Il y a 4,6 millions d’années, Mars était habitable. Aujourd’hui, elle ne l’est plus. Véronique Dehant, Chef de Service à l’Observatoire royal de Belgique et Professeur extraordinaire à l’UCLouvain, tente de comprendre comment la planète rouge a évolué, en étudiant l’intérieur de celle-ci. Elle nous parle de deux prochaines missions qui devraient livrer des pistes de réponse…
Il y a 4,6 milliards d’années, Mars s’est formée. Pendant quelques centaines de millions d’années, la planète est recouverte d’eau. Il y a 4,1 milliards d’années, son bouclier magnétique disparaît et son atmosphère s’échappe, empêchant l’eau de rester sous forme liquide à sa surface. Depuis, et jusqu’à aujourd’hui, Mars évolue peu, à l’exception de rares remontées de lave qui liquéfient la glace résiduelle piégée dans le sous-sol. La faible atmosphère oxyde quant à elle lentement le sol de cette planète qui présente actuellement un sol très rouge. Depuis de nombreuses années, Véronique Dehant, Chef de Service à l’Observatoire royal de Belgique et Professeur extraordinaire à l’UCLouvain, se passionne pour la planète Mars et son habitabilité. Dernièrement, dans le cadre de plusieurs missions internationales, la chercheuse se pose une question : pourquoi la planète Mars n’est-elle plus habitable aujourd’hui ? Véronique Dehant et son équipe de l’Observatoire et de l’UCLouvain comptent trouver la réponse en analysant l’intérieur de la planète.
La planète Mars est un objet d’étude fascinant et très intéressant : « Toute l’histoire de Mars est écrite sur sa surface. Il n’y a pas de tectonique des plaques ni de resurfaçage, contrairement à la Terre dont les continents plongent dans son manteau et où tout est recyclé », explique Véronique Dehant qui mène notamment deux beaux projets avec enthousiasme pour comprendre l’évolution de la planète rouge : RISE (Rotation and Interior Structure Experiment) et LaRa (Lander Radioscience), à bord de la mission InSight de l’agence spatiale américaine (NASA) et de la mission ExoMars des agences spatiales Européenne (ESA) et Russe (Roscosmos), respectivement.
InSight, la première mission qui étudie l’intérieur de Mars
Insight est une mission américaine qui a été lancée le 5 mai 2018 par la NASA et qui devrait atterrir sur Mars le 26 novembre prochain. Comme son nom l’indique, « InSight » s’intéresse à l’intérieur de la planète Mars. « C’est la première mission qui va étudier l’intérieur profond de Mars, afin de pouvoir mieux comprendre l’évolution de cette planète et des autres planètes telluriques (ou rocheuses) comme la Terre », détaille Véronique Dehant. Trois expériences grâce à trois instruments permettront de mesurer les signes vitaux de Mars :
- Son pouls (séismologie) : une équipe principalement française a construit un séismomètre adapté à la planète Mars qui va écouter ses vibrations et ainsi nous donner des informations sur sa structure interne et les matériaux à l’intérieur de celle-ci.
- Sa température (flux de chaleur) : une équipe allemande a mis sur pied « HP3 », un instrument qui va forer le sol à un ou deux mètres de profondeur et mesurer les températures, afin de déterminer les flux de chaleur et donc l’énergie qui émane de la planète Mars.
- Ses réflexes (radio-science) : une équipe américaine a construit « RISE », un instrument qui permet d’étudier un signal radio depuis la Terre via d’énormes antennes (de 70 mètres de diamètre). Ces antennes envoient un signal radio vers Mars et « RISE » renvoie ce signal vers la Terre. Grâce à l’effet Doppler, il sera possible de déterminer la vitesse relative de Mars par rapport à la Terre et donc la rotation et l’orientation de Mars dans l’espace. La mesure de cette rotation va nous donner des informations sur l’intérieur profond de la planète, tout comme un œuf cuit tourne différemment qu’un œuf non-cuit. Cette étude permettra de savoir si le noyau de Mars est liquide ou solide, quelles sont ses dimensions et sa constitution. Toutes les données collectées par « RISE » seront étudiées par les Belges (l’équipe de Véronique Dehant) et les Américains.
InSight est bien plus qu’une mission sur Mars. En étudiant l’intérieur de la planète rouge, toutes les équipes internationales participant à la mission veulent en apprendre davantage sur son habitabilité et sur son évolution par rapport à celles des autres planètes telluriques (rocheuses), c’est-à-dire Mercure, Vénus et la Terre. Notre Planète et Mars ont été formées à partir des mêmes éléments primordiaux. Pourtant, elles ont évolué différemment. Pourquoi ces planètes ont-elles subi un sort distinct ? C’est une des questions que se posent Véronique Dehant et son équipe.
LaRa, une première 100% belge sur Mars
L’autre projet sur lequel travaille la chercheuse de l’UCLouvain est « LaRa » (pour « Lander Radioscience »). Cet instrument, en cours de construction notamment à l’UCLouvain, sera 100% belge. Il sera à bord de la mission ExoMars en 2020. « Ce sera la première fois qu’un instrument totalement belge atterrira sur la planète rouge », commente Véronique Dehant. Les antennes sont construites par les ingénieurs de l’UCL dont le Pr Christophe Craeye. Le transpondeur est quant à lui conçu par une industrie flamande appelée Antwerp Space, spécialisée dans la construction de transpondeurs de télécommunication. « LaRa », qui est miniaturisé par rapport à « RISE », fonctionne toutefois de la même manière : l’instrument va écouter la Terre, en prenant le signal radio qui vient de notre Planète et en le lui renvoyant directement. « Nous espérons que ‘RISE’ sera toujours en place quand ‘LaRa’ atterrira. Cela fera deux points de surface pour étudier Mars, et nous offrira une précision jamais atteinte pour la récolte d’informations concernant le noyau de Mars », ajoute Véronique Dehant. L’objectif sera d’affiner l’information concernant l’intérieur de Mars et en particulier son noyau.
Les hypothèses avant les réponses
Aujourd’hui, l’équipe de Véronique Dehant se prépare à l’atterrissage de « RISE » et s’apprête à analyser les précieuses données. En attendant, quand on demande à la géophysicienne quelles sont les explications actuelles de la non-habitabilité de Mars, les réponses sont multiples : l’impact des météorites sur l’atmosphère qui a fait s’échapper une partie de celui-ci ? Le dégazage qui vient de l’intérieur de Mars par les volcans ou les fractures de surface ? Le champ magnétique qui protège l’atmosphère ? Le Soleil qui, à l’époque, était différent ? Ou un mélange de tout cela ? « Ce qui est sûr, c’est qu’en analysant l’intérieur de Mars, nous aurons davantage de réponses, c’est-à-dire environ 26 mois après l’atterrissage de ‘RISE’. Mais cela reste de la science fondamentale. Quand on résout une question, on aboutit à dix questions », complète la chercheuse.
L’EOS, une mise en commun des recherches
En grande partie grâce aux études de ces deux missions, Véronique Dehant participe à un EOS (Excellence Of Science), un projet favorisant la recherche conjointe entre chercheurs de plusieurs universités belges francophones et néerlandophones, ainsi que (dans une moindre mesure) de plusieurs instituts fédéraux, dans n’importe quelle discipline scientifique de recherche fondamentale. Ici, la question de l’habitabilité de Mars est donc posée à de multiples équipes qui tentent d’y répondre de manière singulière : la VUB s’intéresse à l’effet des cratères sur l’évolution de Mars, l’ULB se spécialisent dans les météorites, l’IASB dans l’atmosphère de la planète rouge et l’UCLouvain dans l’intérieur de celle-ci. Grâce à cet EOS et aux éclairages multiples de cette question, les équipes trouveront ensemble des réponses plus complètes.
Lauranne Garitte
Louvain4Space, pour que les scientifiques échangent et que les jeunes soient attirés par ce domaine Le domaine du spatial est transversal à l’UCLouvain. En effet, les projets spatiaux concernent de nombreux instituts auxquels on ne pense pas forcément lorsqu’on pense au spatial. Afin de permettre à tous ces scientifiques d’horizons différents d’échanger dans ce domaine, Louvain4Space a été créé en octobre 2017. Sur cette plateforme sont partagés les appels d’offres, les meilleures pratiques pour répondre à celles-ci, les connaissances de chacun, les contacts, etc. Louvain4Space répond aussi à une pénurie de chercheurs qui s’annonce à moyen terme : « Dans ce domaine, la pyramide des âges est inversée. Pourtant, dans dix ans, il y aura une énorme demande pour les métiers du spatial. Trop peu d’étudiants savent que des chercheurs de l’UCLouvain travaillent dans le spatial. La plateforme Louvain4Space a notamment été lancée pour les informer et les attirer dans ce domaine passionnant », commente Véronique Dehant. |
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Coup d'oeil sur la bio de Véronique Dehant
Véronique Dehant, a obtenu une Maîtrise en mathématiques à l'Université catholique de Louvain (UCLouvain), en Belgique, en 1981 et une Maîtrise en physique dans cette même université en 1982. Elle a obtenu son Doctorat en Science et son habilitation dans la même université, respectivement en 1986 et 1992. Elle travaillait, à l’époque de sa thèse de doctorat, sur la rotation et l'intérieur de la Terre. Elle a tout d'abord été (1981-1992) chercheur au Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Elle a ensuite travaillé comme chercheur à l’Observatoire royal de Belgique (1993-présent) et est devenue, en 1994, Chef de section de la Section « Heure, rotation de la Terre et géodésie spatiale », département appelé actuellement « Systèmes de Référence et Planétologie » qu’elle dirige à l’heure actuelle et qui contient environ 40 personnes.
En 2006, elle est devenue PI (Principal Investigator) de l’expérience LaRa (Lander Radioscience expérience) dans le cadre de la mission ExoMars vers Mars sélectionnée en 2015 et dont le lancement est prévu en 2020. Actuellement Véronique Dehant est de plus Co-I (Co-Investigator) dans la mission InSIGHT (Interior exploration using Seismic Investigations, Geodesy, and Heat Transport) vers Mars dont le lancement a été effectué avec succès et l’atterrissage sur Mars est prévu en novembre 2018.
Véronique Dehant a également obtenu plusieurs prix dont le Prix Descartes de l'Union européenne. En 2014, elle avait été nommée Docteur Honoris Causa de l’Observatoire de Paris. En 2015, elle a obtenu une prestigieuse European Research Council (ERC) Advanced Grant, avec le projet RotaNut: Rotation and Nutation of a wobbly Earth.
Elle est également Professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain. Elle est actuellement (Juillet 2018) auteur de 480 publications, dont 165 dans des revues avec rapporteurs ou comité de lecture, et a fait actuellement plus de 1085 communications scientifiques. Son principal intérêt scientifique actuel est la planétologie comparée, et en particulier ce qui concerne l’intérieur et la rotation des planètes, leur évolution et leur habitabilité.