oeil sur la bio de Pierre Defourny

 

Pierre Defourny est Professeur ordinaire à l’UCLouvain depuis 1993, fondateur du Earth and Life Institute (ELI) qu’il a présidé de 2010 à 2015, responsable du Laboratoire d’Environnemétrie et Géomatique (UCLouvain/ELI-Geomatics) qui se concentre sur le suivi de la surface terrestre par télédétection, de l'échelle locale à mondiale, et la modélisation de l'utilisation des terres à l'aide de systèmes d'information géographique pour soutenir l'agriculture, la foresterie et l'aménagement du territoire. Entre 1991 et 1993, il a mené ses premières recherches à l’Asian Institute of Technology (UNEP-GRID) en Thaïlande. Entre 2004 et 2005 il est chercheur visiteur au NASA Goddard Space Flighet Center aux Etats-Unis. En 2016, c’est à Mexico au Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CGIAR-CIMMYT) qu’il mène des recherches
Il est le responsable scientifique des projets BELCAM, Sen2-Agri et de la composante « surface terrestre » de l'initiative sur les changements climatiques lancée en 2010 par l'Agence spatiale européenne pour améliorer les simulations fournies par les modèles climatiques mondiaux. Ses travaux de recherche conduisent à développer des méthodes opérationnelles pour extraire des informations statistiques de séries temporelles mondiales visant notamment la surveillance des cultures et des changements d’occupation du sol dans un contexte de changement climatique.

 

Publié le 17 septembre 2019