Le Staphylocoque doré hiberne !

Pourquoi les Staphylocoques dorés ne répondent-ils pas aux antibiotiques ? Pourquoi, à l’arrêt des traitements, des rechutes d’infection sont-elles fréquentes ? Pour échapper aux antibiotiques et aux défenses de l’organisme, ces bactéries entrent en hibernation au sein de nos propres cellules en attendant que l’orage passe! C’est ce que des chercheurs du Louvain Drug Research Institute (LDRI) à l’UCLouvain sont parvenus à démontrer.

Une bactérie initialement sans danger

Le Staphylocoque doré est une bactérie qui se trouve de façon naturelle chez à peu près 30% des individus, appelés dès lors “porteurs sains”. Cela signifie que vous êtes porteur de la bactérie, mais vous n’avez aucune maladie. Elle se loge généralement sur la peau ou dans le nez, et produit un pigment doré sur son passage, d’où son joli nom. “Ce pigment doré est un facteur de virulence car il permet à la bactérie de résister à certains moyens de défense de notre organisme”, précise le Pr Van Bambeke. Cette substance contribue donc au caractère pathogène de la bactérie, en lui permettant d’occuper une niche chez l’hôte (colonisation), d’échapper au système immunitaire de l’hôte (immunoévasion), ou de survivre dans les cellules de l’hôte dans le cas d’infections intracellulaires.

Quand elle devient dangereuse

Dans certaines circonstances, cette bactérie initialement inoffensive, peut devenir pathogène. Elle peut par exemple produire certaines toxines qui vont provoquer des réactions dangereuses chez l’individu. Ou bien elle peut gagner la circulation sanguine via des lésions au niveau de la peau, et atteindre certains organes, causant des pathologies graves comme des endocardites, des infections des os ou des reins. “Cette bactérie devient surtout dangereuse chez les patients hospitalisés car leurs défenses immunitaires sont fragiles”, explique le Pr Van Bambeke, “Le Staphylocoque doré est responsable de 15% des infections contractées à l’hôpital. Sur 1000 patients admis à l’hôpital, 1% va développer une infection à Staphylocoque, ce qui est non-négligeable.” Cette prévalence vient s’ajouter au fait que l’OMS considère les Staphylocoques dorés comme prioritaires pour la recherche car leur grande résistance aux antibiotiques requiert de nouvelles voies thérapeutiques. L’équipe du Louvain Drug Research Institute s’est donc emparée du sujet depuis plusieurs années.

Quel mode de vie pour le Staphylocoque doré ?

Pour répondre aux multiples questions sur la réponse (ou plutôt l’absence de réponse !), de ces bactéries aux antibiotiques, Frédéric Peyrusson, avec l’aide de Tiep Khac Nguyen, tous deux doctorants de l’équipe du Pr Françoise Van Bambeke, ont observé le comportement du Staphylocoque doré, en particulier dans le contexte des infections chroniques récurrentes. Celles-ci peuvent passer inaperçues : les infections ont l’air de disparaître grâce aux antibiotiques, puis ressurgissent. Comment est-ce possible ? Grâce à la capacité de cette bactérie à s’enfuir profondément dans certains tissus et à y adopter des modes de vie particuliers. “C’est le mode de vie intracellulaire qui nous a intéressés dans l’article que nous venons de publier dans la revue Nature Communications.” La bactérie pénètre à l’intérieur de nos propres cellules et y subsiste. Elle devient donc moins accessible aux défenses de notre organisme et aux antibiotiques.

Des bactéries qui hibernent

Le Pr Françoise Van Bambeke s’est toujours posé la question : “Pourquoi les formes persistantes d’infections ne répondent-elles pas aux antibiotiques ?” Avec cette forme intracellulaire de Staphylocoque doré, une voie d’étude passionnante s’ouvre à elle et à son équipe. “Nous avions déjà observé que si on utilisait des concentrations très élevées d’antibiotiques pendant des durées prolongées, on n’arrivait jamais à supprimer complètement les bactéries intracellulaires. Restait à savoir pourquoi et comment…”, ajoute le Pr Van Bambeke. Durant 3 ans, Frédéric Peyrusson a donc cherché à comprendre le comportement de ces bactéries intracellulaires sous la pression d’un antibiotique. Il a observé que ces bactéries devenaient incapables de se multiplier, alors que la multiplication est le propre des bactéries. Le foyer qui persistait dans les cellules ne se divisait absolument plus. “Les bactéries entrent en quelque sorte en hibernation, comme un ours. Alors que l’ours réduit ses activités métaboliques à celles nécessaires à sa survie lors de l’hibernation, les bactéries font de même. Elles ralentissent toute une série d’activités métaboliques, ce qui réduit, voire empêche leur croissance. Elles ne gardent que celles essentielles à leur survie, y compris celles qui leur permettre de répondre au stress imposé par l’antibiotique. Or, pour qu’un antibiotique fonctionne bien, il faut que les bactéries se multiplient activement. La modification du métabolisme de ces bactéries et leur non-multiplication les rendent insensibles aux antibiotiques. Cela explique qu’on ne parvient jamais complètement à éradiquer ces foyers intracellulaires”, détaille la pharmacienne.

Suivre les bactéries à la trace

Cette fabuleuse démonstration mène à deux conclusions plutôt inquiétantes. Tout d’abord, suite à l'utilisation d'un antibiotique en particulier, le foyer intracellulaire, aussi petit soit-il, ne répond à aucun autre antibiotique, même d’une autre classe. Car la réponse au stress (à l’antibiotique) qu’il a développée est générale. Ensuite, si on enlève l’antibiotique, les bactéries retournent à leur état initial. Elles reprennent leur métabolisme de base et recommencent à se multiplier, pour recréer potentiellement un nouveau foyer d’infection. Pour arriver à cette conclusion, Frédéric Peyrusson a mis au point un système de traçage individuel de bactérie par fluorescence, afin de voir si elle se multiplie. Si la bactérie se multiplie, le marqueur fluorescent se dilue. Si la bactérie ne se multiplie pas, le marqueur reste concentré. En parallèle, le doctorant a collecté les bactéries intracellulaires qui survivent aux antibiotiques, et a regardé en quoi l’expression de leurs gènes était différente par rapport à des bactéries normales. De cette façon, il a pu mettre en lumière les voies métaboliques qui allaient s’éteindre, et celles qui allaient s’activer.

Quelles alternatives aux antibiotiques ?

Maintenant que nous avons compris pourquoi les foyers d’infection persistent dans notre organisme et pourquoi, parfois, une infection peut ressurgir malgré l’arrêt du traitement, une question persiste : quelles sont les alternatives de traitement des infections à Staphylocoque doré ? “La difficulté”, répond le Pr Françoise Van Bambeke, “c’est que la forme de bactérie que nous étudions est intracellulaire. Elle répond donc peu aux moyens de défense comme les anticorps. Si on voulait utiliser cette option thérapeutique, il faudrait donc associer l’anticorps à un vecteur qui puisse rentrer dans nos cellules.” La bonne nouvelle, c’est que l’équipe du Pr Van Bambeke a montré vers quelles voies alternatives, le Staphylocoque oriente son métabolisme. “Ce n’est pas pour demain, mais une alternative thérapeutique consisterait à viser spécifiquement ces voies-là pour empêcher ces bactéries de rentrer dans cet état dormant”, complète la Directrice de recherche au FNRS. Un des espoirs est que le traitement de demain pourra combiner antibiotique classique et substance permettant de prévenir cet état de persistance. Grâce au travail des chercheurs du Louvain Drug Research Institute, ce travail peut se faire plus rationnellement, en cherchant les molécules qui agissent spécifiquement sur ces voies métaboliques associées à la dormance. Et la recherche n’est pas prête de s’arrêter : “Nous pensons que cette découverte peut se généraliser à d’autres bactéries”, termine le Pr Van Bambeke.

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Françoise Van Bambeke

Françoise Van Bambeke a obtenu son diplôme de pharmacienne en 1991 et son doctorat en 1995 à l’UCLouvain. Après un séjour postdoctoral à l’Institut Pasteur de Paris, elle a obtenu un poste permanent au FNRS. Elle est aujourd’hui directrice de recherche du FNRS au Louvain Drug Research Institute de l’UCLouvain et professeur de pharmacologie à la Faculté de pharmacie et des sciences biomédicales. Ses principaux intérêts de recherche sont l’étude des paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques qui affectent l’activité des antibiotiques contre les formes persistantes d’infections (infection intracellulaire, par exemple) et la recherche de stratégies innovantes contre ces infections. Elle étudie aussi la résistance provoquée par le mécanisme d’efflux et travaille sur l’optimisation du dosage des antibiotiques sur la base de concepts pharmacocinétiques et pharmacodynamiques.

Publié le 08 mai 2020