Reconstituer le puzzle du lymphoedème primaire

Qu’est-ce qui cause les lymphoedèmes, ces gonflements de parties du corps suite à l’accumulation de liquide lymphatique? Jusqu’à il y a peu, personne ne le savait… C’était sans compter les recherches menées par le Pr Miikka Vikkula et son Laboratoire de Génétique Moléculaire Humaine, qui ont permis d’identifier un nouveau gène responsable du lymphoedème primaire. Un pas de plus dans la reconstitution du puzzle...

Imaginez un immense puzzle dont chaque pièce correspond à un gène susceptible de causer un lymphoedème. Le puzzle entier illustrerait la cause de cette pathologie. Mais petite difficulté supplémentaire : personne ne connaît le nombre exact de pièces du puzzle... Ce défi ludique, l’équipe du Pr Miikka Vikkula de l’Institut de Duve le relève depuis plusieurs années. Ils ont commencé par se pencher sur les causes des anomalies vasculaires (malformations veineuses, angiomes, etc.). Après de nombreuses années d’étude, l’équipe a développé des modèles de thérapie sur les souris, et ceux-ci sont actuellement au stade d’étude clinique. Le domaine des lymphoedèmes étant moins documenté, le Pr Miikka Vikkula s’en est emparé il y a une vingtaine d’années : les travaux de recherche de plusieurs équipes, dont celle du Pr Vikkula ont déjà permis d’identifier 28 morceaux du puzzle expliquant +/-30% des causes des lymphoedèmes primaires. Reste à trouver les 70% restants. Il y a peu, l’équipe du Pr Miikka Vikkula a découvert un nouveau gène responsable de cette maladie. Il s’agit d’une grande avancée qui vient d’être publiée dans le Science Translational Medicine ce 9 septembre 2020.

Qu’est-ce qu’un lymphoedème ?

Un lymphoedème est une maladie chronique résultant d’un fonctionnement anormal du système lymphatique. La lymphe, ce liquide biologique transparent qui permet de drainer les tissus de notre corps, n’est plus drainée, s’accumule - le plus souvent dans les membres inférieurs -, et entraîne des hypertrophies, une fibrose et une prédisposition aux infections secondaires. Certaines formes de lymphoedème sont associées à une accumulation de chyle (lymphe mélangée à des lipides absorbés par les intestins) dans l’abdomen ou le thorax. En Europe, plus d’un million de personnes sont touchées par cette pathologie qui est encore trop souvent sous-diagnostiquée. Le lymphoedème peut être primaire et résulter d’une cause inconnue au moment du diagnostic, ou secondaire et avoir pour cause une infection ou un traitement anticancéreux.

© Reprinted by permission of VM Leppänen et al., Sci. Transl. Med. 12, eaax8013 (2020).
 
Soulager plutôt que guérir

Actuellement, il n’existe pas de remède miracle aux lymphoedèmes. “La thérapie se limite à des drainages lymphatiques manuels répétés et à l’utilisation de vêtements compressifs”, explique le chercheur, “Et dans certains cas plus sévères, la chirurgie peut être nécessaire, mais nous n’avons toujours pas de traitement curatif.” Afin d’envisager un avenir avec une thérapie appropriée, l’équipe du Pr Miikka Vikkula a décidé de continuer ses efforts pour mieux comprendre les causes du lymphoedème primaire. Car aujourd’hui, cela reste un mystère : “même si beaucoup de cas sont génétiques, on ne sait pas pourquoi une personne développe un lymphoedème primaire”.

L’apport précieux de la bioinformatique

Depuis près de 25 ans, le Pr Miikka Vikkula et son équipe récoltent des échantillons de patients présentant des anomalies vasculaires et des lymphoedèmes. “Ce travail d’échantillonnage a été possible grâce à une étroite collaboration avec des cliniciens qui classent les lymphoedèmes en fonction des signes cliniques”, note le professeur de médecine. Aujourd’hui, le laboratoire a collecté des échantillons de près de 900 patients (ainsi que des membres de leurs famille) souffrant de lymphoedème primaire. Pour les analyser, l’équipe du laboratoire a utilisé le Whole-Exome Sequencing (WES), une technique de séquençage de toutes les parties codantes des gènes de notre génome. “Nous avons ensuite comparé ces séquences avec celles de référence de l’être humain, en filtrant les variants un à un. Or, il y a entre 20.000 et 60.000 variants par personne. Et nous pensons qu’un de ces variants est responsable de la maladie. Dans une maladie multigénique comme le lymphoedème, plus on a d’échantillons, mieux nous pouvons comparer et espérer trouver un gène plus fréquent chez les patients atteints de lymphoedème. C’est la magie et la force de la génétique combinée à la bioinformatique”, détaille le Pr Miikka Vikkula.

Un gène en pleine mutation

Grâce à l’analyse de ces échantillons, l’équipe du Pr Miikka Vikkula a identifié un nouveau gène. Son nom : angiopoïétine 2 (ANGPT2). Il code pour ligand, c’est-à-dire une protéine qui se lie de manière réversible à une autre protéine ciblée. Ce récepteur se trouve sur les cellules qui forment les parois des vaisseaux lymphatiques. Il contribue donc au développement du système lymphatique. “Nous sommes parvenus à identifier ce gène parce que nous avons observé des mutations d’ANGPT2. Ces mutations induisent tantôt le développement de trop peu de vaisseaux lymphatiques, tantôt de trop. Chez les patients atteints de lymphoedème primaire, la sécrétion de cette protéine est diminuée, et cela empêche le système lymphatique de se développer normalement. C’est la première fois qu’on a identifié des mutations de ce gène à l’origine d’une maladie chez l’homme”, détaille le Pr Miikka Vikkula.

Et maintenant ?

La découverte de ce gène donne énormément d’espoir non seulement pour le diagnostic des patients mais aussi pour un traitement futur. “Maintenant que nous avons une cible très précise, nous avons des pistes claires pour créer des modèles qui nous permettront de développer de nouvelles thérapies. Il manque toutefois encore de nombreuses pièces du puzzle avant de concrétiser l’idée d’un traitement. C’est pourquoi, en plus de s’attarder sur ANGPT2, nous allons continuer à analyser les échantillons et à reconstituer les 70% du puzzle restants, qui permettraient de se faire une image complète des causes du lymphoedème primaire. J’ai beaucoup d’espoir, notamment parce que les technologies évoluent à une vitesse folle”, conclut le chercheur.

Lauranne Garitte

 

Coup d’œil sur la bio de Mikka Vikkula

Né à Espoo en Finlande, Miikka Vikkula a obtenu son diplôme de médecine à l’Université d’Helsinki en 1992 et terminé son doctorat en génétique moléculaire en 1993. De 1993 à 1997, il a intégré la Harvard Medical School dans le cadre d’un post-doctorat. C’est là qu’il a commencé à s’intéresser aux anomalies vasculaires et lymphatiques. Il s’installe à Bruxelles en 1997 et rejoint l’Institut de Duve de l’UCLouvain où il développe son propre laboratoire de recherche sur la génétique humaine. Il fait partie de l’équipe de direction de l’Institut de Duve depuis 2004. En 2009, l’équipe de Miikka Vikkula découvre que la cause des anomalies vasculaires non-héréditaires est également génétique (dû aux mutations dites « somatiques) et en 2015, elle démontre l’efficacité d’un traitement médicamenteux qui améliore la qualité de vie des patients atteints de certaines anomalies vasculaires. Il est devenu chercheur WELBIO en 2011, et en 2019, il reçoit le premier prix belge Generet for Rare Disease Research (géré par la Fondation Roi Baudouin) pour ses recherches en génétique des anomalies vasculaires.

Publié le 10 septembre 2020