Où est l’eau de Vénus ?

Le présence d’eau sur les planètes composées surtout de roches et de métaux, comme la Terre, Mars ou encore Vénus, remonte aux premiers moments de leur formation. C’est ce que montrent des simulations numériques d’un groupe de chercheurs belges dont les résultats sont publiés dans Nature Geoscience.

Etudier les conditions d’habitabilité des planètes et l’évolution de celles-ci au cours du temps : tel est l’objectif du projet scientifique belge Et-HOME (Evolution and Tracers of the Habitability Of Mars and Earth). Un programme qui regroupe des équipes de l’Observatoire Royal et de l’UCLouvain (dirigées par la Professeure Véronique Dehant) et de l’ULB (Professeure Vinciane Debaille). Qui dit habitabilité dit présence ou absence d’eau. « Pour la Terre, on sait ce qu’il en est, explique Véronique Dehant membre du Louvain4Space ; pour Mars, on a repéré des traces anciennes d’eau à sa surface, des lits et deltas de rivière sont observés au tout début de son existence ; elle a été habitable. Il était donc intéressant d’étudier aussi l’évolution de Vénus, la troisième planète tellurique ayant une atmosphère, la plus proche des trois du Soleil. » L’idée est osée car bien moins de missions ont été lancées vers Vénus que vers Mars (d’où une relative pauvreté de données) et surtout, les chercheurs ne disposent pas d’échantillons rocheux de cette planète alors qu’ils peuvent étudier des météorites martiennes, débris échoués sur Terre lors de l’impact d’une météorite qui a frappé Mars. Le but est évidemment de mieux comprendre aussi l’évolution de notre planète : malgré leur ressemblance au niveau de la structure, de la taille et de leur place dans le système solaire, la Terre et Vénus ont des évolutions très différentes. L’étude de ces évolutions permet de faire de la planétologie comparée.

Bombardements de météorites

Les chercheurs ont modélisé l’évolution de Vénus sur le très long terme (4,5 milliards d’années) en prenant en compte les interactions entre les différentes couches de la planète (intérieur, atmosphère). « Mais, précise d’emblée Véronique Dehant, ce modèle est contraint avec les données issues de l’observation de la planète aujourd’hui. Autrement dit, si les données qu’on y entre conduisent à une planète différente de celle observée aujourd’hui, il est rejeté. C’est ainsi qu’on décide des modèles à retenir et à bannir. »

Le point de départ de la simulation est donc une planète toute jeune, dont la surface est un océan de magma (lave) dû à la chaleur dégagée par sa formation. Les premiers bombardements de météorites ont déjà eu lieu mais pas ceux qu’on appelle les bombardements tardifs. Ce sont ces derniers qui retiennent particulièrement l’attention des chercheurs : apportent-ils beaucoup d’eau à la planète ou sont-ils secs ? Les chercheurs ont entré différentes compositions de ces météorites dans leur modèle. Une conclusion s’est vite dégagée : dans tous les cas observés, le matériau humide donne des simulations de Vénus incompatibles avec ce qu’on sait de la planète actuelle. Au contraire, des matériaux secs vont donner une évolution qui mène bien à ce qu’on observe aujourd’hui. On en déduit que très peu d’eau a été apportée à Vénus pendant la fin de sa formation. Et cela a sans doute été le cas pour la Terre car, a priori, c’est le même type de météorites qui a frappé la Terre à cette époque. « Donc, résume Véronique Dehant, l’eau a sans doute été présente dès le début de la formation de Vénus, de la Terre et de Mars. »

Une atmosphère primitive

Reste que Vénus n’a plus d’eau au contraire de la Terre ! Les deux planètes ont commencé par être couvertes par un océan de magma. Cette lave échange beaucoup de volatiles (dont la vapeur d’eau) avec l’atmosphère de la planète. Mais Vénus est plus proche du Soleil et il est possible que cet océan magmatique ait ainsi duré plus longtemps que celui de la Terre. Sur cette dernière, de l’eau a donc été piégée à l’intérieur de la planète avant d’avoir eu le temps de s’évaporer. L’eau est ensuite remontée à la surface à la faveur des mouvements de convection qui animent le manteau, a atteint les couches supérieures puis a été dégagée en surface grâce au volcanisme et à la tectonique des plaques, phénomènes présents sur notre planète mais absents sur Vénus.

La différence d’évolution entre les deux planètes est une question loin d’être résolue. On sait que la surface de Vénus est jeune en moyenne et ne donne donc pas accès à une époque très primitive rien qu’en l’observant. Mais son atmosphère est composée en grande majorité de CO2 et ressemble plus à ce qui semblerait être l’atmosphère primitive de la Terre. Ce qui tend à indiquer que Vénus a moins évolué, a connu moins de changements dramatiques que la Terre. Et le fait qu’il n’y a pas d’océan d’eau à la surface de Vénus ni de tectonique des plaques montre sans doute aussi que son évolution a été plus simple que celle de la Terre.

« Mais surtout, aime souligner Véronique Dehant, si notre atmosphère a changé plus que celle de Vénus, c’est à cause de l’apparition de la vie et donc de l’oxygène, absent comme composant principal des atmosphères des autres planètes. Cela brouille toutes les pistes de reconstitution de l’atmosphère primitive de la Terre et c’est pour cela que Vénus reste une planète intéressante : elle permet d’étudier les débuts de la Terre comme si la vie n’y était pas apparue. »

Le côté sec de l’apport tardif, s’il est confirmé par l’étude publiée, n’est pas une révélation puisqu’il est conforme à une grande partie des données récoltées au fil des observations terrestres. Mais là où l’étude est révolutionnaire, selon les chercheurs, c’est parce que ce résultat a été établi par un modèle numérique de Vénus. C’est une sorte de proof of concept (démonstration de faisabilité) d’une nouvelle méthode d’utilisation des modèles qui intègrent des évolutions de l’intérieur et de l’atmosphère d’une planète – Vénus en l’occurrence- pour faire de la planétologie comparée.

Coup d’œil sur la bio de Véronique Dehant

Véronique Dehant, a obtenu une Maîtrise en mathématiques à l'Université catholique de Louvain (UCLouvain), en Belgique, en 1981 et une Maîtrise en physique dans cette même université en 1982. Elle a obtenu son Doctorat en Science et son habilitation dans la même université, respectivement en 1986 et 1992. Elle travaillait, à l’époque de sa thèse de doctorat, sur la rotation et l'intérieur de la Terre. Elle a tout d'abord été (1981-1992) chercheur au Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Elle a ensuite travaillé comme chercheur à l’Observatoire royal de Belgique (1993-présent) et est devenue, en 1994, Chef de section de la Section « Heure, rotation de la Terre et géodésie spatiale », département appelé actuellement « Systèmes de Référence et Planétologie » qu’elle dirige à l’heure actuelle et qui contient environ 40 personnes.

En 2006, elle est devenue PI (Principal Investigator) de l’expérience LaRa (Lander Radioscience expérience) dans le cadre de la mission ExoMars vers Mars sélectionnée en 2015 et dont le lancement est prévu en 2020. Actuellement Véronique Dehant est de plus Co-I (Co-Investigator) dans la mission InSIGHT (Interior exploration using Seismic Investigations, Geodesy, and Heat Transport) vers Mars dont le lancement a été effectué avec succès et l’atterrissage sur Mars est prévu en novembre 2018.

Véronique Dehant a également obtenu plusieurs prix dont le Prix Descartes de l'Union européenne. En 2014, elle avait été nommée Docteur Honoris Causa de l’Observatoire de Paris. En 2015, elle a obtenu une prestigieuse European Research Council (ERC) Advanced Grant, avec le projet RotaNut: Rotation and Nutation of a wobbly Earth.

Elle est également Professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain. Elle est actuellement (Juillet 2018) auteur de 480 publications, dont 165 dans des revues avec rapporteurs ou comité de lecture, et a fait actuellement plus de 1085 communications scientifiques. Son principal intérêt scientifique actuel est la planétologie comparée, et en particulier ce qui concerne l’intérieur et la rotation des planètes, leur évolution et leur habitabilité.

Publié le 04 août 2020