
Quel est le lien entre des asperges blanches, des fruits rouges, des plastiques et des camions ? L’analyse de l’impact de la crise Covid-19 sur la récolte de ces cultures grâce aux images satellites ! Des recherches et résultats de l’équipe de Pierre Defourny, spécialiste de l’observation de la Terre par satellite, qui démontrent la fragilité de nos filières agricoles.
Alors que le coronavirus est sous le microscope de microbiologistes, notre planète, elle, est sous la loupe des spécialistes de l’observation de la Terre par satellite. Quel rapport direz-vous ? La crise de Covid-19 pardi ! Parce que les images satellites révèlent, d’un autre angle, bon nombre des conséquences économiques, sociales et environnementales de cette crise sanitaire à l’échelle du globe. C’est pourquoi la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne ont lancé leur tableau de bord « Rapid Action on Covid-19 and Earth Observation » (RACE) auquel l’équipe du Professeur Pierre Defourny (ELI/AGRO) contribue. En effet, grâce à son programme Copernicus, l’Europe est devenu le leader mondial en observation de la Terre et dans le contexte actuel lié à la crise Covid-19, il était évident pour ces instances de quantifier en temps réel l’impact de celle-ci.
Les objectifs du tableau de bord RACE sont clairs : donner des informations sur l’état de la société et de l’économie de l’Europe avec un focus sur l’évolution de la qualité de l’air et de l’eau, les indicateurs économiques (industrie, trafic maritime, commerce, construction, trafic routier) et sur l’agriculture. C’est précisément pour ce dernier point que l’équipe de Pierre Defourny a été sollicitée. Forte de son expertise dans le domaine de l’observation de la Terre par satellite et du développement d’outils open source visant à aider le secteur agricole (BELCAM, Sen4CAP et Sen2Agri), elle n’a pas hésité à relever le défi . « La moitié de notre laboratoire s’est investie dans ce projet car les chercheurs souhaitaient mobiliser leurs compétences face à la crise de Covid-19 », explique Pierre Defourny. « Nous avons ainsi pu mettre au point des solutions qui permettent de fournir en continu des indicateurs dérivés des données récoltées par les satellites et de voir l’impact du confinement ».
Exemple ? L’asperge blanche en Allemagne
Appelée « or blanc », l’asperge blanche est largement consommée en Allemagne au printemps et notamment lors des repas traditionnels de la fête de Pâques. « Pour répondre à cette demande et assurer la récolte, les agriculteurs ont besoin de l’aide de 80.000 travailleurs saisonniers venant de Bulgarie et Roumanie entre mars et juin. Des travailleurs qui n’ont pas pu se rendre en Allemagne en raison du confinement », poursuit Pierre Defourny. « Grâce au passage très fréquent des satellites Sentinels, nous avons suivi la production des asperges blanches toujours couvertes de plastique noir ou blanc tout en la comparant continuellement à la situation de 2019 pour identifier les surfaces non récoltées. Par ailleurs, détecter le retournement des plastiques qui changent ainsi de couleur pour gérer la température de la culture, c’est la preuve qu’il y a eu une activité. Nous avions donc un indicateur de surface de production et un indicateur d’activité ». Les scientifiques ont ainsi pu mettre en évidence une réduction de la productivité de 22 à 30% pour les asperges blanches dans l’état de Brandenburg !
Des fruits rouges et des camions
Pour les fraises, frambroises et autres fruits rouges de la province de Huelva en Espagne, les scientifiques ont procédé autrement : ils ont analysé, via d’autres images satellites, l’activité des camions entre les serres où poussent ces fruits. Dès le mois de mars, ces chercheurs en géomatique ont pu observer une baisse de 26,5% de l’activité des camions pour la récolte dans les serres de fruits rouges par rapport à 2019.
La province de Huelva produit 97,5% des fruits rouges pour l’Espagne et est leader mondial dans l’exportation de fraises. Elle a souffert cruellement d’un manque de 25.000 travailleurs saisonniers venant habituellement principalement du Maroc et d’une grande baisse de la demande (de 40 à 60%) de ces produits périssables durant la période de confinement.
« Outre la chute de production même, il est surtout intéressant de mettre en évidence certaines de nos filières agricoles qui reposent très largement sur ces travailleurs « invisibles », migrants saisonniers non reconnus par notre société, alors qu’ils sont les chevilles ouvrières de la qualité de notre alimentation. C’est une manière de montrer la fragilité de notre système alimentaire tant que la place des producteurs n’est pas vraiment reconnue et respectée », conclut Pierre Defourny.
Une démarche et des résultats salués
En parallèle de ces deux études quelques peu atypiques pour cette équipe de recherche, les scientifiques ont également lancé une analyse de données pour l’Espagne concernant la récolte des céréales. « Les statistiques officielles prennent en général 6 à 8 mois pour sortir, ce qui est fort tard pour réagir lorsque les chiffres sont mauvais. Ici l’outil développé permet de suivre les récoltes en continu et de calculer au fur et à mesure les surfaces récoltées ».
Les initiatives entreprises et résultats obtenus par l’équipe de Pierre Defourny ont été présentés et hautement salués lors de la conférence de presse de la Commission européenne sur RACE le vendredi 5 juin dernier ainsi que lors du congrès mondial virtuel du Group on Earth Observations, une organisation mondiale qui fait la promotion des données géospatiales, ce mardi 16 juin.
« En tant que spécialiste de l'observation de la terre par satellite, nous n'avons pas bien sûr la prétention de mener des analyses complexes de l'impact du covid-19 mais plutôt de réagir en situation de crise en mettant à jour chaque semaine des indicateurs que nous avons conçus pour documenter une situation inédite et mettre en évidence le rôle essentiel des travailleurs "invisibles" ». Une situation inédite qui a permis à la communauté scientifique de rejoindre la demande d’informations directement exploitables par les décideurs politiques et de faire ainsi en sorte que les données satellites apportent de la transparence sur notre vivre ensemble.
Audrey Binet
Visionner la conférence de presse de la Commission européenne sur RACE du 5 juin dernier :