Les langages particuliers du grand âge

Le langage évolue tout au long de la vie. Plus une personne vieillit, plus des problèmes liés à l’âge sont susceptibles d’affecter sa façon de s’exprimer… et compliquer la communication avec autrui. À l’UCL, une chercheuse du Centre de recherche Valibel – Discours et variation consacre un projet à l’étude de ces évolutions de langage chez les seniors.  

Une mémoire défaillante, une perte d’audition, les séquelles d’un AVC, la maladie d’Alzheimer… Autant de facteurs qui, passé un certain âge, peuvent fortement influencer la capacité à comprendre et/ou à se faire comprendre. « Quand la communication devient difficile, la personne âgée, mais aussi ses proches et le personnel soignant sont souvent démunis », explique Catherine T. Bolly, sociolinguiste. « Ce qui peut avoir des conséquences négatives sur le moral et la qualité de vie de la personne âgée, mais aussi sur sa santé ! Car comment bien soigner une personne si son interlocuteur ne comprend pas bien ce qui se joue derrière un silence prolongé, des mots hésitants ou un regard fuyant ? La communication est essentielle à une bonne relation thérapeutique. Et à de bonnes relations tout court ! »

Les stratégies compensatoires des séniors

L’homme est ainsi fait que, même lorsqu’il perd une partie de sa capacité langagière, il continue à essayer de communiquer. « L’hypothèse est la suivante : quand vous perdez l’accès aux mots ou que vos capacités motrices se réduisent, vous compensez avec d’autres mots, avec d’autres gestes ou mimiques », avance Catherine T. Bolly. « En étudiant ces stratégies compensatoires, j’espère, à terme, pouvoir développer des outils qui amélioreront la communication avec les séniors. »

Pour ce faire, la linguiste travaille sur des corpus audiovisuels. Elle analyse une série d’entretiens enregistrés avec des personnes âgées. « Dans un premier temps, l’objectif est de répertorier et de classer les différentes stratégies pragmatiques, qu’elles soient verbales ou non verbales. Car, quand nous parlons, nous ne faisons pas “que” dire des phrases. Nous cherchons aussi à transmettre une émotion, à nous positionner par rapport à l’autre ou encore à nous assurer qu’il comprend bien ce que nous voulons dire. »

Dialogue intergénérationnel

Langage verbal et non verbal

Au niveau non verbal, la chercheuse étudie le langage corporel. Soit les gestes pragmatiques (haussement d’épaule, hochement de tête, pointage du doigt, etc.), le regard et les mimiques (regard vague, haussement de sourcils, yeux écarquillés, sourires, etc.).

Au niveau verbal, Catherine T. Bolly s’intéresse particulièrement aux marqueurs discursifs. « Ce sont des mots ou des groupes de mots qui ne modifient pas le fond du message, mais le colorent, lui apportent un supplément d’information. » On distingue 3 grands types de marqueurs discursifs :

  • Les marqueurs structurants hiérarchisent, ordonnent, introduisent, ponctuent ou concluent le propos. Exemples : « Premièrement… deuxièmement… », « D’abord… ensuite… enfin… », « Donc », « Voilà, quoi ! », etc.
  • Les marqueurs expressifs sont utilisés pour accentuer nos points de vue ou nos émotions. Exemples : « Vraiment », « Oh là là », « Honnêtement, (tu m’énerves) ! », « Sans blague ! », etc.
  • Les marqueurs interactifs visent à maintenir le flux de la conversation ou à s’assurer que notre interlocuteur comprend ce que nous voulons exprimer : « Tu vois (ce que je veux dire) », « Mm mm », « Tu sais », « Hein », etc. 

Dis-moi comment tu parles, je te dirai qui tu es

Catherine T. Bolly souhaite dresser le profil communicationnel des locuteurs à partir de conversations réelles. « Certains gestes, mimiques et marqueurs discursifs se combinent de façon similaire (ou non) chez certains individus et groupes d’individus. Il s’agit de comprendre comment et pourquoi il y a des différences, à quoi elles sont dues. Certes, une diminution des fonctions physiques et cognitives (audition, mémoire, attention, etc.) influence la façon de parler. Mais ce ne sont pas les seules causes ! D’autres facteurs, émotionnels, intellectuels, sociaux ou encore culturels rentrent en ligne de compte dans la façon dont une personne s’exprime. L’interlocuteur aussi : on ne s’adresse pas de la même façon à ses proches qu’à un inconnu ou un médecin, par exemple. »

À terme, la linguiste espère pouvoir établir une cartographie des façons de s’exprimer et des stratégies communicatives mises en place par les séniors, en fonction de leur histoire, de leur état psychosocial ou même du type d’interaction en jeu. Et, de là, aider les personnes (proches, médecins, infirmières, aides-soignantes, etc.) qui communiquent avec les séniors à mieux décoder leur langage verbal et non verbal.

langage personnes agées

Réseaux d’experts 

En 2014, Catherine T. Bolly a cofondé le réseau international du CLARe (« Corpora for Language and Aging Research »). Dans la foulée, elle a organisé un premier workshop international sur le sujet à l’UCL. Une deuxième édition se tiendra du 6 au 8 mars 2017 à Berlin. Objectif : échanger les bonnes pratiques, les données et les savoirs liés au langage des séniors au niveau international.

Catherine T. Bolly est également la première linguiste à avoir intégré Louvain4Ageing, le réseau de l’UCL dédié au vieillissement heureux. Louvain4Ageing réunit une cinquantaine de chercheurs issus de 3 secteurs de l’UCL : la santé, les sciences humaines et les technologies. Objectif : favoriser les collaborations interdisciplinaires afin d’apporter des réponses concrètes au vieillissement de la population.

Candice Leblanc

Les recherches de Catherine T. Bolly sont ou été principalement financées par l’Université de Cologne (Sociolinguistic Lab), le Fonds Marie-Thérèse De Lava, le FNRS et une IEF Marie Curie (Commission européenne).

Coup d'oeil sur la bio de Catherine T. Bolly

Catherine T. Bolly

1998                        Régendat en pédagogie musicale à l’IMEP
1999                        Master de musique au Conservatoire Royal de Mons
2003                        Licence en langues et littératures romanes à l’UCL
2005                        DEA en sciences du langage à l’UCL
2008                        Thèse de doctorat en langues et lettres (linguistique) à l’UCL
2008-2013              Chercheuse F.R.S.-FNRS au centre Valibel à l’UCL
2013-2015              Chercheuse CNRS à l’UMR7023 SFL (France)
Depuis 2015          Chercheuse à l’Université de Cologne (Allemagne)

Publié le 26 mai 2016